« En ce qui me concerne, ce n’était pas du journalisme »

Journaliste pigiste couvrant la colline parlementaire depuis plusieurs années, Mark Bourrie a un jour décidé d’accepter le poste qui lui était offert par l’agence de presse chinoise Xinhua. Jusqu’au jour où on lui a demandé, selon lui, de faire de l’espionnage au Canada.

OTTAWA — Journaliste pigiste couvrant la colline parlementaire depuis plusieurs années, Mark Bourrie a un jour décidé d’accepter le poste qui lui était offert par l’agence de presse chinoise Xinhua. Jusqu’au jour où on lui a demandé, selon lui, de faire de l’espionnage au Canada.

Qu’est-ce qui vous a conduit à travailler pour l’agence Xinhua ?

En 2010, le chef de bureau de l’agence m’a demandé si je voulais faire de la pige pour l’agence. J’ai dit oui. Il m’a alors indiqué que l’agence voulait augmenter sa présence et ses services étant donné que la Chine est l’un des rares pays qui n’ont pas une agence digne de ce nom comme l’AFP, Reuters, ou encore La Presse canadienne. L’agence avait acheté un édifice à New York. Ils voulaient mettre sur pied de vrais bureaux et faire davantage de reportages portant sur les finances et les affaires. Leur plan aurait été d’embaucher 10 000 journalistes à travers le monde.

Aviez-vous des doutes à ce moment-là ?

Le chef de bureau de l’agence à l’époque, Dacheng Zhang, était un peu bizarre et il adhérait au credo communiste. Je me méfiais un peu de lui. Je faisais attention à ce que j’écrivais. Des gens de la Tribune de la presse parlementaire me disaient en coulisses qu’ils étaient convaincus qu’il était un espion. J’écrivais surtout des reportages sur les élections fédérales de 2011 chaque jour. On couvrait aussi des choses de routine, comme les annonces de la Banque du Canada. Il n’y avait rien de vraiment compliqué. Il y avait peu d’intérêt pour les questions militaires, sauf peut-être pour les avions F-35. Mais ils avaient une très mauvaise connaissance de la façon dont le Canada fonctionne. Par exemple, ils voulaient que je fasse des textes sur les lois canadiennes portant sur les sectes. Je leur ai dit qu’on n’avait pas de loi de ce genre, que l’on peut croire essentiellement ce que l’on veut ici et que l’on n’accuse pas des gens en raison de leur croyance.

Vous avez compris, à un moment donné, qu’on vous demandait de faire de l’espionnage ?

Oui, et j’ai mis fin tout de suite à ma collaboration. C’était au printemps 2012, alors que le dalaï-lama effectuait une visite officielle de deux ou trois jours à Ottawa. Il y avait une conférence au centre-ville d’Ottawa. Dacheng Zhang m’a alors demandé de couvrir l’événement. J’y suis allé. Par la suite, je lui ai demandé quelle longueur devait être le texte. Il m’a alors dit : « Je ne veux pas d’histoire, seulement tes notes. » Il y avait par la suite un autre événement au parc Lansdowne. Dacheng Zhang était là aussi et il m’a demandé : « Peux-tu savoir de quoi ont parlé Stephen Harper et le dalaï-lama ? » J’ai dit non, et c’est à ce moment-là que j’ai mis fin à la collaboration. J’ai ensuite envoyé un courriel au responsable de la Tribune de la presse pour dire que ce journaliste était un espion.

Vous étiez alors convaincu qu’il se livrait à des activités d’espionnage ?

Oui, absolument. Je lui ai demandé ce qu’il comptait faire avec mes notes. Il m’a dit qu’il comptait les envoyer directement à Pékin. Il n’avait pas l’intention de les publier. C’était pour le gouvernement chinois. En ce qui me concerne, cela n’était pas du journalisme, mais de l’espionnage. Les journalistes ne font pas de l’espionnage. Et je n’ai jamais plus travaillé pour eux après. J’ai travaillé environ un an et demi pour l’agence. On m’avait aussi demandé de trouver le nom et l’adresse des gens qui avaient manifesté lors de la visite du premier ministre chinois Hu Jintao à Ottawa en 2010. Mais j’ai refusé.

Est-ce qu’il y a eu d’autres évènements où vous avez eu des soupçons ?

Chaque fois qu’il y avait des dignitaires chinois en visite à Ottawa, le chef de bureau se comportait de manière bizarre. Mais je mettais cela sur le compte de la culture, car les Chinois sont très, très respectueux envers les dirigeants chinois. Il avait un peu peur quand le président chinois est venu en visite. Il n’aimait pas les manifestations. Je crois qu’il suivait de près le Falun Gong, un mouvement spirituel qui est interdit en Chine. Je sais aussi qu’il était très proche des gens de l’ambassade de Chine. D’une certaine manière, je me sens un peu idiot d’avoir travaillé pour cette agence.

Vous avez discuté de cela avec le SCRS ?

En fait, j’ai téléphoné au SCRS avant d’accepter l’emploi. Je voulais savoir ce que l’on pensait de cette agence, parce que je ne savais pas grand-chose à son sujet. J’avais fait des recherches sur l’internet, mais je voulais en avoir le cœur net. Il y avait encore des débats à savoir si cette agence était véritablement une agence de nouvelles. La meilleure façon de donner de la crédibilité à l’agence était d’embaucher des journalistes occidentaux.

Est-ce qu’on a éclairé votre lanterne au SCRS ?

Quand j’ai téléphoné, le répartiteur a transmis mon appel à une machine. Mais on ne m’a jamais rappelé. J’ai demandé par la suite à un ami qui est militaire, et il m’a dit qu’il ne connaissait pas vraiment cette agence chinoise. Je voulais savoir si on la soupçonnait de faire de l’espionnage. À l’époque, on m’avait fait une offre intéressante parce que j’avais la chance d’écrire pour un grand public de la Chine avec qui le Canada tenait à resserrer ses liens. Ça semblait trop beau pour être vrai. Cela fait longtemps que l’agence est présente au Canada. Mais personne ne sait rien à son sujet.

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