Vie au travail

Pourquoi pas un horaire de travail amputé au Québec ?

La Suède veut révolutionner le monde du travail. Sa proposition de journée de travail de six heures frappe l’imaginaire. De plus en plus d’entreprises et d’établissements publics opteraient pour une réduction hebdomadaire de 40 à 30 heures de travail. Et ce, sans toucher au salaire.

Le site australien Science Alert rapportait en 2015 que la Ville de Göteborg, des maisons de soins et des entreprises, telles FastCompany à Stockholm, testaient la chose. On espérait ainsi réduire le nombre de journées de maladie et augmenter la productivité.

Bref, si ça fonctionne pour les Suédois, pourrait-il en être autant pour les Québécois ? 

Après tout, on vit aussi dans un territoire nordique, comme l’écrivait récemment sur Facebook Geneviève Jannelle, auteure et conceptrice-rédactrice de l’agence de pub lg2 ! 

« Si on avait actuellement des journées de dix heures, on se dirait que c’est impossible de les concentrer en huit, pense-t-elle. Mais tout se peut. Par contre, il ne faut pas simplement imaginer réussir à faire en six heures ce qu’on fait présentement en huit. Il faut repenser certains processus inefficaces. »

La conceptrice-rédactrice pointe les réunions auxquelles assistent un nombre « trop » élevé de personnes. « On envoie aussi beaucoup de courriels en mettant inutilement trop de monde en CC. Et puis l’aire ouverte dans un bureau, est-ce le meilleur aménagement pour éviter les distractions ? »

« C’est audacieux comme idée, ajoute Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés. Je n’ai jamais eu ces discussions avec des organisations. Dans les faits, ça donnerait quoi ? »

Peu d’intervenants interviewés par La Presse Affaires estiment possible une telle mesure au Québec. 

« Déjà, peu de gens font 40 heures par semaine ici. La plupart travaillent 37,5 heures. Et si c’est pour affecter la paye, peu pourraient se le permettre. »

— Isabelle Bédard, PDG de CIB Développement organisationnel

En matière de réduction du nombre d’heures de travail, Isabelle Bédard juge la semaine de quatre jours plus attrayante. « Les gens seraient alors prêts à allonger leurs heures par jour, croit-elle. Car c’est court, deux jours, pour refaire ses forces. Ce modèle nous ressemblerait davantage. »

« Depuis dix ans, on essaie différentes choses, raconte Élaine Léger, avocate en droit du travail et associée de Fasken Martineau. Dans la fonction publique, des horaires variables sont implantés et, à ce jour, c’est ce qui est le plus adéquat. Avec le quatre jours semaine, on finit souvent par en faire cinq. Mais il faut tenir compte de la nature des activités. »

IL FAUT QUE LES VOISINS SUIVENT

Les États-Unis et l’Ontario, avec qui on fait naturellement affaire, freineraient, de toute façon, les élans d’implantation de la journée de six heures. Si, au Québec, la durée normale de travail est de 40 heures, le paiement d’heures supplémentaires en Ontario ne s’applique qu’au-delà de 44. 

« La Suède n’est pas notre compétiteur. Le Québec compétitionne beaucoup avec les États-Unis, où on travaille un nombre élevé d’heures. On ne pourrait pas bien les servir dans un système de six heures par jour. »

— Samer Saab, président d’eXplorance, une entreprise qui conçoit des logiciels de gestion de l’expérience de formation

« Comme notre bassin de compétitivité est l’Amérique du Nord, il ne faudrait pas être le seul endroit en Amérique à baisser le nombre d’heures, avertit Élaine Léger. Autrement, il faudrait payer des heures supplémentaires ou augmenter le nombre d’employés. »

PRODUCTIVITÉ ET SALAIRE

Et qu’en est-il de l’augmentation de la productivité, première notion évoquée en Suède pour favoriser la réduction d’heures ? 

« Si on augmente la productivité, ce sera à quel prix ? demande Isabelle Bédard. Les gens vont être encore plus stressés, les coins vont être tournés encore plus rond, la qualité va s’en ressentir. Il faudra faire des compromis. »

« J’aurais tendance à penser que les six heures soient plus productives, dit Jacques Létourneau, président de la CSN. Mais on ne pourrait l’appliquer à tous les secteurs. Dans certains services publics, ça pourrait avoir un impact positif sur la productivité, la santé physique et psychologique. Mais si c’est pour s’appauvrir, pas un chrétien ne va voter pour ça ! »

Car là se trouve l’enjeu principal. Qui voudra payer un salaire de 40 heures pour 30 heures de travail ? 

« On se retrouverait à avoir beaucoup d’employés à temps partiel, détaille Élaine Léger. Dans des firmes d’avocats, par exemple, les assistantes finiraient à 14 h, et on en aurait besoin d’une autre ensuite. Il y aurait une augmentation des coûts pour les entreprises, notamment pour les assurances collectives, car celles-ci sont en fonction du nombre de personnes inscrites. Et est-ce réaliste pour un employeur qu’il y ait un manque de continuité dans la journée ? Le transfert d’échange de connaissances peut causer une perte de productivité. »

Pour le moment, les organisations d’ici agissent davantage sur la qualité du temps passé au travail et la conciliation travail-famille plutôt que sur la réduction à tout prix des heures travaillées. 

« On ne peut plus se permettre de ne pas s’ouvrir, pense Manon Poirier. Les organisations essaient de trouver plein d’idées pour attirer et retenir les gens. On parle désormais d’“expérience employé”, même dans les secteurs plus traditionnels. »

« Mais on parle aussi beaucoup de l’automatisation, la quatrième révolution, ajoute Jacques Létourneau. S’il y a moins d’emplois disponibles, on va être obligés de se pencher sur le temps de travail. La question du six heures va se poser. »

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