Vade retro nacho

Pensez-vous vraiment que c’est l’absence de connaissances au sujet du gras, du sucre ou du sel contenus dans certains aliments qui fait qu’on en mange trop ?

Moi, en tout cas, ce n’est pas parce que j’ignore que le Nutella est rempli de gras et de sucre que j’en mange parfois à la cuillère avec délice. Même chose avec le sirop d’érable. Du sucre pur. Je sais. Mais quand même : direct de la bouteille.

Pensez-vous vraiment que la personne qui a un surplus de poids ignore la différence entre l’apport nutritif d’une salade verte et celui d’une frite ?

Elle le sait. Croyez-moi.

Voici pourquoi j’ai laissé tomber un immense soupir en lisant dans le reportage de ma collègue Stéphanie Bérubé paru ici hier que Santé Canada veut obliger les fabricants alimentaires à afficher un nouveau logo sur leurs emballages. Un logo qui dit quand le contenu de leurs aliments dépasse les 15 % de la valeur maximale en gras saturés, en sucre et en sel recommandée par Ottawa.

Est-ce que ça veut dire qu’il va y avoir un logo géant sur chaque pot de miel, chaque livre de beurre, chaque yaourt à 10 % de matière grasse, chaque biscuit au chocolat maison qu’on achète à la petite boulangerie du quartier  ?

Je ne sais pas.

Et ce que je ne sais pas non plus, c’est pourquoi continue-t-on de croire que la lutte contre l’embonpoint grandissant dans la société, certes un réel problème, passe par l’ajout d’informations sur nos aliments ?

Carotte = c’est bon. Vous avez le feu vert. (Peut-être devrait-on commencer à mettre des petits autocollants sur chacune d’elles ?)

Chips = non, plein de gras et de sel ! Vade retro nacho et taco !

Allô, Santé Canada : c’est précisément parce que c’est plein de gras et de sel qu’on aime ça. Le dire n’y changera rien.

Une recherche de Véronique Provencher et Raphaëlle Jacob, de l’École de nutrition de l’Université Laval, parue l’an dernier dans la revue Current Obesity Reports, le démontre. Oui, ces étiquetages influencent la perception rationnelle, cognitive que l’on a des aliments dans l’axe « santé, pas santé ». Mais est-ce que cela change nos comportements, nos choix d’en manger ou non ? Pas systématiquement et pas de façon constante.

Une autre recherche, américaine cette fois, parue en 2016 aussi, va précisément dans le même sens. Camilla Rising, de l’Université George Mason, en Virginie, et Nadine Bol, de l’Université d’Amsterdam, deux spécialistes de la communication, ont regardé l’impact sur la clientèle de l’étiquetage à propos des calories dans les restaurants américains. Le message passe-t-il ? Résultat ? Oui, l’étiquetage amène certaines personnes à choisir les aliments moins caloriques, mais des personnes qui avaient déjà un comportement de « contrôle » par rapport aux aliments. Bref, ce sont les personnes déjà sensibles aux calories qui ont réagi. Les autres ? Aucun impact, aucun changement de comportement. Recommandation des auteures ? « Considérer des types d’intervention qui touchent d’autres facteurs influençant les choix. »

***

Il y a quelques mois, j’ai croisé dans une soirée un homme politique qui a) cherche à perdre du poids – il fait lui-même des blagues là-dessus ; b) est sceptique par rapport à ma thèse que le problème de suralimentation de nos sociétés est beaucoup trop complexe pour qu’on s’imagine le régler par de l’étiquetage sur le sucre, les calories, le gras, et compagnie ; et c) qui engloutissait des petits gâteaux alors qu’on se parlait.

« Pourquoi, selon vous, êtes-vous en train de manger tous ces gâteaux ? lui ai-je demandé. Est-ce parce qu’ils n’ont pas d’étiquette sur leur contenu en sucre ? »

Il a alors un peu ri, avant de me dire qu’il était affamé parce qu’il n’avait pas dîné le midi, avant d’enchaîner en m’expliquant à quel point la vie en politique est compliquée et ne permet pas de manger à table, calmement, de vrais repas…

Ahhhhh…

En voilà une réponse réellement intéressante.

Et si c’était le mode de vie à la course qui était en cause ? 

Ou encore l’accès limité aux aliments frais et naturels sans excès de sodium et de sucre quand on en a besoin (à prix raisonnables) ? Ou encore notre attitude par rapport à la nourriture ? Vous savez, le grand jeu de yoyo infernal du « je me prive, je me prive, je me prive… je craque et j’en mange trois fois trop »… 

***

Ce n’est pas une mauvaise idée de vouloir pousser les fabricants alimentaires à mieux cuisinier, pour nous vendre de meilleurs produits, sans additifs, sans saveurs artificielles. C’est bon de vouloir agir pour qu’on mange mieux.

Mais pour cela, il faut chercher à comprendre les raisons réelles pour lesquelles les gens mangent trop et dépassent leurs réels besoins énergétiques en consommant des aliments souvent pas terribles. Et d’ailleurs, pourquoi y a-t-il tant d’aliments pas santé sur le marché ? Et il va falloir aussi accepter le fait qu’il n’y a ni solution miracle ni analyse tranchée par rapport à tout cela.

En alimentation, c’est l’excès qui est le problème. Pas les aliments en soi. Pour certaines personnes – les enfants en pleine croissance, les ados, les adultes qui courent des marathons, les mangeurs intuitifs qui arrêteront de manger quand ils auront satisfait leurs besoins sans autre stress –, le sirop d’érable ou les biscuits bourrés de bon sucre et de bon gras ne sont pas mauvais.

On n’a pas du tout affaire au même problème de santé publique que celui causé par la cigarette, où on a agi notamment par l’étiquetage, mais où le produit est nocif pour tout le monde de la même façon. La nourriture, c’est totalement différent. On en a besoin pour vivre.

Là où il y a des problèmes réels et complexes à affronter, c’est du côté du prix et de la disponibilité des aliments frais et, aussi, entre autres, du côté des additifs chimiques et autres ingrédients douteux que l’industrie utilise dans les aliments vendus à grande échelle.

Si on veut réglementer ça, pour avoir plus d’aliments « santé » dans les frigos et garde-mangers des Canadiens, qu’on en parle. Ça, ce serait une vraie bonne idée.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.