Chronique 

Il faut saluer ce courage

D’abord, il faut saluer ce courage.

Ça en prend une bonne dose pour témoigner d’une agression sexuelle. Ça en prend encore plus pour le faire à visage découvert. Le courage de surmonter la honte et la culpabilité que trop de victimes ressentent alors qu’elles n’y sont pour rien. Le courage de revisiter ces zones douloureuses que l’on préférerait enfouir dans sa mémoire. Le courage d’exposer ses blessures et d’affronter le regard des autres. Le courage de le faire non pas pour en tirer un quelconque avantage personnel, mais en pensant à toutes celles – la majorité – qui depuis trop longtemps restent sans voix.

En unissant leurs « moi aussi » pour en faire un « nous aussi » solidaire, Pénélope McQuade, Salomé Corbo, Sophie Moreau, Lyne Charlebois, Geneviève Allard, Anne-Marie Charrette, Marlène Bolduc et toutes les autres qui ont osé prendre la parole à leurs côtés lancent un puissant « Ça suffit ! ». En prenant la parole dans Le Devoir et au 98,5 FM, elles ne sont plus des victimes de l’homme d’affaires Gilbert Rozon, à qui elles reprochent des inconduites sexuelles qui s’échelonnent sur trois décennies. 

Elles sont les porte-voix d’une révolution féministe en cours. Une lente révolution qui, tôt ou tard, mettra fin au règne des mononcles narcissiques libidineux qui abusent de leur pouvoir.

Cela n’a rien à voir avec les luttes féministes, diront certains. Voyez les 11 personnes qui ont parlé à mes collègues Katia Gagnon et Stéphanie Vallet des inconduites sexuelles de l’animateur et producteur Éric Salvail. Des hommes pour la plupart. Ils ont presque tous témoigné sous le couvert de l’anonymat. Eux aussi peuvent être victimes d’inconduites sexuelles. Quel rapport avec la lutte des femmes pour l’égalité ?

En fait, l’un et l’autre sont liés. Le scandale qui a mené à la chute de Salvail montre que les luttes féministes sont aussi bénéfiques pour les hommes. On tend à l’oublier, mais les hommes peuvent aussi souffrir des stéréotypes de genre dans lesquels on nous enferme tous. La société leur demande de se conformer à ce stéréotype voulant qu’un homme doive être fort et viril alors qu’une femme doit être belle et soumise. Le témoignage le plus éloquent en ce sens est celui du maquilleur Marco Berardini, qui explique qu’il était prisonnier de ce stéréotype. Les épisodes d’inconduites sexuelles qu’il a racontés remontent à 2003. Pourquoi n’a-t-il jamais dénoncé Éric Salvail avant ? « Écoutez, je ne comprenais pas vraiment ce qui m’était arrivé. Je fais six pieds deux pouces. Les policiers auraient ri de moi ! Ils m’auraient demandé pourquoi je ne l’avais pas simplement frappé ! Et c’est une bonne question. »

Pourquoi tous ces gens ont-ils accepté de témoigner après des années de silence ? Parce que le mouvement #MoiAussi porté par des femmes leur a donné le courage de le faire tous ensemble. Parce que le nouvel électrochoc déclenché par l’affaire Weinstein a suscité un nouvel éveil, une nouvelle prise de conscience.

On réalise que les comportements d’abus de pouvoir que la société nous a amenés à trouver normaux ou même banals ne le sont pas et que la honte doit changer de camp.

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Une précision au sujet de la campagne #MeToo (devenue au Québec #MoiAussi) qui a amené des millions de femmes à publier des témoignages dans les médias sociaux depuis dimanche. J’ai écrit mardi que la campagne avait été lancée par l’actrice américaine Alyssa Milano, dans la foulée de l’affaire Weinstein, ce producteur d’Hollywood accusé d’agressions sexuelles. Il aurait fallu préciser que la campagne n’avait pas été créée par Alyssa Milano, mais plutôt relancée par elle.

À l’origine, le mouvement Me Too a été lancé il y a plus de 10 ans par la militante afro-américaine Tarana Burke. Directrice des programmes à Brooklyn de l’organisme Girls for Gender Equity, elle a créé cette campagne pour donner une voix et redonner du pouvoir à des jeunes femmes noires qui avaient survécu à des agressions sexuelles. En disant « Moi aussi », il s’agissait d’abord et avant tout de se dire entre elles « Je n’ai pas honte » et « Je ne suis pas seule ». Il s’agissait de créer un mouvement de solidarité afin que cette expérience traumatique puisse devenir le ciment d’une force commune.

L’écho retentissant que la campagne a eu au Québec, jumelé au pouvoir du journalisme, est un puissant prolongement du mouvement d’origine. En disant « Moi aussi », « Nous aussi », des femmes connues du milieu des arts envoient un message très clair aux agresseurs qui se croient invincibles. Elles leur disent : « Basta ! On n’en peut plus ! »

Du même coup, elles envoient un autre message très clair à la majorité des victimes qui sont sans voix. Elles leur disent : « Vous n’êtes pas seules. Les choses vont changer. Les choses doivent changer. Elles changent déjà. »

Chapeau et merci pour votre courage.

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