médias

La commission parlementaire sur l’avenir des médias poursuivait ses travaux hier, au lendemain de l’audition du patron de Québecor, Pierre Karl Péladeau, dont les propos ont fait sourciller des experts en journalisme.

subventions aux magazines de Québecor

100 millions d’Ottawa depuis 2006

Québecor a reçu près de 100 millions en subventions de la part du gouvernement fédéral pour ses différents magazines depuis 2006, selon des données compilées par La Presse.

Alors que le PDG de l’entreprise, Pierre Karl Péladeau, a désapprouvé mercredi l’idée d’une aide financière publique lors de son intervention devant la commission parlementaire sur l’avenir des médias d’information, qui a lieu cette semaine à Québec, son entreprise a reçu 21 subventions en 2019 pour ses magazines, notamment ceux de la principale filiale du groupe, TVA Publications.

Au total, ses filiales TVA Publications, Les Publications Charron et Cie ainsi que Musique Select (un distributeur de musique) ont obtenu cette année 10 468 152 $ d’argent public de la part de Patrimoine canadien.

Depuis 2006, le ministère fédéral chargé notamment d’appuyer la culture, les arts et la participation citoyenne a versé 98,7 millions aux filiales de Québecor* par l’entremise de neuf programmes.

« Beaucoup d’argent »

Au cours de son intervention mercredi devant les membres de la commission, Pierre Karl Péladeau a qualifié de « quêteux » les patrons de presse favorables à un programme d’aide universel aux médias.

« Les éditeurs ne se sont pas adaptés et sont devenus des quêteux, dont la pérennité dépend du bon vouloir de celles et de ceux qui sont aux commandes de l’État », a-t-il exprimé.

« C’est beaucoup d’argent », dit Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

« J’ai trouvé [mercredi] que M. Péladeau crachait en l’air. Ça lui retombe au visage aujourd’hui. »

— Jean-Hugues Roy

Ce dernier a aussi comptabilisé les aides gouvernementales reçues par le géant québécois depuis 2006. Selon lui, Québecor a bénéficié du tiers des sommes versées au Québec par Patrimoine canadien pour soutenir les magazines.

Le professeur a publié hier matin le fruit de ses recherches sur son compte Facebook, suscitant de nombreuses réactions et près de 400 partages.

« Il y a quand même une nuance à faire, car M. Péladeau parle de financement de l’information [pas de celui des magazines]. Mais les magazines Maclean’s et L’actualité sont aussi des médias d’information. Il ne peut pas dire que les éditeurs sont des quêteux. L’aide publique fait partie des règles du jeu. J’ai trouvé cela un peu grossier », ajoute M. Roy.

Pas moins de 27 subventions ont été versées à Québecor pour la seule année 2015. L’entreprise a ainsi accaparé 46,1 % du soutien financier offert par Patrimoine canadien au Québec au cours de cette période, selon les données compilées par Jean-Hugues Roy.

Attitude critiquée

Le professeur de journalisme à l’Université d’Ottawa Marc-François Bernier rappelle que les programmes gouvernementaux qui ont permis aux magazines de Québecor d’obtenir ces sommes « sont normés », et que l’entreprise est libre d’y avoir accès.

C’est plutôt l’attitude de M. Péladeau envers ses concurrents, dont La Presse, qui a dérangé M. Bernier. « Il y a des milliers de gens qui sont sympathiques à sa cause et qui vont relayer ses messages sur les réseaux sociaux. C’est malsain et les médias ont déjà assez de problèmes comme ça. Et il y a déjà une certaine animosité contre les médias au Québec. Il ne faut pas en ajouter inutilement », commente-t-il.

De plus, ajoute le professeur, le PDG de Québecor n’a pas dit qu’il refuserait l’aide de Québec si jamais le gouvernement en place décidait de s’engager dans cette voie.

« Ce que j’ai compris de son témoignage [celui de Pierre Karl Péladeau], c’est que s’il y a de l’aide, il en faut pour tout le monde. Donc il va la prendre. […] Il n’a pas dit qu’il ne la prendrait pas. »

« On peut aussi penser que les journaux de Québecor auront peut-être aussi des difficultés dans l’avenir. Il y a une commission parlementaire sérieuse et il avait l’occasion de faire passer son message autrement. »

— Marc-François Bernier, professeur de journalisme à l’Université d’Ottawa

« Le message dans tout ça, c’est que tout le monde reçoit de l’argent public. Ce n’est pas une tare », dit de son côté Jean-Hugues Roy.

Rappelons qu’en 2018, Pierre Karl Péladeau avait publiquement critiqué le prêt de 10 millions du gouvernement du Québec au Groupe Capitales Médias, un prêt consenti par le truchement d’Investissement Québec.

L’entreprise s’est placée la semaine dernière sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers. Le gouvernement Legault a rapidement annoncé une aide de 5 millions pour permettre aux six quotidiens de l’entreprise de poursuivre leurs activités en attendant un éventuel rachat, possibilité que n’a d’ailleurs pas écartée Québecor.

Québecor n’a pas rappelé La Presse.

* Cette somme inclut 1,4 million en subventions à Musique Select entre 2015 et 2019.

— Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

Sommes reçues par des magazines de Québecor au cours des dernières années

TV Hebdo : 14 349 477 $ (depuis 2010)*

* L’entreprise reçoit 1,5 million par année en subvention depuis 2013

7 jours : 12 333 234 $ (depuis 2006)

La Semaine : 7 653 922 $ (depuis 2010)

Échos Vedettes : 6 158 646 $ (depuis 2006)

Subventions reçues par les filiales de Québecor au cours des dernières années

Pour TVA Publications, Publications Charron et Musique Select

2018 : 12 890 219 $

2017 : 12 405 270 $

2016 : 12 776 658 $

2015 : 14 652 483 $

2014 : 7 448 965 $

Source : Données compilées par La Presse

Commission parlementaire sur l’avenir des médias

La disparition de la culture québécoise appréhendée

L’information n’est pas le seul secteur en péril dans la crise des médias. Le président d’Urbania, Philippe Lamarre, craint que la culture québécoise ne puisse « brutalement » s’éteindre d’ici deux générations. Il faut un électrochoc, a-t-il plaidé hier en commission parlementaire.

Les enfants de Netflix ?

Y aura-t-il une nouvelle génération Passe-Partout, ou l’imaginaire de la prochaine jeunesse québécoise sera-t-il composé des dessins animés américains sur Netflix ? Aux yeux de Philippe Lamarre, président et fondateur du magazine Urbania, la question est tout aussi centrale ces jours-ci que l’avenir de l’information au Québec. Plus encore, a-t-il dit hier à Québec, n’aider que les médias qui font des nouvelles « consisterait à soigner le canari, alors que la mine s’apprête à exploser ». « Un jeune qui cherche à s’informer peut le faire à partir d’une recherche sur Google qui le mènera à une pléthore de contenus, dont la grande majorité n’est ni québécoise ni francophone. […] Sans vouloir paraître fataliste, je crois que dans deux générations, si rien n’est fait, la culture québécoise telle qu’on l’a connue va commencer à disparaître brutalement. On ne parle pas d’une lente agonie, mais d’une fin assez abrupte », a-t-il plaidé face aux parlementaires.

Pour un Fonds des médias du Québec

Devant cette crise des médias qui siphonne les revenus publicitaires du Québec vers les géants américains du web, Philippe Lamarre suggère aux députés de « fourbir [leurs] armes et [de] combattre l’offre par l’offre ». « Il faut maintenant passer à l’ère numérique et créer un levier de financement pour le contenu québécois au sens large », a-t-il affirmé. Urbania n’est pas opposé aux crédits d’impôt sur la masse salariale des journalistes ni à la volonté de certains députés que le gouvernement investisse davantage en placement publicitaire dans les médias. Mais Philippe Lamarre prévient que ces mesures appliquées seules auraient l’effet d’un « pansement sur une hémorragie ». Le président d’Urbania propose que Québec crée un « Fonds des médias du Québec » financé à partir d’un pourcentage des sommes récoltées par la perception de la TVQ sur les services numériques (câblodistribution, accès à l’internet, à la téléphonie mobile, Netflix et autres). « Cette solution est d’une simplicité désarmante, car elle n’implique pas de nouvelle loi ni de quelconque réglementation. Elle est simplement basée sur un calcul financier et sur la volonté politique nécessaire à son implantation », a-t-il ajouté.

Des patriotes à Mozart

Si Urbania s’inquiète de l’avenir de la culture québécoise, le Montreal Gazette s’inquiète tout simplement de sa capacité à poursuivre ses activités et à témoigner de l’évolution du Québec, comme il le fait depuis 241 ans. Fondé en 1778, le journal de langue anglaise The Gazette (depuis 1785), établi à Montréal, a couvert au cours de son histoire la rébellion des Patriotes. La fondation de la Confédération canadienne. Il était imprimé au moment de la Révolution française. Quand Mozart est mort. Mais aujourd’hui, il craint de devoir prendre des « mesures draconiennes » qui affecteraient son calendrier de publication, si rien n’est fait pour sortir les médias d’une crise financière sans précédent. « Le déclin de la publicité imprimée s’accélère. Nos tentatives pour tirer des revenus importants en proposant l’abonnement en ligne n’ont pour le moment pas réussi à remplacer les revenus perdus », a expliqué hier Lucinda Chodan, rédactrice en chef du Montreal Gazette, qui souhaite que le gouvernement Legault achète plus de publicités dans les médias d’information. Elle l’appelle aussi à « soutenir l’innovation » grâce à un crédit d’impôt pour « le développement numérique continuel ».

Radio-Canada veut collaborer

De son côté, Radio-Canada veut mettre fin à « l’époque où [les médias étaient] en concurrence les uns avec les autres ». Avec les géants numériques américains, « nous devons nous entraider pour leur faire face », estime le diffuseur public. « Les géants mondiaux […] ont fait tomber les barrières. Devant cette menace, nos concurrents d’hier doivent être nos alliés d’aujourd’hui », a dit hier Michel Bissonnette, vice-président principal des services français de Radio-Canada. La société d’État propose notamment d’être en collaboration avec ses concurrents, notamment sur le plan journalistique, alors que les reportages d’enquête sont coûteux à produire. Une nouvelle creusée conjointement par La Tribune et Radio-Canada, par exemple ? Un article sur Radio-Canada.ca qui publie dans son texte un lien vers une nouvelle de La Presse ou du Journal de Montréal ? Tout est sur la table.

Une culture d’« autocensure » chez Québecor, selon Catherine Dorion

La députée solidaire et ex-blogueuse au Journal de Québec Catherine Dorion s’est pour sa part inquiétée hier qu’il existe une culture d’« autocensure » dans les médias de Québecor, où il ne faudrait pas critiquer Pierre Karl Péladeau. Selon elle, d’autres propriétaires de presse ont même « peur des poursuites » que l’homme d’affaires pourrait intenter lorsqu’on parle négativement de son entreprise. Le président du syndicat des employés de la rédaction du Journal de Québec, Jean-François Racine, a affirmé à La Presse que « l’expérience personnelle très courte de Mme Dorion relève d’un blogue, une responsabilité de la filiale NumériQ. Cette entité n’a aucun lien avec l’équipe de rédaction du Journal de Québec. » « Je ne partage pas du [tout] sa position. Nos journalistes sont honnêtes, intègres et dotés d’un bon jugement. Le passage de Québecor devant la commission est le meilleur exemple qui existe. Le travail journalistique publié dans nos pages est juste et équilibré, malgré le contexte particulier », a-t-il conclu.

En plus des entreprises citées précédemment, Transcontinental, l’entreprise MonQuartier ainsi que des représentants de l’Université de Montréal, de l’Université Laval et de l’Université d’Ottawa ont également plaidé hier pour une aide gouvernementale (sous plusieurs formes) aux médias.

La réplique de Pierre Karl Péladeau

En entrevue téléphonique de Rouyn-Noranda sur la radio numérique de Québecor, hier, Pierre Karl Péladeau a répliqué aux allégations de Catherine Dorion sur « l’autocensure » au sein de son entreprise. Dans un premier segment, M. Péladeau a d’abord déploré que Bell ait selon lui un « monopole » en Abitibi-Témiscamingue et a vanté les mérites de la concurrence et de sa filiale Vidéotron. Il a ensuite affirmé au sujet de l’intervention de Mme Dorion en commission parlementaire qu’il ne connaissait pas l’histoire qu’elle racontait. « Elle avait deux minutes et quart. Pendant deux minutes, elle est intervenue et c’est ce que j’ai appelé “se donner en spectacle”. Moi, ce qu’elle raconte, j’en sais rien du tout », a dit le président de Québecor. Concernant l’autocensure, il a répliqué « qu’elle est complètement à côté de ses pompes ». M. Péladeau a toutefois accordé qu’il n’était pas possible de critiquer ses collègues dans son journal, mais « ce n’est pas permis nulle part », a-t-il ajouté.

— Hugo Pilon-Larose, La Presse

Aide aux médias

Les conservateurs mettraient fin au plan d’aide fédéral

Ottawa — Le Parti conservateur maintient son opposition au programme d’aide aux médias de 595 millions de dollars sur cinq ans mis sur pied par le gouvernement Trudeau « parce qu’il choisit des gagnants et des perdants ».

Si elle prend le pouvoir aux élections fédérales du 21 octobre, la formation ne compte pas mettre en œuvre ce programme, selon le député conservateur Gérard Deltell, parce qu’il ne permettrait pas de régler le problème de fond de la crise que vit actuellement la presse écrite.

Les graves difficultés financières qu’éprouve le Groupe Capitales Médias, qui s’est placé sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers la semaine dernière, ne changent pas forcément la donne.

« Ce n’est pas quelque chose que l’on regarde positivement, une aide directe du gouvernement pour les médias. Quand le gouvernement fédéral choisit les gagnants, les perdants ne sont pas contents, et on le voit actuellement », a affirmé hier M. Deltell. 

« Depuis que le gouvernement a déposé son offre de 600 millions, il y a des gens qui ont dit que ce n’était pas assez et d’autres qui ont dit que ce n’était pas assez équilibré. »

— Le député conservateur Gérard Deltell

« Tant et aussi longtemps que le gouvernement choisit les gagnants, ce n’est pas une bonne approche. Donc le cas présent, ce ne sera jamais suffisant parce qu’on ne s’attaque pas vraiment à la racine du problème, qui est la gratuité de l’accès à l’information », a-t-il poursuivi.

Le Devoir cité en exemple

Lui-même ancien journaliste au réseau TQS avant de faire le saut en politique, M. Deltell a soutenu que le quotidien Le Devoir a démontré qu’il est possible de réussir en misant sur les abonnements, en instaurant un verrou d’accès payant (« mur payant » ou paywall) sur son site internet et en obtenant des dons de ses lecteurs.

« Le Devoir a une approche différente. Presque les trois quarts de l’argent viennent de l’argent que les gens souscrivent pour un abonnement, sans compter les contributions volontaires de 2 millions de dollars que le journal a reçues depuis quatre ans. Il n’y a pas de solution magique. Mais c’est clair que cela passe d’abord et avant tout par une autodiscipline des médias », a affirmé M. Deltell.

Interrogé quant à savoir si un gouvernement conservateur mettrait fin au programme d’aide fédéral, M. Deltell a déclaré : « Nous n’avons jamais applaudi ce programme, comme on l’a déjà dit clairement et publiquement. » 

« Nous avons une vision différente. Nous, on estime que dès que le gouvernement met un doigt dans l’engrenage, ça devient un puits sans fond. »

— Gérard Deltell

Quand le plan d’aide a été annoncé, l’automne dernier, par le ministre des Finances Bill Morneau, certains élus conservateurs ont accusé le gouvernement Trudeau de tenter d’acheter les médias en prévision de la campagne électorale. « Trudeau vient de nationaliser le nouveau journalisme », avait notamment lancé la députée albertaine Michelle Rempel sur les réseaux sociaux. « Tout journaliste qui prend cet argent ne sera dès lors plus indépendant. Ici donc meurt le journalisme », avait-elle ajouté sur son compte Twitter.

Trois mesures

Le plan d’aide du gouvernement fédéral comporte trois mesures. Il offre un crédit d’impôt sur la masse salariale remboursable de 25 %, assujetti à un plafond de 55 000 $. Cela équivaut à un crédit maximum annuel de 13 750 $ pour chaque employé d’une entreprise de presse écrite. Cette mesure est rétroactive au 1er janvier 2019. Les entreprises pourront obtenir la somme découlant de ce crédit d’impôt sur la masse salariale au moment de soumettre leurs déclarations de revenus de 2020.

Le plan fédéral permet aussi aux entreprises de presse d’émettre des reçus fiscaux aux personnes et aux sociétés qui lui accordent un don pour financer leurs activités. Cette mesure sera offerte aux entreprises qui obtiennent des dons, sans exception, a-t-on expliqué hier. Enfin, il met sur pied un nouveau crédit d’impôt non remboursable de 15 % pour encourager les abonnements aux médias d’information numériques canadiens.

Un nouveau gouvernement pourrait abolir ce programme par une décision du cabinet.

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