Le français en milieu de travail

Universités et communautés : le maillage des cultures

«  La montée aux barricades pour les questions linguistiques est un sport national au Québec depuis le XIXe siècle, mais comme tout sport à portée nationale, celui-là répond à des enjeux collectifs importants  », affirme Pascal Brissette, directeur du Département de langue et littérature françaises à l’Université McGill. Par le biais d’initiatives comme le programme «  J’apprends le français  » de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM), le littéraire spécialiste des récits collectifs voit plutôt le français comme une langue vivante et capable de rassembler des cultures bien différentes.

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M. Brissette est membre du Centre de recherches interdisciplinaires en études montréalaises (CRIEM), un regroupement d’universitaires et de chercheurs s’inspirant du modèle Boston Research Area Initiative, au Massachusetts, dont le but vise à amener les administrateurs municipaux, les organismes et le milieu universitaire à développer des projets de recherche communs dont tous bénéficieraient. «  On peut ainsi contribuer à la vitalité de la ville en cocréant la connaissance  », résume le professeur. Le partenariat entre le CRIEM et la CCMM ayant mené au déploiement du programme « J’apprends le français » en est un parfait exemple.

De 2011 à 2016, le nombre de locuteurs ayant le français comme langue maternelle dans la région de Montréal est passé de 65,4 % à 66,7 %. Or, M. Brissette invite à regarder au-delà de ces chiffres avant de sauter aux conclusions : «  Les immigrants du Québec vont continuer de parler leur langue maternelle entre amis et à la maison, mais la Charte de la langue française fait en sorte qu’eux et leurs enfants apprendront le français. Ce ne sera pas leur unique langue de communication, mais le français sera présent au quotidien dans leur vie en société.  »

Un défi pour les immigrants

L’arrivée dans un nouveau pays impose plusieurs défis, par exemple trouver un logement, apprendre comment fonctionnent les services publics, obtenir sa carte d’assurance-maladie et ouvrir des comptes de banque. «  Les immigrants doivent assimiler une quantité de choses nouvelles qui rendrait n’importe qui complètement fou  », résume M. Brissette. Dans un tel contexte, difficile d’inclure des cours de français le soir. «  Les obligations quotidiennes et la question du confort matériel l’emportent assez rapidement  », dit-il.

Selon M. Brissette, c’est ce qui explique que des immigrants s’établissent dans un quartier où se trouvent des membres de leur communauté. Ce choix a cependant des conséquences négatives sur leur intégration. «  Ils peuvent fonctionner en autarcie auprès de leurs semblables, mais de cette façon, l’apprentissage du français se fait très, très lentement  », note-t-il.

Un projet enrichissant pour tous les acteurs

En 2018, séduit par le modèle du programme «  J’apprends le français  », le professeur n’a pas hésité à lancer un appel de candidatures auprès des étudiants de son Département de langue et de littérature françaises à l’Université McGill pour recruter des mentors. D’autres universitaires membres du CRIEM ont aussi contribué aux efforts, comme le professeur Wim Remysen, qui apporte son expertise comme personne plurilingue au sein du comité pédagogique de la CCMM – et qui a même implanté le programme à Sherbrooke.

En mobilisant plusieurs universités montréalaises, parmi lesquelles des universités anglophones comme McGill, la CCMM souhaite faire de cette initiative l’affaire de tous. Bien que son département fournisse les connaissances théoriques et la «  main-d’œuvre  » étudiante nécessaires au programme, M. Brissette insiste sur le fait que le milieu universitaire s’enrichit tout autant de cette expérience. « Ce programme permet aux non-francophones d’apprendre le français dans un contexte familier, mais il favorise également, chez les jeunes qui visitent les nouveaux locuteurs, une meilleure compréhension de la réalité de nos nouveaux compatriotes. Tout le monde y gagne », observe-t-il. Certains mentors sont même invités à table avec les participants ; ils ont ainsi la possibilité de goûter à d’autres cuisines et de discuter avec les familles immigrantes.

Renforcer l’adhésion à une culture commune

Les francophones d’Amérique représentent une minorité linguistique, à l’intérieur de laquelle les allophones et anglophones forment des groupes «  encore plus minoritaires  », explique M. Brissette. Bien que la réglementation sur le français ait son rôle pour protéger la langue, l’adhésion à une culture commune passe également par l’acceptation des autres. «  Ce n’est pas nécessaire de parler un français pur comme Molière : rendons le français attrayant et pratique pour que les immigrants souhaitent l’apprendre et le parler  », déclare-t-il.

« La langue est une matière vivante et malléable, ajoute le professeur. Les dictionnaires même les plus conservateurs finissent par épouser son mouvement. Les langues fortes sont des langues de création, associées à des locuteurs créatifs et dynamiques. Si le Québec sait se montrer ouvert, dynamique et créatif, la langue française suscitera autant l’adhésion des Québécois nés sur le territoire que des nouveaux arrivants, des jeunes et des moins jeunes. »

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