Mission : vacciner local

La campagne de vaccination roule à fond de train à Montréal. Mais les taux de vaccination varient beaucoup d’un quartier à l’autre, voire d’un voisinage à l’autre. Comment faire pour que les quartiers qui affichent du retard suivent la cadence ? À Parc-Extension, où la barrière des langues et de la mobilité constitue un obstacle à la vaccination, les autorités de santé publique montent des cliniques temporaires pour se rapprocher le plus près possible des résidants.

Peu avant 14 h, en ce mardi gris, les portes de la mosquée Assuna Annabawiyah n’étaient pas encore ouvertes que déjà, la file s’étirait le long de la rue Hutchison et tournait le coin de la rue Jean-Talon. L’imam Salam Elmenyawi était ravi, les résidants de Parc-Ex avaient répondu à l’appel à la vaccination de cette clinique spéciale. « Les gens du CIUSSS m’avaient demandé si les résidants allaient venir. Je l’ignorais. Mais [lundi] soir, j’ai réalisé que beaucoup de personnes s’étaient montrées intéressées sur notre page Facebook. Alors, oui, je suis content. »

Le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal tenait mardi la première de deux journées de vaccination prévues dans cette clinique dite « éphémère », installée dans une mosquée de Parc-Extension. L’objectif, a indiqué la présidente adjointe, Francine Dupuis, est d’augmenter le taux de vaccination dans le quartier. Le taux de vaccination sur le territoire de ce CIUSSS varie d’ailleurs énormément en l’espace de quelques rues. Si la moitié de la population de Côte-Saint-Luc est aujourd’hui vaccinée, c’est le cas d’à peine 20 % des résidants de Parc-Extension, à une dizaine de kilomètres de là.

Les raisons de la faible vaccination des résidants de Parc-Ex sont multiples, dit Mme Dupuis. « Certains ont des horaires de travail qui rendent difficile le déplacement dans les centres de vaccination. Certains ne parlent ni français ni anglais. » La méfiance envers le vaccin n’est pas un obstacle majeur, selon Stella Bailakis, de la Table de quartier de Parc-Extension, qui fait du porte-à-porte pour informer les résidants. « Sur cent personnes, seulement deux diront qu’elles ne veulent pas du vaccin », dit-elle.

L’un des obstacles à surmonter, selon Salam Elmenyawi, c’est tout simplement… de prendre rendez-vous.

« Les gens savent qu’ils ont la chance de se faire vacciner alors que beaucoup d’autres ne l’ont pas. Et je pense qu’à partir du moment où ça devient facile de se faire vacciner, qu’on n’a pas à utiliser un ordinateur, avoir l’internet, les gens viennent. »

— Salam Elmenyawi, imam de la mosquée Assuna Annabawiyah dans Parc-Extension

Le CIUSSS a ainsi pris contact avec l’imam Elmenyawi, qui lui a offert les locaux de la mosquée pour deux après-midi de vaccination sans rendez-vous. La clinique, il va sans dire, est ouverte à tous ceux qui sont actuellement admissibles à recevoir une première dose de vaccin, peu importe leur confession. Pour M. Elmenyawi, l’occasion était une façon de souligner « le rôle de notre lieu de culte dans la société ». « C’est l’une des plus anciennes mosquées du Québec, a dit Salam Elmenyawi. C’est important de montrer que nos portes sont ouvertes à tous, et que nous affrontons tous ensemble ces difficultés, peu importe notre couleur, notre genre, notre origine ethnique. »

Divers facteurs en cause

Pour la professeure et experte à l’École de santé publique de l’Université de Montréal (ESPUM) Roxane Borgès Da Silva, la variation des taux de vaccination entre les différents quartiers de Montréal s’explique par divers facteurs, qui peuvent à se superposer.

« Le premier, c’est l’accès à la vaccination pour des questions de langue. C’est fort probable que dans les quartiers où il y a beaucoup d’immigration et des communautés culturelles qui ne regardent pas les nouvelles, ça diminue. L’initiative du camion-crieur, il y a quelques semaines, ça partait de là », rappelle-t-elle, en faisant référence au véhicule muni de plusieurs haut-parleurs qui était à l’œuvre, il y a deux semaines, dans l’ouest de l’île de Montréal, afin d’annoncer l’ouverture de nouvelles cliniques mobiles de vaccination contre la COVID-19, et ce, dans plusieurs langues.

« On constate que c’est aussi souvent une question d’accès géographique à des cliniques de vaccination à proximité. L’âge des résidants par quartiers est aussi une énorme variable, probablement la plus déterminante, même. Plus la population est âgée, plus elle sera vaccinée rapidement. »

— Roxane Borgès Da Silva, de l’ESPUM

La bonne nouvelle, ajoute la spécialiste, est que le taux de vaccination semble très élevé dans les secteurs où le personnel des écoles ainsi que les parents des élèves ont reçu leur première dose de vaccin dans le cadre d’un projet pilote, au cours des derniers mois. Dans Côte-Saint-Luc-Nord, l’un des secteurs qui avaient été ciblés par la Santé publique de Montréal, c’est plus d’une personne sur deux qui a maintenant reçu sa première dose. Cela dit, à l’inverse, dans LaSalle Heights, moins d’une personne sur cinq l’a reçue, ce qui en fait l’un des secteurs les moins protégés contre le coronavirus actuellement.

C’est le quartier de la Cité-Jardin, situé près de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, qui présente le taux de vaccination le plus élevé dans l’île de Montréal, avec 61,6 % de ses résidants ayant reçu leur première dose, tous âges confondus. La présence de nombreux travailleurs de la santé pourrait notamment expliquer l’atteinte de ce seuil.

S’il demeure difficile d’établir un lien avec les conditions socioéconomiques pour le moment, ces disparités démontrent tout de même l’importance de mettre sur pied des approches « ciblées et locales », affirme Mme Da Silva. « Pour le dépistage, pour la vaccination, pour presque tout en fait, développer des approches communautaires amène beaucoup de bénéfices qu’il faut considérer encore davantage », lance-t-elle.

« L’idée du vaccin, c’est de sauver des vies »

En entrant dans la mosquée, les visiteurs sont invités à retirer leurs chaussures ou à enfiler des couvre-chaussures, avant de monter le grand escalier. Ahmed El Bidaoui dirige les visiteurs vers la salle de prière, où sont installés cinq vaccinateurs. L’homme de 70 ans est déjà vacciné depuis deux mois. « J’attends ma deuxième dose ! », dit-il, enthousiaste.

« Ici, dans Parc-Extension, les immigrants représentent environ 95 % des résidants, dit-il. Pakistanais, Indiens, Arabes, Marocains, Algériens… Moi, j’ai perdu deux membres de ma famille au Maroc à cause de la COVID-19. Chaque personne ici a perdu des membres de sa famille. Parfois deux, trois, quatre, cinq membres… Alors, les gens veulent le vaccin. Et ils savent aussi que l’an prochain, ou dans deux ans, quand ils vont vouloir retourner au pays, ils devront être vaccinés. »

Stella Bailakis dit avoir vu l’attitude des résidants changer très rapidement dans les derniers jours, particulièrement chez les gens originaires du Sud-Est asiatique. « Avec ce qui se passe en Inde, les gens qui étaient réticents à prendre le vaccin ont changé d’idée », dit-elle.

« Je me souviens d’une personne qui me disait, il y a encore deux semaines, qu’elle ne voulait pas avoir le vaccin. Et je viens de la voir, tantôt, dans la file d’attente, pour recevoir sa dose. »

— Stella Bailakis, de la Table de quartier de Parc-Extension

L’imam lui-même est parfois interpellé par des fidèles musulmans qui hésitent à se faire vacciner. « Par exemple, certaines personnes veulent savoir si les vaccins Moderna ou Pfizer sont halal, en raison de l’utilisation de cellules souches dans la conception du vaccin – des cellules souches qui datent maintenant de plusieurs années –, mais non, il n’y a pas de problème de ce côté. L’idée du vaccin, c’est de sauver des vies. Si vous refusez de le recevoir, ça n’a pas de sens puisque vous mettez votre vie en danger. »

D’autres se sont demandé s’il était correct de se faire vacciner pendant la période du jeûne du ramadan. « Il n’y a pas de problème non plus, dit l’imam. Le vaccin, ce n’est pas de la nourriture, ou des vitamines. On peut le recevoir pendant le jeûne. » Lorsqu’ils ont fait la tournée du quartier pour annoncer l’ouverture prochaine de cette clinique éphémère, les organisateurs n’ont pas indiqué quel serait le vaccin qui allait être distribué. Finalement, les visiteurs ont eu droit mardi à une dose du vaccin à ARNm de Pfizer. « On n’aurait pas eu autant de monde si on avait distribué de l’AstraZeneca », a reconnu une employée du CIUSSS qui ne s’est pas nommée.

Ahmed El Bidaoui le confirme. « Tout le monde demande : est-ce qu’on donne du Pfizer ? Oui, on donne du Pfizer. Si on avait donné un autre vaccin, ils seraient partis. » Dans la file d’attente, à l’extérieur, Rahat Suja attend son tour avec deux amis. « Je passais dans le coin et j’ai vu la clinique. J’avais déjà un rendez-vous à la mi-mai, mais je vais me faire vacciner tout de suite, puisque c’est du Pfizer. » Tanvir Rana Hasan, lui, dit qu’il aurait pris le vaccin d’AstraZeneca quand même. « Il faut se faire vacciner. »

Et pourquoi pas au parc ?

Interrogée sur les moyens de faire augmenter le taux de vaccination dans le quartier Parc-Extension en particulier, la présidente adjointe du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, Francine Dupuis, s’est dite ouverte aux suggestions du public. « Nous regardons toutes les possibilités », a dit Mme Dupuis. D’ailleurs, le CIUSSS a mis sur pied six sites de vaccination éphémères dans le quartier ces derniers mois. « On pourrait même vacciner au parc cet été », a lancé Mme Dupuis. « Si vous avez des idées, envoyez-les-nous, nous sommes prêts à vous écouter. »

— Judith Lachapelle et Henri Ouellette-Vézina, La Presse

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