Chronique

Viens voir le beau cancer…

Fin septembre, j’ai pondu une chronique sur une histoire épouvantable, celle de M. Normand Laplante, en quelque sorte mort deux fois.

M. Laplante est mort pour vrai d’un cancer du poumon. Mais il est mort une première fois, il est mort un peu le jour où son oncologue lui a annoncé tout croche ce diagnostic catastrophique.

M. Laplante a commencé à poser des questions, quand l’oncologue lui a appris qu’il avait un cancer du poumon de stade III…

Mais l’oncologue a fini par l’interrompre avec une phrase qui est devenue le titre de la chronique : « Avez-vous d’autres questions ? J’ai un autre patient qui m’attend… »

J’avais choisi d’écrire l’histoire de M. Laplante, racontée par sa fille Anik, parce que ce n’était pas la première fois que j’avais des échos similaires de diagnostics terribles lancés à la gueule de patients de façon désincarnée, sans trop d’humanité. La chronique prenait soin de souligner que DES médecins font ça. Pas tous, bien sûr.

J’ai été submergé par une vague de témoignages, ce jour-là. Des dizaines et des dizaines de messages de lecteurs me racontant la fois où, eux aussi, ils avaient vécu – comme patients ou comme proches de patients – l’annonce expéditive d’un grave diagnostic.

Quelques médecins ont rechigné publiquement : mais pourquoi parler d’une minorité de médecins sans empathie ? Encore du médecin-bashing, monsieur Lagacé !

Mais non, chers docteurs, c’est juste que mon métier consiste surtout à parler des avions qui tombent, pas des avions qui se posent sans histoire…

La Dre Paule Lebel, médecin et professeure à la faculté de médecine de l’Université de Montréal, m’a écrit pour m’inviter à jaser d’un projet en développement : une formation par atelier pour tous les étudiants en médecine, pour apprendre à annoncer à leurs patients de mauvaises nouvelles…

J’ai accepté.

***

La Dre Lebel m’attendait donc à l’hôpital Notre-Dame par un matin pluvieux avec une partie de la bande qui a concocté cette formation : les radio-oncologues Israël Fortin et Carole Lambert, ainsi que la mère d’un enfant qui a eu le cancer, Marie-France Langlet.

À terme, l’ambition de la faculté de médecine de l’Université de Montréal est de former tous les futurs médecins à l’importance de « bien » faire des annonces de diagnostics de maladies graves. Symptôme d’un certain mal, si j’ose dire…

Par simple souci d’humanité, d’abord : on ne devrait pas annoncer un cancer comme on annonce un bris de fournaise. C’est la première des motivations.

Mais ensuite, comme me l’a expliqué la Dre Lebel, par bête souci d’efficacité médicale : « Une bonne annonce de diagnostic évite d’autres appels subséquents au médecin, d’autres hospitalisations, d’autres visites à l’urgence ainsi que des demandes de seconde opinion auprès d’un autre médecin. »

La Dre Carole Lambert : « On gagne beaucoup de temps en prenant le temps. »

Donc, il y a ça, l’efficacité. Mais il y a aussi, comme je disais, l’humanité de base qui doit présider à la rencontre entre un médecin et un patient, au pire moment de la vie de ce dernier.

« Ce diagnostic, dit Marie-France Langlet, tu le vis des milliers de fois, dans ta vie. » Traduction : tu entends l’écho à l’infini. Quand il est « mal » annoncé, ça peut t’éloigner de l’essentiel : guérir.

À terme, c’est 250 étudiants par année qui recevront la formation et qui feront des simulations, le tout appuyé par des capsules vidéo intitulées « Les messagers de l’impossible », dit le Dr Israël Fortin.

J’ai visionné ces capsules, très bien faites. La beauté de ces capsules : elles sont construites en collaboration avec des patients et des proches de patients qui ont reçu des diagnostics catastrophiques. L’idée, c’est d’enseigner aux futurs médecins qu’un patient, c’est plus qu’une maladie. Je sais que c’est une évidence, mais bon…

Témoignage bouleversant dans une des capsules : celui d’Édith Fournier, qui raconte comment ça s’est passé dans le bureau du médecin, qui l’avait convoquée pour ses résultats d’examen…

« Le chirurgien regarde ça [les radiographies] et il dit à son infirmière : “Heille, viens voir ça ! Ça… Ça, c’est un beau cancer ! […] Pareil, pareil comme dans les livres !” Il ne m’a pas vue. J’étais à côté de lui. Il ne m’a pas vue. Il ne m’a pas entendue. Il n’a pas vu mon mari. Je n’étais plus une personne, j’étais un cancer, un cas. »

Ma face devait suinter l’indignation quand j’ai visionné le témoignage de Mme Fournier, parce que la Dre Lambert m’a dit, un peu gênée : « Notre défi, sur le terrain, c’est ceux qui sont là depuis 30 ans et qui ne vont pas désapprendre. On est pris avec des modèles qui ne sont pas toujours fabuleux… »

Ce que vous me dites, c’est qu’on ne va pas le réchapper, le médecin qui s’extasie devant la « beauté » d’une tumeur ? C’est Paule Lebel qui a répondu : « Probablement pas. »

Alors on mise sur les 250 étudiants en médecine par cohortes de l’Université de Montréal qui, ces prochaines années, vont s’initier à l’empathie…

***

Le Dr Israël Fortin, jeune médecin, note que les temps changent. Révolue, l’époque où le médecin parlait et où le patient disposait, en baissant la tête. On tente de mettre le patient dans le coup. Il faut le regarder dans les yeux, pas le regarder de haut…

« On est en train de changer d’époque, le paternalisme prend le bord… »

 « L’époque du “on sait ce qui est bon pour toi”, c’est en train de finir », a ajouté la Dre Lebel…

La Dre Lebel a commencé à parler de la pression en provenance de Québec, du ministre Barrette.

« Le mot à la mode dans le réseau, c’est “accessibilité”. Ce mot est toujours à la bouche du ministre. Qualité ? Jamais… »

J’ai senti que la Dre Lebel marchait sur des œufs, sachant qu’elle s’aventurait dans le politique. Elle a quand même plongé, probablement parce que tout, dans la vie, finit par être politique…

« La qualité, a-t-elle ajouté, ce n’est pas que de la performance. Oui, j’ai vu le médecin… Mais comment l’ai-je vu ? »

Traduction : on peut bien former les médecins à l’empathie, choisir les étudiants en médecine sur la base de leurs qualités humaines ET académiques, reste que si on leur presse sans vergogne le citron de la productivité à tout prix, il y aura toujours des oncologues qui vont considérer leurs patients comme des cancers, plutôt que comme des personnes…

Marie-France Langlet, qui en a vu, des médecins, pendant les traitements anticancer de son fils, a alors eu un beau flash : « Voir son médecin et rencontrer son médecin… Ce n’est pas la même chose. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.