Lettre à moi-même  Nicolas Duvernois

La 24e recette de vodka

Si vous en aviez la chance, quel message aimeriez-vous transmettre à votre alter ego qui entre dans sa vie adulte ? À la demande de La Presse, cinq entrepreneurs se sont écrit une lettre à eux-mêmes.

Cher Nicolas,

Tu ne le réalises peut-être pas encore, mais tu es chanceux. Tu as gagné à la loterie de la vie. Tu viens d’une famille unie, père français, mère québécoise, qui t’ont élevé dans un esprit d’ouverture au monde.

Tu ne t’inquiètes donc pas de l’avenir. Tu penses devenir joueur de basketball ou architecte, mais c’est surtout les filles et les sorties avec tes amis qui intéressent le gars de 18 ans que tu es.

Au collège Stanislas, tu te rends bien compte que tu ne seras ni ingénieur ni médecin. Tu n’as pas de bonnes notes parce que tu ne travailles pas assez. Tu ne travailles pas assez parce que tu n’en vois pas l’intérêt.

Mais tu connais tes limites. Tant mieux. Tu es raisonnable aussi. Tu sais qu’il faut que tu ailles chercher un bac, parce qu’il s’agit d’un minimum dans le monde d’aujourd’hui. Ça ne te tente pas trop, mais tu le fais. C’est ton plan B pour trouver un emploi, si aucun de tes autres projets ne se réalise. Après ton diplôme en science politique, tu envoies 125 CV aux 125 députés québécois pour leur offrir tes services. Un seul te répond. Mais quand tu vois que tu ne gagneras pas plus qu’à laver des planchers à l’hôpital Sainte-Justine comme tu le fais actuellement, tu prends la décision de te lancer en affaires.

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Accepte de te mettre en danger. C’est ça, créer une entreprise. Tu ouvres un restaurant avec trois de tes amis, même si aucun de vous n’a de connaissances dans la restauration ou la gestion. Dès la première semaine, c’est la catastrophe. Tu décideras d’arrêter au bout de quatre mois. Les autres fermeront la boutique un peu plus tard.

À 24 ans, tu es dans la merde pour vrai. Tu es endetté, tu broies du noir et tu n’oses même pas en parler à tes parents, parce que tu veux t’en sortir tout seul.

Il faut apprendre de ses erreurs, ça peut être un cliché, mais c’est toujours vrai. Ce qui est le pire échec de ta vie va devenir la plus belle expérience de ta vie. Et ça dure encore aujourd’hui.

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Au restaurant, ta responsabilité, c’est les achats. L’achat d’alcools, notamment. Tu réalises qu’il n’y a aucune vodka faite au Québec. Pourquoi donc, étant donné qu’on a de l’eau de grande qualité et que c’est la principale matière de cet alcool ? Tu vas sur Google et tu tapes « vodka ». PUR Vodka est née, du moins sur papier.

Tu t’en rends compte, tu vis dans une époque formidable. Aujourd’hui, Airbnb a pu devenir la principale chaîne hôtelière du monde sans posséder un seul hôtel.

Tout est possible, à condition de bien anticiper les changements et de miser sur la qualité. Tu vois le changement de génération en cours, les modifications des habitudes de consommation. Après avoir testé 26 recettes de vodka, le choix s’est arrêté sur la 24e. Ton produit sera adapté à l’air du temps.

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Continue de voir grand. Tu ne le regretteras pas. Tu aurais pu choisir de faire un produit artisanal, tu as préféré faire de la vodka qui va se vendre partout dans le monde. Je te revois ce jour de décembre 2009 où tu as appris que PUR Vodka avait remporté la plus haute distinction de l’industrie, le World Vodka Master de Londres. Tu es si heureux ! Tu ne penses plus aux quatre années de travail qui ont été nécessaires pour arriver là, aux 17 banques qui ont refusé ton plan d’affaires, aux planchers de Sainte-Justine que tu continues à laver à temps partiel.

Ta vie va changer à partir de cette journée de 2009. Tu recevras un appel de la SAQ, qui t’avait ignoré jusqu’à maintenant. Tu te marieras, tu deviendras papa. Et surtout, tu seras heureux d’avoir bâti une entreprise qui donne du travail à 40 personnes et d’avoir encore 20 000 idées pour la suite des choses.

Dans 10 ans, à 36 ans, je te l’annonce en primeur, tu deviendras président de la Jeune Chambre de commerce de Montréal. C’est bien parti.

Bonne chance pour la suite, je ne suis pas inquiet pour toi.

Nicolas

— Propos recueillis par Hélène Baril, La Presse

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