Chronique

Désolé pour votre agression…

Près d’un an après l’électrochoc du mouvement #AgressionNonDénoncée, la direction de l’UQAM prend-elle assez au sérieux la question du harcèlement sexuel ? Si on se fie aux résultats de l’une des premières enquêtes menées dans la foulée de la crise de l’automne dernier, la réponse est non. Ce n’est pas sérieux du tout. C’est à proprement parler scandaleux.

Selon nos informations, bien qu’une enquête menée à la suite d’une plainte contre un professeur au Bureau d’intervention et de prévention en matière de harcèlement de l’UQAM démontre qu’il y a bel et bien eu harcèlement sexuel, l’université a décidé de n’appliquer aucune sanction. Raison invoquée ? Le comportement reproché au professeur a eu lieu à l’extérieur du campus, dans un cadre non universitaire.

Quel genre de message une décision aussi absurde envoie-t-elle à la victime ? Désolé, chère étudiante. Vous avez été victime de harcèlement sexuel par un de nos employés en situation d’autorité, c’est vrai. Nous sommes contre le harcèlement, bien sûr. Mais seulement s’il se produit dans un cadre universitaire…

Quel genre de message la décision envoie-t-elle au corps professoral ? Notre communauté universitaire ne tolère pas le harcèlement. Mais si cela se passe hors des heures de travail, il n’y aura pas de sanction…

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Appelons-la Catherine (*). Elle est titulaire d’une maîtrise de l’UQAM. C’est elle qui, avec beaucoup de réticences, s’est résolue à déposer une plainte contre un professeur de son alma mater.

Longtemps, Catherine s’est tue. Elle s’est tue comme se taisent encore trop souvent les victimes d’agression sexuelle. Elle se disait ce que se disent bien des victimes dans sa situation : « Pourquoi on me croirait ? Moi, jeune étudiante. Lui, professeur, en position d’autorité. Qui croira-t-on ? »

Elle craignait les conséquences. Elle craignait d’être pénalisée pour la suite de son parcours universitaire. Personne n’a envie d’être « cette fille-là ». Celle qui porte plainte. Celle qui dérange.

Elle s’est donc tue pendant trois ans, se réfugiant dans le déni. Jusqu’à ce que les réactions suivant des dénonciations anonymes à l’UQAM la poussent à rompre le silence. Rappelez-vous ce qui s’est passé l’automne dernier… Dans la foulée de l’affaire Jian Ghomeshi – cet ex-animateur de la CBC accusé d’agression sexuelle – et du mouvement #AgressionNonDénoncée, des professeurs avaient vu la porte de leur bureau placardée d’autocollants dénonçant la culture du viol. Aussi condamnables qu’elles soient, ces dénonciations illustraient la rupture d’un lien de confiance entre l’université et ses étudiantes.

L’histoire avait fait les manchettes. Il y avait malaise. L’UQAM a dénoncé la campagne anonyme et ouvert une enquête à ce sujet. Dans la tourmente, le vice-recteur aux affaires universitaires, Marc Turgeon, a invité les victimes à porter plainte en utilisant les « voies officielles », c’est-à-dire en s’adressant au Bureau d’intervention et de prévention en matière de harcèlement de l’UQAM.

« Les voies “officielles” de l’UQAM sont tellement efficaces. Not », avait ironisé le collectif féministe Les Hystériques sur sa page Facebook.

Catherine, qui poursuivait alors des études doctorales dans une autre université, a senti la colère monter en elle. Elle avait elle aussi des doutes quant à l’efficacité des « voies officielles ». Malgré tout, elle a décidé de suivre les recommandations du vice-recteur et de donner la chance au coureur. En novembre, elle a déposé une plainte officielle à l’UQAM.

Le processus fut éprouvant. Anxiété, nuits blanches, frustrations, larmes… Sept mois plus tard, la décision tombe. Même si les conclusions de l’enquête sont sans équivoque – il y a bel et bien eu harcèlement sexuel –, Catherine n’a malheureusement pas le sentiment que justice a été rendue. Car comme je le disais au début, bien que les faits reprochés soient avérés, aucune sanction n’a été appliquée, sous prétexte que l’agression a été commise à l’extérieur du campus, dans un cadre non universitaire.

Voilà qui me semble parfaitement incohérent. Un professeur ne perd pas son statut de professeur après les heures de cours. Que ce soit dans un 5 à 7, dans un bar au coin de la rue ou dans une fête privée, il demeure une figure d’autorité, avec les mêmes pouvoirs (évaluation, octroi de contrats de recherche, etc.) et les mêmes responsabilités à l’égard de ses étudiants.

Que l’on considère que les seuls comportements abusifs qui méritent des sanctions sont ceux qui sont commis dans un cadre strictement universitaire est pour le moins absurde.

D’autant plus absurde que cela exclut sans doute d’emblée la majorité des cas de harcèlement, surtout aux cycles supérieurs.

Traiter les plaintes de cette façon, c’est choisir un faux-fuyant. Un moyen détourné de se tirer d’embarras tout en évitant la question de fond… Du harcèlement sexuel à l’UQAM ? Mais non, voyons, cela s’est passé dans une fête privée !

Comment la direction de l’UQAM justifie-t-elle une telle décision ? Elle la justifie en haussant les épaules. Pour qu’il y ait sanction, « il faut que ça se passe dans le cadre d’activités uqamiennes », m’explique-t-on. Une fête privée où se retrouveraient des professeurs et des étudiants n’est pas considérée comme une activité « uqamienne ».

La juridiction de l’UQAM ne s’applique pas hors du cadre des activités universitaires, dit-on. Tout ce que l’université peut faire dans un tel cas, c’est de la sensibilisation, croit-on. Si une victime se sent lésée, elle peut entamer un processus judiciaire au criminel.

Pourtant, comme le reconnaît la direction, rien dans la politique 16 contre le harcèlement sexuel à l’UQAM ne précise qu’il faut que le comportement reproché ait lieu durant les activités universitaires pour qu’il y ait sanction. « La Politique no 16 contre le harcèlement s’applique à l’ensemble du personnel qui travaille à l’Université et aux étudiantes, étudiants qui y poursuivent leurs études », lit-on. Un des objectifs est de « maintenir pour les membres de la communauté universitaire un milieu d’études et de travail libre de toute forme de harcèlement sexuel ».

À la suite de la tourmente de l’automne dernier, la direction de l’UQAM avait reconnu que son mécanisme de traitement des plaintes était inadéquat et avait posé des gestes concrets pour corriger le tir. Malgré un contexte de restrictions budgétaires, on avait donné le feu vert à l’embauche d’une intervenante spécialisée en relation d’aide, qui accompagne les victimes d’agression sexuelle sur le campus.

C’était un pas dans la bonne direction. Mais ce n’est pas suffisant. L’histoire de Catherine illustre qu’au-delà des discours vertueux sur le sujet, quelque chose ne tourne toujours pas rond pour les victimes d’agression sexuelle.

Comment changer les choses ? Comment mieux protéger les victimes ? Même si le processus des « voies officielles » est aussi éprouvant qu’imparfait, Catherine espère que d’autres victimes porteront plainte afin de forcer l’université à rajuster le tir.

Ça tombe bien. L’UQAM est justement en train de réviser sa politique contre le harcèlement sexuel. Une nouvelle version fait en ce moment l’objet d’une consultation et devra entrer en vigueur dès 2016. Espérons qu’elle corrige ce genre d’aberrations et veille à réellement protéger les étudiantes.

(*) Nom fictif

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