Françoise sullivan et Michel Campeau

Les échiquiers du souvenir

La galerie Simon Blais présente, jusqu’au 25 janvier, les dernières acryliques de Françoise Sullivan, peintes cet automne à la mémoire de son fils Jean-Christophe disparu en août. En parallèle, le photographe Michel Campeau a ressorti des tirages de ses corpus Capital Camera Exchange Inc. et Week-end au « Paradis terrestre » ! 

Perdre un enfant est la pire des douleurs pour une mère. À 96 ans, la toujours pétillante et résiliente Françoise Sullivan a subi tout un choc l’été dernier quand son cher Jean-Christophe, l’un de ses quatre fils, s’en est allé. 

À son retour d’Italie, où elle était allée exposer quelques œuvres en septembre, elle a pris une semaine pour se reposer, puis elle s’est remise à peindre, debout sur sa plateforme surélevée, face à un des murs de son bel atelier montréalais. 

« Ça m’a fait du bien. J’ai peint tous les jours jusqu’à la veille du transport des peintures, ici, à la galerie », dit-elle, avant d’émettre son éternel et charmant petit rire en cascade.

Au total, elle a réalisé sept peintures d’un corpus intitulé Hommage à Jean-Christophe, qui se greffe en apparence à ses Damiers précédents, mais cette nouvelle série est marquée par des formes plus souples et des couleurs moins ardentes reliées au souvenir de son fils. 

« Les jaunes, c’était son côté ensoleillé. Il avait beaucoup de bonté. Même dans des périodes difficiles de sa vie, il disait que d’autres avaient plus de problèmes que lui. » 

Françoise Sullivan sort alors un paquet de photographies de Jean-Christophe dans la splendeur de ses 30 ans. Lors d’un dîner de famille avec le sculpteur et peintre Ulysse Comtois. Jeune, au bord du lac Saint-Louis ou en Italie. Avec ses frères Vincent, Geoffrey et Francis, photographiés par leur père, Paterson Ewen. 

« Les enfants des environs venaient toujours frapper à la porte parce qu’ils voulaient jouer avec Jean-Christophe, dit Françoise Sullivan. Il était aussi très courtois. Les femmes l’adoraient. » 

La mère se réjouit en dévorant des yeux chaque photo, ne trahissant pas une seule fois sa douleur. Comme elle l’a fait avec ses nouvelles toiles qui ne sont pas dramatiques, mais qui respirent plutôt l’introspection et marquent la célébration d’un passé qui resurgit, voire exaltent le triomphe de la vie sur la mort. 

La signataire de Refus global a ajouté à ses nouvelles peintures aux allures d’échiquiers flottants des toiles plus anciennes qui se marient bien à ces Hommages à Jean-Christophe. Telles que Maya, de 2004, ou Song n23, de 2009. Ainsi qu’une toile préparatoire, Réflexion pour un hommage no 4, une peinture qui permet de mesurer combien Françoise Sullivan ne fait jamais rien au hasard, prenant le temps d’identifier le cadre pictural qu’elle veut embrasser à un moment précis.

Après l’hommage au fils disparu, Françoise Sullivan a pris une pause artistique. « Vous allez rire, mais j’ai le goût de voir des amis, maintenant », lâche-t-elle avec son doux sourire. 

Michel Campeau 

En parallèle, la salle 2 de la galerie a été offerte à Michel Campeau qui y exprime, comme au musée McCord l’an dernier, cette connivence entre sa pratique photographique et son goût pour l’acquisition de vieux clichés d’amateurs qu’il trouve sur eBay. 

« Au McCord, quand je parlais de mon travail, je commençais à réaliser à quel point il y a une relation entre les images que je collectionne et celles que je faisais, beaucoup plus jeune, dans les années 70. »

On retrouve donc chez Simon Blais quelques photographies de personnes avec un appareil photo dans les mains, des images datant surtout des années 60, qu’il a mises en relation avec des épreuves argentiques sur papier des années 70 et 80, prises à Montréal et dans la région. 

Michel Campeau a aussi installé un livre en accordéon intitulé La présence lilliputienne du photographe dans la quadrichromie des cartes postales ! Il contient des images de cartes postales qu’il collectionne, accompagnées de ses photos. Comme celle d’une spectatrice d’un match des Expos, au parc Jarry dans les années 70, se protégeant du soleil avec une carte postale sur le front. Carte postale de la même taille que l’espace défini par les jambes d’un garçon photographié alors qu’il prend une photo un genou à terre. Un clin d’œil aux élucubrations humoristiques et conceptuelles de Michel Campeau qui a toujours une idée derrière la tête et l’œil exercé pour l’exprimer. 

Âgé de 71 ans aujourd’hui, le prince de la chambre noire photographie toujours… mais avec un cellulaire. « Il y a un potentiel pour exposer un jour ce matériel, dit-il. Je ne pense pas que je vais reprendre un appareil photo. J’ai trop de projets de publication. » 

Michel Campeau a lancé dernièrement son nouvel album photographique intitulé The Donkey That Became a Zebra – Histoires de chambre noire, publié aux éditions Loco, avec ses textes et ceux du commissaire Joan Fontcuberta. 

L’an prochain, il publiera un autre ouvrage consacré aux rituels de la prise de vue. Cela dit, on doute qu’il ait dit son dernier mot avec un appareil photo. Si les astres s’alignent, il pourrait bien un jour se rendre en Europe centrale ou en Chine, équipement à l’épaule, photographier de vieilles usines de produits photosensibles… On le lui souhaite vivement. 

Mythe intemporel, de Françoise Sullivan, et Capital Camera Exchange Inc., de Michel Campeau, à la galerie Simon Blais, jusqu’au 25 janvier

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