La Presse au Royaume-Uni  Salon de Farnborough

« Un signal fort »

La vente de 60 avions A220 à JetBlue a été « un premier signal fort » du potentiel du partenariat avec Airbus, a indiqué à La Presse le PDG de Bombardier, Alain Bellemare, quelques heures avant qu’un autre client américain ne commande lui aussi 60 appareils. Compte rendu d’une journée faste pour le Québec au Salon aéronautique de Farnborough.

Entrevue avec le président de Bombardier

« Je ne comprends pas ce que Boeing fait dans ce marché-là »

Londres — Même s’il risque encore une fois de devoir rivaliser directement avec Boeing, le président et chef de la direction de Bombardier, Alain Bellemare, ne s’en fait pas avec le partenariat qu’envisage le géant américain avec Embraer. « Je ne comprends pas ce que Boeing fait dans ce marché-là », dit-il.

En se lançant dans la C Series, au début des années 2000, Bombardier caressait le rêve d’aller jouer dans la cour de Boeing et d’Airbus. Bloquée sur tous les fronts par les deux géants qui ne voulaient pas devenir trois, Bombardier a dû se résoudre à céder une part majoritaire du programme à l’un d’eux et à réaligner son attention sur les avions régionaux CRJ et Q400.

Or, le partenariat Boeing-Embraer, s’il se concrétise, pourrait replacer Bombardier en compétition directe avec Boeing. Embraer est le principal concurrent de l’entreprise canadienne dans le domaine des avions régionaux, en particulier du CRJ.

« Ça va peut-être apporter une complexité additionnelle. Mais la logique industrielle de leur entente n’est pas claire. Je ne comprends pas ce que Boeing fait dans ce marché-là, qui est très petit par rapport à eux. »

— Alain Bellemare, président et chef de la direction de Bombardier

Contrairement à la C Series, le CRJ a l’avantage d’être déjà bien implanté dans son marché. « On connaît ce marché-là, mieux que Boeing », fait valoir M. Bellemare.

Et surtout, il ne représente pas – comme pouvait le faire la C Series – une menace pour les avions plus gros, particulièrement le 737, qui constitue le pain et le beurre de Boeing. De la même façon, il ne croit pas non plus qu’Airbus soit intéressée par les appareils restants de Bombardier, maintenant que Boeing s’apprête à se lancer dans ce créneau.

« C’est peu probable, la valeur pour eux est dans le 100 à 150 places », juge-t-il.

Encore tôt pour rêver

En tirant sa révérence, lors de l’assemblée des actionnaires du printemps dernier, Laurent Beaudoin avait dit souhaiter que l’équipe de direction en place « regarde dans le futur, où Bombardier doit aller, et continuer d’évoluer, parce qu’on ne peut pas se satisfaire du présent ».

Il est encore trop tôt pour se lancer dans de nouveaux projets, estime cependant M. Bellemare, qui a mis en branle à son arrivée en 2015 un plan de redressement de cinq ans qui vient de franchir le mi-parcours, avec la bénédiction des marchés boursiers. Et cela même si un important dossier, celui du transfert de la C Series, vient de quitter son bureau.

« Il faut compléter ce qu’il y a déjà dans notre assiette, qui est énorme, et s’assurer qu’on exécute de la bonne façon. Mais d’ici 12 mois, les choses vont encore changer – elles ont beaucoup changé depuis 12 mois – et la question va devenir de plus en plus pertinente : “À quoi Bombardier peut penser en termes de futur investissement ?” »

La liste des occasions qui s’offriront à l’entreprise quand elle parviendra à dégager des liquidités compte déjà quelques inscriptions importantes, a-t-il toutefois rappelé, notamment la diminution de la dette et le rachat de la part de la Caisse de dépôt dans la division Transport.

« Ce sera une question d’allocation du capital », prévient-il.

Chose certaine, Bombardier ne refera pas l’erreur de se lancer dans deux grands programmes de développement au même moment, comme elle l’a fait avec la C Series et le Global 7000. Ces très importantes dépenses ont failli venir à bout des ressources de l’entreprise.

« C’est très clair qu’on ne fera pas quelque chose qui va remettre ou augmenter le risque sur l’entreprise. On ne retourne plus là. »

— Alain Bellemare

Bombardier, rappelle son président, compte aujourd’hui environ 70 000 employés, soit autant que lors de son arrivée en 2015, et ce, même si elle avait peu de temps après réduit ses effectifs d’environ 15 000 employés.

« C’est très rare que des entreprises reviennent au même niveau aussi rapidement. »

Pas donné

Par ailleurs, les critiques accusant Bombardier et le gouvernement du Québec d’avoir « donné » la C Series à Airbus se rendent à M. Bellemare, qui avoue être « un peu tanné de l’expliquer ».

« On est pris dans un débat interne au Québec un peu politisé à mon avis. C’est dommage parce qu’on l’a expliqué 100 fois. La réalité, c’est qu’Airbus emmène une création de valeur instantanée. Ils ont la meilleure force de vente dans l’industrie, ils ont la capacité de nous permettre de réduire les coûts comme nous ne pouvions le faire seuls et ils ont un réseau d’après-vente exceptionnel sur lequel on n’a pas besoin d’investir. »

« On ne l’a pas donné [Bombardier]. On est allés chercher un partenaire [Airbus] qui a apporté 50 ans d’expertise pour réaliser complètement le potentiel de notre investissement. »

— Alain Bellemare

« Les marchés financiers l’ont compris et les clients l’ont compris. Il y a peut-être des gens qui ne veulent pas le comprendre, mais la réalité est qu’aujourd’hui, la compagnie Bombardier est dans une bien meilleure position et nos employés ont un avenir brillant grâce au partenariat. »

La vente de 60 appareils à JetBlue a été « un premier signal fort » du potentiel du partenariat « et il y en a d’autres à venir », a indiqué M. Bellemare, quelques heures avant qu’un autre client américain ne commande lui aussi 60 appareils (voir autre onglet).

Il rejette par ailleurs la théorie d’un analyste de Moody’s, parue il y a quelques jours, selon laquelle Airbus aurait consenti à JetBlue un rabais de jusqu’à 72 % sur le prix affiché des appareils A220. Et oui, estime-t-il, l’arrivée d’Airbus devrait permettre de soutenir de meilleurs prix.

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Airbus vend 60 autres A220

Une semaine jour pour jour après l’annonce d’une commande pour 60 appareils A220 – anciennement la C Series – à JetBlue, une commande identique s’est matérialisée hier au Salon international de l’aéronautique de Farnborough. Les détails en cinq questions.

Qui est l’acheteur ?

Son nom n’est pas encore déterminé, mais il s’agit d’un nouveau transporteur aérien américain. La rumeur de cet achat courait en fait depuis un mois, quand une publication spécialisée a révélé les plans de David Neeleman, qui a notamment fondé JetBlue et WestJet, en plus d’être l’actionnaire de contrôle d’Azul, le plus important transporteur brésilien. Le projet est connu sous le nom de « Moxy », mais à voir comment M. Neeleman mimait des guillemets en le prononçant hier à Farnborough, on comprend qu’il s’agit d’un nom temporaire.

Pourquoi avoir choisi l’A220 ?

La question est d’autant plus pertinente qu’au moment de l’annonce de la commande, M. Neeleman se trouvait dans la salle de presse du rival Embraer, où il célébrait l’achat de 21 appareils E195-E2, le rival direct de l’A220, par Azul. « Pour ce que nous voulons faire aux États-Unis, voire créer des liens avec Azul et TAP [un transporteur portugais dont il est également copropriétaire], la portée était un facteur important pour nous. C’est un avion intercontinental. Personne ne le considère vraiment comme ça, mais il peut traverser l’Atlantique Nord ou atteindre les Caraïbes et le Brésil. » M. Neeleman envisage même la possibilité de relier directement des villes américaines secondaires ou tertiaires à l’Europe. « C’est une option. Nous voulions un maximum de possibilités. »

Où seront construits les avions ?

Puisqu’il s’agit d’un transporteur américain, ils seront construits par la future chaîne d’assemblage final de Mobile, en Alabama. Avec cette nouvelle commande, celle-ci s’approche toutefois de sa capacité maximale. L’analyste Scott Hamilton, de Leeham News, calculait la semaine dernière qu’avec les commandes de Moxy, JetBlue et Delta, l’usine de Mobile fonctionnerait déjà très près de sa capacité maximale annoncée en 2021, 2022 et 2023. D’autres transporteurs américains, notamment Spirit Airlines, ont déjà démontré de l’intérêt pour l’appareil.

Quand seront livrés les avions ?

En 2021. « Ils ne pouvaient pas livrer les avions plus tôt, a résumé M. Neeleman. Et c’est correct pour nous. » La réponse donne toutefois, encore là, un indice quant aux capacités de l’usine de Mobile. Une prochaine commande américaine pourrait être forcée d’attendre au moins aussi longtemps.

Quelle est la valeur de la commande ?

Comme à l’habitude, le prix n’a pas été dévoilé. Aux prix affichés, qui ne sont jamais les prix réellement payés par les clients, 60 appareils A220-300 valent 5,4 milliards US. Lors d’une courte rencontre avec des journalistes, hier, M. Neeleman a semblé laisser entendre, sans fournir de précisions, que la commande pourrait aussi inclure des options pour des appareils supplémentaires. La commande porte à 512 le nombre d’appareils A220 ou C Series commandés depuis ses débuts.

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Journée faste pour le Québec

La journée d’hier a été fertile en annonces de toutes sortes pour les représentants de l’industrie québécoise de l’aéronautique à Farnborough.

— Jean-François Codère, La Presse

CAE encourage les femmes pilotes

À peine 5 % des quelque 360 000 pilotes dans l’aviation civile mondiale sont des femmes, selon le spécialiste de la formation des pilotes montréalais CAE. Celui-ci souhaite apporter sa contribution en créant cinq bourses annuelles pour des formations complètes dans ses académies. Chacune d’elles vaut approximativement 200 000 $. Les candidatures de partout dans le monde seront acceptées à compter de l’automne.

Coentreprise France-Québec

Groupe NSE, de France, et Drakkar, une société québécoise, vont unir leurs forces pour créer une coentreprise de logistique et de services techniques dans le secteur aérospatial. Drakkar est notamment propriétaire à 50 % d’AAA-Canada, qui compte environ 1200 employés dans le domaine des services techniques « in situ ». Le projet devrait créer une centaine d’emplois sur trois ans.

Safran et Esterline se modernisent

Québec aide deux grandes entreprises montréalaises du domaine à moderniser leur usine respective. Un prêt de 11,5 millions de dollars à Esterline CMC Électronique lui permettra de réaliser un projet d’une valeur totale de 24,4 millions pour conceptualiser son « usine du futur ». Chez Safran systèmes d’atterrissage Canada, à Mirabel, Québec fournit 2 millions d’un projet de 11,8 millions de dollars pour rendre l’usine plus compétitive en lui faisant prendre le virage « 4.0 », qui implique notamment une plus grande automatisation et collecte de données.

Contrat renouvelé pour Héroux-Devtek

Une journée après avoir obtenu le mandat de fabriquer les trains d’atterrissage des futurs F18 de Boeing, Héroux-Devtek a obtenu la confirmation qu’on lui confiait à nouveau, pour une période de cinq ans à compter de 2020, la fabrication de ceux du C-130J Super Hercules, de Lockheed. L’entreprise longueuilloise est impliquée dans ce programme depuis environ 30 ans.

Pratt & Whitney obtient un contrat en Chine

Pour sa part, Pratt & Whitney Canada, aussi établie à Longueuil, a annoncé avoir décroché une commande pour 104 groupes auxiliaires de puissance destinés à des avions A320 de China Southern Airlines. La « plus importante compagnie aérienne d’Asie » est une cliente de longue date de Pratt & Whitney Canada.

Embraer cartonne

Embraer n’est pas québécoise, loin de là, mais ses agissements ont des répercussions au Québec. La grande rivale de Bombardier a multiplié les annonces de ventes, hier. La plus importante est une commande ferme pour 100 appareils E175, avec 100 autres en option, passée par le transporteur américain Republic Airways. L’E175 est le rival direct du CRJ de Bombardier. Embraer a aussi vendu 12 E195-E2, concurrent de l’A220, à Helvetic Airways, un transporteur à bas coût de Suisse. « C’est important pour nous d’avoir cet avion avec la croix blanche dans le ciel de Suisse », a déclaré un haut dirigeant de l’entreprise, dans une pointe à peine voilée à l’A220, dont l’un des trois clients actuels est Swiss.

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