Ski acrobatique

Maxime Dufour-Lapointe tourne la page

Quand Maxime Dufour-Lapointe s’est présentée à Tremblant en janvier dernier, elle savait « un petit peu » que ce serait sa dernière compétition. Elle avait choisi de ne pas prendre de décision sous le coup de l’émotion, mais dans son for intérieur, elle voyait ce qui s’en venait.

C’était, en quelque sorte, la suite logique d’une année qui avait bouleversé sa vie.

« Je savais que je n’avais pas été retenue pour les Jeux olympiques. Je skiais, mais j’avais mal. J’avais de la misère à me laisser aller. J’étais sur le frein, car ma hanche ne pliait pas bien. Je skiais le mieux possible et ça me donnait à peine des finales. Il y avait plusieurs petits murs à briser, et chaque fois je les brisais, mais n’était jamais assez.

« À Tremblant, je me suis dit, j’ai tout fait. Je ne m’en veux pas. J’ai eu du plaisir. Après tout ça, j’étais assez en paix. J’étais allée au bout de mon potentiel dans le sport. »

Sportivement, elle traînait depuis plus d’un an un malaise à la hanche. Cette douleur chronique, apparue en octobre 2016, l’avait forcée à passer sous le bistouri à la fin de la saison. Son labrum était déchiré aux trois quarts. Il fallait le reconstruire.

Côté humain, Maxime Dufour-Lapointe avait vécu difficilement le cancer de sa mère Johane, découvert en janvier 2017. L’histoire est connue de tous, elle a éclaté au grand jour justement à cette Coupe du monde à Tremblant. On comprenait mal toutefois à quel point ça avait chaviré une famille tricotée serré. Maxime a été l’une des premières à voir sa mère étendue sur le sol, incapable de se lever en raison de la douleur. Le diagnostic, et tout ce qui a suivi, lui est tombé dessus comme un mur de briques. Surtout qu’elle a vécu l’épreuve avec sa mère, à ses côtés, pendant qu’elle se remettait de son opération à la hanche.

« Mes sœurs sont tout de suite retournées en mode entraînement. J’étais tiraillée. Mon but était d’aller aux Jeux, mais tout d’un coup, ma mère pouvait mourir. C’est un choc des perspectives. C’est ce qui m’a frappée. Skier et te faire mal est-il si important quand ta mère est malade ? Ça n’avait plus de sens. J’allais avec elle pour les traitements de radio. Comme c’était une masse au poumon, le faisceau brûlait son œsophage. Elle ne pouvait plus manger, c’était dur. Tu ne peux rien faire d’autre que d’être là. »

Aujourd’hui, Johane Dufour va bien, mais elle considère son cancer comme une maladie chronique. « Ce n’est pas fini. Ça continue à se développer, mais c’est lent, elle continue d’autres traitements. »

Maxime, elle, ne s’est pas qualifiée pour les Jeux olympiques, puis elle a commencé à imaginer son nouveau rôle. Elle a accompagné ses sœurs au camp préolympique, une expérience aigre-douce pour elle. Au moins, elle en a profité pour faire son deuil de sa vie d’athlète. Elle allait tout faire pour aider ses sœurs aux Jeux de PyeongChang. Ensuite, c’était le moment, après des années en trio, de se séparer un peu du groupe.

Maxime avant Dufour-Lapointe

Pour beaucoup, les Dufour-Lapointe viennent en trio. Avec Maxime la grande sœur, qui joue son rôle naturel de grande sœur, et Chloé et Justine, plus jeunes. Sa mère, leur agente, l’a toujours voulu ainsi : si quelqu’un demandait une sœur, il en avait trois. « On venait en paquet », illustre Maxime en riant.

« C’est important de savoir qui on est individuellement. C’est un cadre de l’extérieur qui a l’air très intense. Mais pour nous, c’était normal d’être tout le temps ensemble. Nos parents ont toujours vu nos individualités. On a aussi toujours eu l’ouverture d’esprit de voir qu’on continuait d’évoluer. C’est aussi le choix qu’on a fait, on va évoluer en tant que groupe, car les forces de l’une compensent les faiblesses de l’autre. Je me sens plus complète à partager ma vie avec mes sœurs. »

Maxime assure qu’une telle chimie ne se crée pas artificiellement. Elle jure aussi qu’elle n’a jamais été jalouse des succès de ses sœurs, qui ont amassé pas mal plus de récompenses qu’elle. Maxime a gagné 4 médailles en Coupe du monde, contre 27 pour Chloé et 43 pour Justine. Justine et Chloé ont également chacune un titre mondial, et Justine a gagné l’or olympique en 2014, tout juste devant Chloé.

« Ça me faisait plus me questionner, moi, sur comment je pouvais être meilleure. Je voulais être au sommet avec elles. Ça m’a toujours poussée à vouloir être meilleure. Ça n’a jamais été de la jalousie parce que c’est un sport individuel. Es-tu fière de ce que tu as fait ? Est-ce que c’était ton max ? Si oui, c’est une chose, mais sinon, continue de chercher. »

— Maxime Dufour-Lapointe

La symbiose entre les sœurs est née d’abord des activités familiales qu’elles faisaient ensemble. Elle a grandi dans le ski acrobatique, d’abord pratiqué par Maxime, puis ses jeunes sœurs. Elle se poursuit aujourd’hui, car les sœurs vivent toutes ensemble, avec leurs parents, dans le même quadruplex. Elles ont également des projets hors-piste, avec leur entreprise de colliers, avec leur implication pour Sainte-Justine, et certains autres projets toujours secrets.

Mais plus que jamais, avec la retraite sportive, Maxime trace sa propre voie. À 29 ans, elle fera son entrée en septembre prochain au programme de médecine à l’Université de Montréal, après des années à cumuler sport et études.

Maxime portera toujours le nom Dufour-Lapointe. En revanche, elle deviendra la première dont le nom sera précédé d’un Dre.

Maxime Dufour-Lapointe sur…

Le plus beau moment de sa carrière

« Le podium avec mes sœurs à Val-Saint-Côme [en janvier 2016]. Les Jeux olympiques de Sotchi [où elle a fini 12e], avec Justine et Chloé un et deux, c’est proche. Mais en termes de moment unique, c’étaient quoi, les chances qu’on se retrouve les trois sur le podium, ensemble, devant la famille et les amis à la maison ? C’est un sentiment de bonheur inégalé pour moi. À ce moment-là, je me suis dit : c’est pour ça que j’ai fait du ski aussi longtemps. C’est pour ça que ça en valait la peine. J’ai vécu ce moment avec mes sœurs. »

Le trio Dufour-Lapointe

« À l’adolescence, c’est là que tout le monde se sépare car on a des intérêts différents. Nous, on a décidé de poursuivre le même intérêt. C’est un peu comme si on forçait ensemble des atomes qui veulent s’en aller dans des directions opposées, mais ça nous a appris à nous connaître, à nous comprendre, à parler. On se chicane, c’est normal, c’est ça une relation, mais on règle tout le temps tout et on s’en parle ouvertement. Il y a beaucoup de respect même si on est capables de se tirer la pipe parce qu’on est des sœurs. »

Sa sœur Justine

« Justine, j’ai toujours aimé son tigre, son agressivité quand elle skie. Elle a une liberté d’agir. Justine, c’est le bébé de la famille. Elle a une espèce de liberté de bébé de famille parce qu’elle a plein de monde autour d’elle. Elle a une confiance en elle inébranlable. C’est ce qui fait qu’elle a tant de succès dans le sport. »

Sa sœur Chloé

« Chloé est très émotive, très sentimentale, mais elle vit bien avec ça. Elle l’utilise pour être meilleure. C’est pour ça qu’elle touche tout le monde, avec une petite pointe de vérité tout le temps. Quand tu apprends à la connaître, elle est très comique, mais aussi très aimante. Elle veut que les gens autour d’elle soient bien. C’est un petit secret. Il y a plusieurs couches autour d’elle. »

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