Marketing

Porte-parole de demain

Lydiane St-Onge a pris en 2013 une décision dont rêvent bien des gens : elle a vendu tous ses biens au Québec pour faire le tour du monde. Peu après son départ pour les Philippines, elle a mis sur pied une page Facebook pour informer ses proches de ses aventures. Elle a vite attiré 10 000 abonnés.

Surprise, mais ravie par cet engouement, l’ancienne participante à la téléréalité Occupation double a commencé à recevoir des appels d’entreprises qui souhaitaient la commanditer. Des groupes comme La Cordée, Osprey ou GoPro, tous liés au monde du plein air et du voyage – sa passion. Elle a conclu quelques partenariats, avant de signer une nouvelle ronde d’ententes plus formelles l’an dernier. « Ça a pris un an avant que ça prenne un tournant business », raconte Lydiane St-Onge, jointe par vidéoconférence en Jordanie.

Deux ans et des poussières après son grand départ, la jeune femme de 29 ans est aujourd’hui « ambassadrice de marque » pour une demi-douzaine d’entreprises. Elle les fait rayonner auprès de 65 000 abonnés sur Facebook et de 19 000 sur Instagram, en plus de créer des contenus exclusifs pour leurs sites et de prononcer quelques conférences lorsqu’elle passe au Québec. La campagne récente « Partout chez vous », de Rogers, a marqué un tournant en lui donnant une visibilité pancanadienne.

Lydiane St-Onge peut aujourd’hui vivre sobrement de ses commandites, qui lui permettent de voyager partout dans le monde. Surtout, elle entrevoit un bon potentiel de croissance à long terme. « C’est comme une PME qui commence. Je suis sur le point de commencer à prendre des employés. »

« TENDANCE LOURDE »

Si le recours à des « influenceurs » représente toujours une mince proportion des budgets publicitaires pour les grands annonceurs canadiens, la tendance s’accélère depuis 18 à 24 mois. De nombreuses entreprises d’envergure, de Desjardins à Uniprix en passant par Transat et Rogers, consacrent une part grandissante de leurs ressources pour gagner de nouveaux publics par ce canal.

« C’est une tendance lourde, c’est-à-dire que cette tendance-là, selon moi, n’est pas éphémère », dit Cristiane Bourbonnais, présidente de Cohésion Stratégies, un cabinet-conseil en stratégie de marques.

« [Cette tendance] est là pour s’implanter et va prendre beaucoup d’expansion, car on assiste à la montée de gens qui sont très jeunes, qui s’expriment par l’entremise des médias sociaux et qui ont quelque chose à dire. »

— Cristiane Bourbonnais, présidente de Cohésion Stratégies, cabinet-conseil en stratégie de marques

Avoir « quelque chose à dire », dans ce cas-ci, recèle une valeur de premier plan pour les annonceurs. Les entreprises cherchent à s’associer à des gens éloquents, qui partagent leurs passions – pour le voyage, le bien-être corporel, les sports, etc. – à un large auditoire sur les réseaux sociaux. Ces porte-parole nouveau genre se distinguent ainsi du mouvement des YouTubers, qui multiplient les vidéos sur leurs états d’âme sur YouTube, sans avoir nécessairement une ligne directrice claire.

Selon Christiane Bourbonnais, le recours croissant aux jeunes influenceurs s’inscrit d’abord et avant dans une quête « de sincérité et d’authenticité ».

« Beaucoup de modèles d’autorité ont été immensément décevants, souligne-t-elle. On peut penser à tout ce qu’il y a eu comme scandales autour de DSK, Rob Ford ou Gilles Vaillancourt. Ici, on est dans des modèles de gens qui s’expriment sans retenue, sans filtre, et qui sont immensément crédibles. On s’inscrit dans un courant social qui démontre un fort potentiel à long terme. »

DES RÉSULTATS CONCRETS

Le courant semble en effet dépasser l’effet de mode. Selon les annonceurs à qui nous avons parlé, le recours à des jeunes influents sur les médias sociaux peut générer des résultats bien tangibles.

La chaîne de pharmacie Uniprix, par exemple, s’est associée avec Virginie Goudreault, fondatrice du populaire blogue Blond Story. Ce partenariat visait à rejoindre une clientèle de femmes de 25 à 40 ans et à stimuler l’achalandage dans les différents points de vente, explique Caroline Blazys, chef de service, marketing relationnel et internet, chez Uniprix.

La blogueuse a organisé huit ateliers beauté dans des succursales Uniprix, où les membres de sa communauté virtuelle étaient invitées. Des événements qui ont attiré près de 500 clientes et généré des ventes supérieures à la moyenne de 250 %.

« Comme n’importe quelle entreprise, on développe un business model avec nos blogueuses, et il faut que ce soit un investissement rentable. »

— Caroline Blazys, chef de service, marketing relationnel et internet, chez Uniprix

Uniprix dépense aujourd’hui environ 10 % de son budget marketing sur les réseaux sociaux, l’équivalent de centaines de milliers de dollars chaque année. « C’est un budget qui était à zéro il y a quelques années et qui augmente d’année en année », précise Caroline Blazy.

« ÇA A EXPLOSÉ »

Rosalie Champagne a fondé La Grosse Business, une microagence de marketing 2.0, pour profiter de cette tendance en plein essor. Cette jeune publicitaire a fait ses classes en Australie de 2012 à 2014, où elle représentait une vingtaine de blogueurs influents au sein de l’agence The Remarkables Group.

« Mon rôle était de développer des partenariats, mais la première année, j’ai aussi eu à faire beaucoup de sensibilisation, explique-t-elle. Ensuite, ça a complètement explosé. »

Les annonceurs australiens ont embarqué à fond dans l’expérience, au point que la moitié des blogueurs de l’agence gagnaient plus de 100 000 $ au terme de la première année, dit Mme Champagne.

« Mon impression, c’est que ça va vraiment exploser au Québec d’ici la prochaine année, avance-t-elle. Une fois qu’un groupe comme Desjardins ou Uniprix a fait le saut, ça vient servir de “case study” pour tous les autres, pour montrer la valeur qu’on peut trouver dans de telles campagnes. »

Si les statistiques sont rares sur cette industrie naissante au Québec, Rosalie Champagne signale que les annonceurs injectent en général de 3000 à 10 000 $ pour une campagne avec un influenceur, et parfois jusqu’à 25 000 $. Sa jeune boîte a travaillé avec de nombreux clients de premier plan au cours de la dernière année, dont Desjardins, Nautilus Plus et Uniprix.

« Il y a beaucoup d’éducation à faire, et c’est un peu notre mission en ce moment, dit-elle. On éduque autant les clients sur la valeur de telles campagnes que les blogueurs. Par exemple, on doit les avertir de ne pas accepter une paire d’espadrilles contre 15 heures de travail ! Il faut que ce soit profitable autant pour l’entreprise que pour le blogueur, car de plus en plus en vivent. »

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