Opinion

Les Milli Vanilli de l’éducation

En réponse au texte de Réjean Bergeron « Prométhée enchaîné et le “métier” d’enseignant », sur l’intégration des TIC en enseignement, publié le 24 avril 

Et si Prométhée avait eu un iPad… Est-ce dire qu’il n’aurait pu délivrer l’homme de la noirceur ?

Car, il faut bien l’admettre, l’iPad, comme n’importe quel autre écran, éclaire. Reste à savoir ce qu’il éclaire. Et il est là le véritable enjeu. Les technologies sont là pour rester. Le nier serait tout aussi futile que de nier le Big Bang. Mais au contraire de cet événement implosif du début des temps, les technologies de l'information et de la communication (TIC) ne vont pas révolutionner le monde de l’enseignement. Mais, et c’est là où le bât blesse, certains essaient de nous le faire croire.

C’est ainsi que des institutions se lancent tête baissée dans l’achat d’équipement informatique et qu’elles vous en mettent plein la vue lors des portes ouvertes.

Par moment, vous vous demandez même si vous ne vous êtes pas trompé de porte et que vous ne seriez pas entrés dans un bureau secret de la NASA ou de la CIA tellement il y a des écrans qui « flashent » de partout.

On vous impressionne. Ça fonctionne. Vous êtes convaincus d’être dans une école qui a embrassé la technologie, une école du XXIe siècle, enfin ! Mais voilà, vous avez acheté des billets pour un spectacle de Milli Vanilli !

La musique est bonne, la performance également. Mais la voix est fausse. Les notes, si elles étaient chantées en direct, seraient fausses. Parce qu’il faut l’admettre, l’intégration des nouvelles technologies dans les classes aurait dû être planifiée. Et elle l’a trop peu été.

On a mis des tablettes dans les mains des enseignants, parfois, un été avant que les élèves n’arrivent équipés des mêmes outils, parfois, trois jours avant. Peu d’enseignants ont été formés pour utiliser ces technologies.

Dans la plupart des écoles, on ne fait qu’un usage chiropratique de la tablette ! Effectivement, vos enfants n’ont plus de manuels, plus de cahiers d’exercices à transporter, juste une tablette. Ils s’en retournent donc à la maison le sac léger… Grand bien fasse à leur dos ! Mais cet usage justifie-t-il autant d’investissement ?

Si la pédagogie ne change pas, si l’approche didactique n’est pas respectée, alors la tablette allège le sac à dos, un point c’est tout. Pire encore, elle aura un effet néfaste sur l’enseignement. Parce qu’il n’y a rien de plus ennuyant qu’un cahier d’exercices numérisé et déposé en format PDF sur une tablette.

Mais les tablettes ou les ordinateurs peuvent servir de catalyseurs à cette relation qui va au-delà d’un transfert de connaissances. Les TIC peuvent éclairer suffisamment pour déclencher un brasier d’idées, pour faire évoluer la pensée, pour permettre un meilleur rapport à la connaissance et, surtout, pour soutenir le rapport humain entre l’enseignant et ses élèves.

ÉCLAIRAGE NOUVEAU

Mais pour ce faire, l’intégration des TIC doit respecter l’approche didactique et épistémologique ; elle ne doit pas être qu’une formule pédagogique qui rebondit sur la motivation des élèves. Car, et c’est ce que démontrent la plupart des études, l’utilisation actuelle des TIC en classe a surtout un effet sur la motivation des élèves. Et un élève motivé performe mieux, c’est un fait.

Mais si on veut garder l’esprit de Prométhée, il faut aller plus loin. Il faut former les enseignants pour que les TIC soient bien plus qu’une série d’écrans, qu’une connexion avec les savoirs du monde, qu’un allègement de sac à dos. Faire un mauvais usage des TIC, c’est renier le lien pédagogique, mais surtout didactique qui nous unit à nos élèves et à la matière qu’on enseigne.

Les TIC ne sont pas des éteignoirs, mais ils ne sont pas non plus de puissantes lampes solaires qui s’autoactivent. Ils sont des outils. Rien de plus. Mais rien de moins non plus. Nous pouvons bien nous éclairer encore à la chandelle, mais utiliser les DEL nous fait sauver temps et énergie. Et c’est lorsque nous investissons ce temps et cette énergie ailleurs que l’intégration de la technologie est optimale.

Prométhée aurait aimé les tablettes. Il aurait aimé cet éclairage nouveau qui lui aurait permis d’aborder les savoirs différemment et de développer davantage l’esprit critique de ses élèves. C’est l’utilisateur qui rend l’outil intelligent. Pas son concepteur. Pas son vendeur.

* Également enseignante d’univers social au collège Beaubois

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