Chronique 

La finance et la loi sur les bancs d’école

Victoire ! Après huit ans d’absence, l’économie et la finance retrouveront leur place, pleine et entière, sur les bancs d’école à la prochaine rentrée.

Sans tambour ni trompette, le ministre de l’Éducation vient de confirmer que le nouveau Programme d’éducation financière, conçu par le ministère de l’Éducation, sera obligatoire pour tous les élèves de 5secondaire à partir de septembre 2017.

Moi qui ai réclamé si souvent le retour d’un cours d’économie au secondaire, j’ai eu le plaisir d’apprendre la bonne nouvelle alors que j’assistais à l’atelier « À vos marques, prêts, investissez ! » dans une classe de 5secondaire du collège Ville-Marie, à Montréal, il y a quelques jours. Heureuse coïncidence !

L’atelier était organisé par Éducaloi, un organisme sans but lucratif qui fait un travail exemplaire, depuis une quinzaine d’années, pour vulgariser la loi et démystifier les notions de droit qui touchent les gens au quotidien : héritage, divorce, relations de travail, consommation… Son site web est une vraie mine d’or pour les internautes en quête d’informations neutres et fiables.

Depuis six ans, Éducaloi donne aussi près de 400 ateliers par année dans les écoles secondaires pour faire prendre conscience aux jeunes des questions légales auxquelles ils font face dans leur vie de tous les jours.

Débat, simulation de procès, jeu d’investissement… les ateliers interactifs permettent d’aborder de manière ludique une panoplie de sujets allant du droit de la consommation aux droits d’auteur en passant par les normes du travail.

Tout ça en 60 minutes, top chrono. Un beau tour de force pour les 125 avocats, juges et notaires bénévoles qui animent ces ateliers partout à travers le Québec.

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Pourquoi les lois existent-elles ? Qu’est-ce qu’une entreprise ? Quelle est la différence entre des revenus, des profits et des dividendes ? Même si les notions sont abstraites, même si on est lundi matin, les élèves embarquent vite dans le jeu grâce au dynamisme du professeur d’un jour, Luc Thibaudeau, associé chez Lavery.

Les élèves ont tous reçu une somme théorique de 50 000 $ au début de la période. Pour chaque entreprise qu’on leur présente, ils peuvent investir 10 000 $ ou passer leur tour. Si l’entreprise enfreint les lois, ils perdent leur mise. Sinon, ils doublent leur capital.

Attention, c’est parti !

L’entreprise de construction Grand Gaillard a une politique d’embauche très stricte pour assurer la qualité de ses travaux : elle recrute uniquement des employés qui ont terminé leur 5e secondaire, qui ont une formation pour travailler avec la machinerie lourde et qui mesurent plus de 5 pi 10 po.

Alors, vous investissez ou pas ? Le comportement de Grand Gaillard vous semble-t-il légal ? Réponse : « Le troisième critère rend cette politique d’embauche discriminatoire parce qu’elle exclut presque automatiquement les femmes », explique Me Thibaudeau.

Zut ! Plusieurs élèves ont perdu leur mise.

Passons au restaurant Aux deux chaudrons. Le couple de propriétaires a deux enfants de 11 et 13 ans qui travaillent au resto le samedi durant l’année scolaire et quelques jours par semaine durant l’été.

Légal ou pas ? Dans la classe, la majorité des élèves jugent que les enfants n’ont pas le droit de travailler parce qu’ils ont moins de 14 ans.

« — Ce sont des enfants. Ça peut nuire à leurs études, lance Gabriel.

— Oui, mais ils travaillent le samedi et durant les vacances d’été, plaide MThibaudeau.

— Ben moi, j’ai des devoirs à faire la fin de semaine », renchérit le studieux élève. 

Peut-être, mais il n’y a aucune loi au Québec qui prévoit un âge minimal pour travailler, contrairement à une fausse croyance très répandue.

Les employeurs ont toutefois des règles à suivre, expose l’avocat. Par exemple, un employeur qui veut faire travailler un enfant de moins de 14 ans doit obtenir l’autorisation écrite d’un de ses parents. Et en dessous de 16 ans, il ne peut pas le faire travailler la nuit.

La plupart des élèves étaient dans le champ.

Troisième choix d’investissement : un administrateur de la société Unetelle veut accorder un contrat à l’entreprise Amiami. Mais il informe ses confrères qu’il s’agit de l’entreprise de sa femme et il se retire avant que les administrateurs passent au vote.

La discussion prend une tournure éthique.

« — Moi, j’ai décidé d’investir parce qu’il a dit à tout le monde que c’était la compagnie de sa femme au début de la rencontre, explique Émile.

— Ben, Émile, tu viens de faire 10 000 piasses ! », s’exclame MThibaudeau, qui enchaîne avec Sac-à-chanson, une entreprise qui vend des sacs sur lesquels apparaissent des photos d’albums de groupes populaires au Québec.

« Qui joue de la musique ? », demande Me Thibaudeau.

Charlotte lève la main. Elle joue de la trompette.

« Moi, je joue du saxophone », lui répond l’avocat. Même si ça ne paraît pas sous son costume-cravate, le spécialiste du droit de la consommation est un ancien membre des Parfaits Salauds. Il s’est converti au droit dans la trentaine après avoir été plongé dans cet univers bien malgré lui, lorsque son groupe a fait l’objet d’une poursuite.

Mais revenons au jeu. Aucun élève n’a investi dans Sac-à-chanson, flairant l’usurpation des droits d’auteur.

« Félicitations, vous avez tous évité le piège », leur confirme MThibaudeau.

Quelques projets d’investissement plus tard, la cloche sonne. Certains élèves ont empoché jusqu’à 70 000 $. Mais les moins chanceux peuvent se consoler : à tout le moins, ils ont enrichi leurs connaissances légales.

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