OPINION

SLĀV, Kanata et nous

J’hésite depuis des jours, non pas à entrer dans le débat, mais à apporter une humble contribution aux réflexions de ceux et celles qui, justement, réfléchissent sans tenter de faire flèche de tout bois… Alors voici.

Je travaille depuis 30 ans dans un milieu qui observe les arts sous toutes leurs formes, j’ai nommé la télé et la radio. Pas envie de décliner mon CV pour justifier ce que j’avance ici. Suffit-il de mentionner que j’ai, au cours de ma « carrière », réalisé avec quelques précieux collaborateurs et collaboratrices deux documentaires qui partaient sensiblement de la même prémisse, soit celle de « notre » méconnaissance, ignorance ou même indifférence de certaines formes d’expression culturelle, soient-elles linguistiques ou ethnographiques. Quand je dis « notre », je dois souligner que, puisque diffusées à Radio-Canada, ces deux émissions s’adressaient à une population majoritairement blanche et francophone.

Univers artistique autochtone

Le premier, diffusé il y a presque 20 ans, explorait l’univers artistique autochtone québécois en posant une question simple : comment allier tradition et modernité ? Il mettait en relief le travail d’une dizaine de créateurs, musiciens, peintres, etc.

La voix la plus porteuse fut celle du dramaturge Yves Sioui Durand, Huron-Wendat, fondateur de la compagnie théâtrale Ondinnok, qui offre depuis 33 ans une dramaturgie unique en Amérique du Nord. Yves a contribué au débat en cours ; je vous invite à le lire. Je ne le paraphraserai pas. Yves a une démarche significative et fondamentale dans la dramaturgie au Québec. 

Malheureusement, nous n’avons été qu’une poignée à voir ses spectacles qui évoquent, dans des environnements souvent hors du commun, la mythologie, la culture et les gens des Premières Nations. Mais qui nous parlaient à nous aussi. C’est fondamental. Hormis Terres en Vues, si ma mémoire est bonne, aucune institution importante ni festival n’a jamais mis ses machines derrière ce créateur.

Communauté anglophone montréalaise

L’autre documentaire explorait quant à lui comment la communauté anglophone montréalaise arrivait à survivre dans un environnement majoritairement francophone. 

Présenté il y a une quinzaine d’années, il est encore criant de vérité en ce sens que peu de francophones fréquentent cette culture particulière et, oui, minoritaire ici. Et faite par des Montréalais. Qui connaît Guy Sprung et son travail au sein de l’Infinithéâtre depuis plus de 20 ans ? Qui d’entre nous a vu une pièce du Black Theatre Workshop qui offre depuis 1971 (!) une dramaturgie inspirée de l’histoire des peuples afro-américains ?

Ce que j’essaie de dire en résumé, c’est que ce sont ici des exemples frappants de notre peu d’enthousiasme à fréquenter la culture de l’autre si elle ne nous est pas présentée par des canaux qui nous sont familiers.

Et c’est extrêmement dommage. En ce sens, je n’arrive pas à blâmer ceux qui s’en inspirent, mais plutôt ceux qui sont les plateformes de diffusion qui ont manqué à leur devoir intrinsèque de refléter le panorama culturel qui nous entoure. Et nous, consommateurs souvent frileux, qui croyons que de fréquenter du Molière à l’année est une preuve d’ouverture…

Je laisse aux créateurs directement impliqués et à leurs détracteurs le soin de débattre entre eux. Mais ce débat, bien mal engagé, démontre une chose fondamentale.

Les diffuseurs culturels, tant les médias que les lieux qui présentent les spectacles, n’ont jamais été proactifs afin de promouvoir auprès de leur clientèle le travail de ceux qui créent dans la marge des icônes grand public.

Ce n’est pourtant pas de la création marginale ! Suffit de s’y intéresser ! Si, depuis toutes ces années, le public avait fréquenté Ondinnok ou le Black Theatre Workshop, avait applaudi leurs créations, créé un buzz, il y aurait nécessairement eu une « contamination » extrêmement bénéfique qui aurait permis de découvrir des talents, de les intégrer de part et d’autre, de s’en inspirer et de leur laisser de la place dans le respect d’un apport distinctif, personnel et authentique.

Je me permets une dernière chose : la culture étant une voie privilégiée de communication, je constate que de nombreux acteurs du milieu l’ont oublié ces dernières semaines. Il serait temps de passer à autre chose qu’aux invectives, et de construire.

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