L’eau des fontaines que boivent les enfants du primaire contient parfois trop de plomb, conclut une enquête de La Presse menée en collaboration avec l’Université de Montréal (UdeM).
Ainsi, quatre des vingt-quatre échantillons d’eau récoltés dans autant d’écoles primaires de la grande région de Montréal dépassent la recommandation de Santé Canada, révèlent les analyses du département de chimie de l’UdeM réalisées à la demande de La Presse.
« La bonne nouvelle, c’est que la majorité des échantillons sont conformes, analyse Sébastien Sauvé, professeur de chimie environnementale à l’UdeM. La mauvaise nouvelle, c’est qu’un échantillon sur six dépasse la recommandation fédérale, et ça, c’est inquiétant. »
« Et même si c’était juste une école, si c’est l’école de ton enfant, ça veut dire qu’il va grandir au plomb. Il va remplir sa gourde à la fontaine et en boire toute la journée, cinq jours sur sept, durant sept ans. »
— Le professeur Sébastien Sauvé
« On n’est pas dans une zone confortable, dit Maryse Bouchard, professeure au département de santé environnementale et santé au travail à l’UdeM et au CHU Sainte-Justine. Je dirais même que ce n’est pas rassurant. »
Il n’existe pas de seuil sous lequel l’exposition au plomb serait sans danger, selon l’Organisation mondiale de la santé.
Sept fois trop de plomb
Dans l’un des établissements testés, le taux dépasse de sept fois la recommandation fédérale. On parle de 37 microgrammes par litre, alors que Santé Canada propose une norme de 5 microgrammes par litre.
La fontaine où l’échantillon a été prélevé est celle qui était située le plus près… du gymnase, donc celle à laquelle les enfants se rendent le plus souvent pour s’hydrater.
Et même selon la norme québécoise actuelle (10 microgrammes par litre), beaucoup moins stricte que la recommandation fédérale, ce résultat est préoccupant (presque quatre fois plus élevé).
« Si mon enfant fréquentait cette école-là, je serais franchement très inquiète. Ce n’est pas acceptable, une fontaine aussi contaminée. On met à risque les enfants. »
— Maryse Bouchard
Le plomb est hautement toxique. Il agit à très faible dose. Et les jeunes enfants sont les personnes les plus vulnérables à ses effets nocifs.
« Le plomb circule dans le sang et traverse la barrière du cerveau pour venir interférer avec le fonctionnement normal du système nerveux central, explique l’experte en santé environnementale Maryse Bouchard. En résulte une diminution des habiletés cognitives, mais aussi des problèmes de comportement chez les enfants. Ça augmente l’hyperactivité. »
Québec « minimise le problème »
Déjà cet été, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) sonnait l’alarme en publiant un avis signalant que le niveau de plomb dans l’eau de certaines écoles et garderies de la province serait significatif au point d’avoir des effets sur le quotient intellectuel (QI) des enfants.
Selon cette étude, 3 % des écoles primaires et des garderies testées dépassent la norme provinciale* – une « proportion [qui] serait supérieure si la nouvelle recommandation de Santé Canada était appliquée », pour atteindre 8,5 % des établissements testés.
Or, leur protocole de recherche stipulait que l’eau devait couler cinq minutes avant la prise de l’échantillon. « Personne ne fait couler l’eau cinq minutes avant de la boire. C’est une façon de minimiser le problème », affirme le professeur Sauvé, de l’UdeM.
« Si on s’inquiète de l’exposition des enfants au plomb, c’est essentiel d’échantillonner d’une façon qui représente cette exposition-là, renchérit Mme Bouchard, du CHU Sainte-Justine. Le protocole des cinq minutes est de nature à minimiser énormément le problème. »
Au Québec, on « fait l’autruche », dit pour sa part Michèle Prévost, titulaire de la Chaire industrielle en eau potable de Polytechnique Montréal.
« Mesurer après cinq minutes, ça correspond à ne pas vouloir voir le problème. Tu verras seulement les cas gravissimes. »
— Michèle Prévost
Mme Prévost a été appelée à témoigner comme experte à la commission d’enquête mise sur pied à Hong Kong après qu’un scandale de plomb dans l’eau potable eut éclaté là-bas en 2015. « Le juge a conclu que de faire couler l’eau cinq minutes avant de la tester consistait à tromper sciemment les valeurs », ajoute-t-elle.
Sur la base des dernières avancées scientifiques, Santé Canada a d’ailleurs mis à jour en mars dernier ses recommandations pour la qualité de l’eau potable afin de réduire la concentration acceptable maximale de 10 microgrammes par litre (norme québécoise actuelle), établie en 1992, à 5 microgrammes par litre avec un échantillonnage sans écoulement préalable.
Un problème plus grave
Ainsi, en collaboration avec l’UdeM et des familles volontaires, La Presse s’est livrée à un exercice plus collé sur la réalité des enfants. Nous avons pris des échantillons d’eau à la fontaine – sans faire couler l’eau au préalable – dans 24 écoles primaires de la grande région de Montréal.
Résultat : notre enquête révèle un problème plus grave que ce que l’INSPQ a découvert (8,5 % des établissements testés dans l’étude de l’INSPQ, comparativement à 17 % des écoles testées par La Presse dépassent la recommandation de Santé Canada).
L’INSPQ reconnaissait d’ailleurs être devant un « portrait parcellaire » et recommandait au gouvernement de mieux documenter la situation.
« Le portrait est parcellaire parce que l’ensemble des établissements ne sont pas surveillés et la méthode de prélèvement ne détecte les problèmes qu’après cinq minutes d’écoulement », a expliqué à La Presse le Dr Patrick Levallois, médecin spécialiste en santé publique et responsable du groupe scientifique sur l’eau à l’INSPQ.
À propos des critiques concernant la méthode de prélèvement, l’INSPQ répond qu’elle est liée par la méthode privilégiée par le ministère de l’Environnement. « Ce n’est pas une façon de cacher l’ampleur du problème, affirme le Dr Levallois. C’est une façon efficace de trouver les cas les plus problématiques qui proviennent d’une conduite de plomb pour les petits immeubles et les petites habitations. »
Le médecin spécialiste s’empresse toutefois de nuancer : « Mais on ne nie pas que la méthode dans les autres provinces – et que Santé Canada préconise maintenant – peut apporter un complément d’information intéressant ».
Réaction du cabinet du ministre de l’Éducation
En réaction à l’enquête de La Presse, le cabinet du ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, indique qu’une communication sera envoyée au réseau scolaire sous peu pour rappeler l’importance de procéder à des tests de qualité de l’eau dans les écoles et de le faire dans les meilleurs délais possibles.
Le ministre Roberge invite d’ailleurs les commissions scolaires qui détecteraient des problèmes qui sont de leur ressort à soumettre sans attendre des projets de rénovation pour remédier à la situation dans les meilleurs délais. Son cabinet rappelle au passage qu’il a récemment annoncé plus de 2,3 milliards de dollars pour rénover les écoles, seulement pour cette année.
« Pas question de faire de compromis sur le bien-être et sur la sécurité de nos enfants », dit le ministre Roberge par la voix de son attaché de presse Francis Bouchard en réaction à notre enquête. Son cabinet tient tout de même à se faire rassurant : « Selon les données dont nous disposons, la grande majorité des écoles respectent les normes en vigueur », précise-t-il.
Déjà, à la suite du rapport de l’INSPQ, des démarches ont été faites pour récupérer les données des écoles testées ayant une concentration de plomb dans l’eau jugée problématique, toujours selon le cabinet du ministre. Toutes ces écoles ont procédé aux travaux appropriés et sont maintenant conformes à la norme en vigueur, assure-t-il.
Aussi appelée à réagir à notre enquête, la Fédération des commissions scolaires du Québec a décliné notre offre d’entrevue.
* Données du ministère de l’Environnement pour la période de 2013 à 2016 – durant laquelle 308 écoles et 128 garderies ont été testées – tirées du rapport de l’Institut national de santé publique du Québec