Trafic de stupéfiants

« D’immenses réseaux » approvisionnés en fentanyl depuis Montréal

Un réseau de trafic de drogues et d’armes lié aux Hells Angels de l’Ontario, démantelé cette semaine par la police ontarienne, était approvisionné en fentanyl depuis Montréal, a appris La Presse. Ce dangereux opioïde fait des ravages dans l’ouest du pays, mais n’a pas encore frappé le Québec, selon la ministre de la Santé publique Lucie Charlebois qui assure être sur le qui-vive. Or, le fentanyl est « aux portes » du Québec, maintient un intervenant du milieu.

Une enquête transnationale

Dix-huit suspects ont été arrêtés cette semaine à Toronto, Belleville et Montréal dans le cadre du projet SILKSTONE, a annoncé hier la Police provinciale de l’Ontario (PPO). Cette enquête transnationale de 18 mois a été orchestrée par la PPO avec l’aide de nombreux corps policiers, dont le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et l’agence américaine de lutte contre le trafic de drogue (DEA). Le projet SILKSTONE a démantelé d’« immenses » réseaux de trafiquants qui opéraient le long du corridor de l’autoroute 401, de Montréal à Toronto, et au Connecticut, aux États-Unis.

Un médicament des dizaines de fois plus puissant que l’héroïne 

Des quantités importantes de drogue ont été saisies lors des perquisitions, incluant 11 500 comprimés comportant du fentanyl, un puissant médicament analgésique des dizaines de fois plus puissant que l’héroïne et la morphine. L’an dernier, le fentanyl a fait 914 morts en Colombie-Britannique, et 116 seulement en janvier 2017. Parmi les autres stupéfiants saisis dans SILKSTONE, on compte 8 kg de cocaïne, 7,5 kg de MDMA (ecstasy), 260 g de méthamphétamine, 7200 plants de marijuana et 180 lb de bourgeons de marijuana. Un arsenal de 23 armes à feu a également été trouvé.

Un trafiquant montréalais

Le Montréalais Oscar Dobson, arrêté mardi par le SPVM, trafiquait du fentanyl à partir de la métropole, explique Paul Verreault, commandant à la Division du crime organisé du SPVM, en entrevue avec La Presse. L’homme de 38 ans au lourd casier judiciaire a été accusé en Ontario de complot et de trafic de fentanyl. « L’approvisionnement de fentanyl se faisait via ce trafiquant. C’était un des acteurs [du réseau]. L’enquête n’a pas permis de connaître l’origine du fentanyl », soutient l’officier. Le SPVM a saisi 7000 doses de fentanyl dans la métropole. Le commandant Verreault n’était pas en mesure de confirmer si Oscar Dobson était le seul fournisseur du réseau. Trois Ontariens font également face à des accusations liées au trafic de fentanyl.

Des cas légèrement en hausse au Québec

Les cas de fentanyl ont augmenté « un peu » au Québec, concède la ministre déléguée à la Santé publique Lucie Charlebois. Or, la situation n’est « pas du tout dans les mêmes eaux » qu’en Colombie-Britannique. « Là-bas, ce sont des comprimés sur le marché illégal qui se vendent, alors qu’ici, ce sont des comprimés issus du monde médical. Mais ça ne veut pas dire que c’est moins dangereux », explique la ministre, qui assure suivre de façon « très très serrée » l’évolution de la situation au Québec. « Chaque décès est un décès de trop, mais on n’a pas la même quantité de décès qu’en Colombie-Britannique. Mais sachez qu’on est très à l’affût. On va tout faire pour être proactif s’il y a besoin d’intensifier nos actions. »

Médicaments de prescription

Même si l’injection de médicaments opioïdes est en hausse à Montréal, seule une « très petite » proportion concerne le fentanyl, soutient la Dre Carole Morissette, chef médicale en contrôle des maladies infectieuses à la Direction de santé publique de Montréal. De plus, contrairement à la Colombie-Britannique, le fentanyl consommé au Québec provient de médicaments de prescription, donc de meilleure qualité. « On n’a pas cette entrée de fentanyl dans des comprimés contrefaits ou inclus dans la poudre d’héroïne et de cocaïne », explique la Dre Morissette. Néanmoins, les récentes saisies de fentanyl sont des « indices » que cette menace est bien réelle. « Si c’était le cas, ce serait une situation aussi désastreuse que celle que vit la Colombie-Britannique. Il faut se préparer pour cette possible urgence de santé », maintient-elle.

« Pourquoi on serait épargné ? »

« Il y a un grand danger, il faut absolument se préparer », s’alarme Guy-Pier Lévesque, directeur général de Méta d’Âme, un organisme qui offre des services d’aide aux dépendants aux opioïdes. Selon lui, même si la situation n’est pas « encore préoccupante », il est urgent de se préparer à l’inévitable percée du fentanyl. « Pourquoi on serait épargné ? », se questionne-t-il. Déjà, sur le terrain, les sachets d’héroïne sont beaucoup plus forts que d’habitude, possiblement coupés avec du fentanyl. « Il faut former le plus de consommateurs possible pour être en mesure d’intervenir en situation d’overdose et former le plus de premiers répondants possible », maintient M. Lévesque. L’arrivée prochaine de sites d’injection supervisée aidera aussi, ajoute-t-il.

« Une priorité » pour le SPVM

La police de Montréal traite « prioritairement » toutes les informations concernant le fentanyl, assure le commandant du SPVM Paul Verreault. « Oui, puisqu’il y a une notion de santé publique. Quand on parle de fentanyl, avec les impacts que ça cause et les risques de décès, c’est une priorité », soutient-il. Toutefois, il n’a pas noté de hausse des cas dans la métropole. La seule saisie récente à Montréal, en 2015, avait permis de retirer du marché un kilo de fentanyl prêt pour la distribution. « Dans le cadre du projet Alchimie, on a démantelé un laboratoire sur le territoire de Montréal. C’était notre première réalité avec le fentanyl », explique l’officier.

Mort d’un adolescent de 14 ans d’Asbestos

Vingt-neuf Québécois sont morts d’une surdose de fentanyl entre 2012 et 2014, incluant 10 femmes et 19 hommes, selon le Bureau du coroner. Les données de 2015 et 2016 ne sont toujours pas disponibles. La plus jeune victime, un adolescent de 14 ans d’Asbestos, avait ingéré une dose de fentanyl deux fois plus élevée que la concentration létale, selon le rapport du coroner. Il aurait volé des timbres de fentanyl prescrit à un membre de sa famille. Le Bureau du coroner a aussi répertorié dans cette période 84 morts par surdose pour lesquelles du fentanyl a été détecté aux analyses toxicologiques.

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