Vies et morts de Kamal Medhat

EXTRAIT

« Puis elle ajouta, à propos des femmes irakiennes : — Elles idéalisent toujours les hommes américains d’après ce qu’elles en ont vu dans les films hollywoodiens. Elles s’attendent à trouver des gars respectueux, ouverts, cultivés. Mais les Américains les prennent pour des putes : c’est la façon dont ils traitent toutes les femmes qui travaillent ici. Elle nous raconta l’histoire d’une très jolie journaliste irakienne partie interviewer un jour des soldats américains et qui n’était jamais revenue. Nermine avait la conviction qu’ils l’avaient enlevée, violée et tuée, avant de faire disparaître toute trace du crime. »

LE LIVRE DE LA SEMAINE

L’inaccessible cohésion

Vies et morts de Kamal Medhat

Ali Bader

Seuil, 336 pages

3 étoiles et demie 

À couteaux tirés depuis des lustres, l’Irak et l’Iran constituent la toile de fond de ce neuvième roman d’Ali Bader. L’écrivain irakien domicilié en Europe – à qui l’on doit Papa Sartre, maintes fois primé – livre ici une histoire de meurtre plutôt anodine dans le regrettable contexte du Proche-Orient contemporain.

L’évocation de Kamal Medhat, compositeur et violoniste irakien renommé assassiné à Bagdad en 2006, est le prétexte d’une réflexion sur les mœurs sociales, religieuses et politiques, les différentes identités et la tradition de violence de cette région stratégique.

Le narrateur est chargé d’enquêter sur la mort de ce musicien qui a dû quitter l’Irak quand ce pays a décidé en 1950 – après la guerre israélo-arabe – d’expulser les citoyens juifs (salut à vous, cher Naïm Kattan !).

Débute alors une vie d’errance qui mènera l’artiste de Bagdad à Damas puis à Téhéran avant un retour fatal dans la capitale irakienne. Une existence épuisante, incarnée sous trois identités, parsemée de rencontres avec bien des femmes, notamment trois épouses qui lui donneront trois fils aux identités divergentes : l’un sera juif et les deux autres chiite et sunnite.

L’histoire de ce roman est bien agencée, si réaliste qu’on a parfois l’impression que ce violoniste a vraiment existé. 

Les amateurs de Fernando Pessoa seront de plus ravis de trouver dans cette méditation littéraire sur l’identité un brin d’intérêt poétique.

Elle permet aussi de constater le chaos que représente le Proche-Orient depuis la création d’Israël, puis la mort de Nasser. La révolution islamique en Iran, les guerres d’Irak et du Koweït, les dictatures, interventions américaines et agressions de part et d’autre ont conduit à l’actuelle menace du groupe armé État islamique.

Une répétition d’agressions que le héros humaniste du roman n’aurait pas été surpris de constater, lui qui pensait fédérer les âmes avec sa musique et espérait voir renaître le lustre passé de cette région où la cohésion des diversités semble décidément inaccessible.

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