CONCILIATION PATRON-FAMILLE

Gérer sa culpabilité et s’organiser

Culpabilité. Le sentiment n’est pas étranger aux dirigeants d’entreprise. Même quand les absences sont assumées, nécessaires, quand la nature des fonctions est comprise par les proches ou qu’on œuvre dans les hautes sphères d’une grande entreprise depuis toujours, le sentiment peut émerger. « Constamment, on me reproche de ne pas me voir assez, avoue Robert Gosselin, président de l’agence interactive WE_ARE, père de jumelles et d’un garçon. Il y a des dates importantes où je ne suis pas présent. Ça me fait sentir coupable. »

« J’ai ressenti énormément de culpabilité, confie Elisabeth Roy, PDG de la firme de relations publiques Roy & Turner Communications et mère de deux garçons. Mais on se rend compte à la longue que les enfants font leur petite vie. Combien de fois je suis revenue à la maison pour constater qu’ils ne m’attendaient pas ? »

À la culpabilité, ajoutez la pression de se sentir responsable de dizaines d’employés… « La paye de mes employés, c’est moi ! lance Elisabeth Roy. Je suis LA responsable. »

« Je ferme mon bureau pendant les vacances de la construction, mais si on appelle à ce moment pour des projets potentiels, je soumissionne, admet Maxime Frappier, président de la firme de 40 employés ACDF Architecture et père de deux garçons. Je soutiens 40 familles ! »

Plusieurs ont néanmoins trouvé le moyen de déjouer ces deux sentiments. Elisabeth Roy a déniché une gardienne sur qui elle pouvait toujours compter. « Je l’ai eue, le jour et le soir, de 1996 à 2012. C’est une excellente décision, payante à moyen et à long terme. Elle coûtait très cher, mais était très présente. Je lui donnais autant d’argent que j’en gagnais, à mes débuts ! »

Robert Gosselin a appris à « mettre son cellulaire en mode avion » quand il se retrouve en famille. Yvon Charest, lui, opte pour la souplesse la fin de semaine.

« Ma recette, c’était d’essayer d’être le plus flexible possible le week-end. Pour garder la forme, j’ai opté pour le jogging et le ski, des choses simples. Et les samedis et dimanches matin, j’y allais avec les intérêts de la famille. »

— Yvon Charest, président et chef de la direction d’Industrielle Alliance et père de trois enfants aujourd’hui adultes

« Je ne dirigeais pas l’agenda familial quand les enfants étaient jeunes, se remémore Yvon Charest, donc c’était normal que mes intérêts ne prévalent pas. »

Les gestionnaires voient dans leur équipe au bureau de bons alliés pour concilier travail et famille. « La culpabilité arrive quand on n’a pas mis en place une équipe structurée, responsable et efficace, estime Maxime Frappier. Le chef d’entreprise doit déléguer et s’entourer de gens talentueux. J’ai une équipe de direction de confiance. Ça aide à avoir une vie plus équilibrée. »

« Pour concilier travail et famille à un tel niveau professionnel, il faut effectivement s’entourer des meilleurs talents et réévaluer périodiquement sa satisfaction vis-à-vis de son propre équilibre, dit Janylène Turcotte, directrice principale, ressources humaines de la firme comptable Deloitte. Il faut aussi accepter que certaines périodes de pointe personnelles et professionnelles viennent compromettre cet équilibre. Le dirigeant doit alors gérer le déséquilibre et essayer de refaire le plein. Pour certains, ce sera une course de vélo, pour d’autres, une sortie au cinéma. Certains hôtels offrent des groupes de course ou des séances de yoga. Parfois en insérant dans les voyages d’affaires des activités énergisantes, le dirigeant favorise le maintien de son équilibre. »

Pour Maxime Frappier, l’équilibre est atteint grâce aux activités de ski de compétition de ses garçons.

« Avec tout le stress vécu au bureau, si je n’avais pas le ski, je serais mort ! Être obligé de sortir, de prendre du recul, de s’impliquer dans les compétitions est extrêmement bénéfique. »

— Maxime Frappier, président de ACDF Architecture et père de deux garçons

Le degré de difficulté vers l’atteinte de l’équilibre augmente d’un cran quand nos fonctions nécessitent un déménagement dans un autre pays. « Les familles ne sont pas toutes capables de bien vivre un tel changement, affirme Normand Lebeau, président de la firme de recrutement Mandrake Vézina Lebeau. En entrevue, on pose des questions pour que le candidat potentiel sache dans quoi il s’embarque. Pour réussir comme PDG, ça prend assurément un appui de la famille et du conjoint. C’est vraiment un sacrifice pour tout le monde. Cela dit, à un tel niveau, le candidat potentiel a fait des sacrifices toute sa vie. »

« À l’époque, comme chef de l’exploitation, j’étais souvent à l’extérieur du siège social de Québec, raconte Yvon Charest. J’étais peu disponible en semaine. On me disait : Attention, Yvon, tu ne verras pas tes enfants grandir ! Le plus important pour moi, c’était de réussir à développer leur autonomie.

« Cela dit, l’ascension à la position de président est plus difficile qu’une fois établi en haut, ajoute-t-il. Plus jeune, je trouvais difficile d’équilibrer famille et travail. Je me plaignais jusqu’à ce que je constate que le président de l’entreprise de l’époque avait quatre enfants et celui du conseil, cinq ! »

La conciliation travail-famille n’est pas l’apanage des parents de jeunes enfants. « Petits, tu contrôles l’horaire, note Elisabeth Roy. Je rentrais chez moi tôt, je donnais les bains et je repartais pour la première d’un spectacle que j’organisais. Plus vieux, ils ont besoin de présence. De se faire conduire à leur pratique de sport. Et on dirait qu’il y a moins de sympathie et de compréhension de l’entourage quand ils sont ados : aller faire souper un enfant de 14 ans ! Vraiment ? »

« Les enfants prennent du temps, les ados, de l’énergie, ajoute Yvon Charest. Mais j’ai été chanceux, je n’ai pas eu des ados difficiles. »

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