Agriculture

LA FIERTÉ EST DANS LE PRÉ

La fin de semaine dernière, Fierté agricole participait au pique-nique de Holstein Québec, association qui regroupe des producteurs laitiers – la holstein étant cette belle race de vaches blanc et noir. Plusieurs éleveurs se sont montrés intéressés, désireux de discuter de leur fierté d’être agriculteurs. Ils ont alors réalisé que l’arc-en-ciel du logo de Fierté agricole ne faisait pas référence à la météo, mais à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre de celui ou celle qui fait pousser les légumes ou qui élève les animaux.

« La plupart des gens que nous avons rencontrés ne connaissaient pas l’abréviation LGBT. Ils ne nous connaissaient pas du tout et ont été ravis de savoir que nous sommes présents pour aider les LGBT+ en milieu agricole et rural au Québec », raconte Alain Therrien, chargé de projet à Fierté agricole et professeur à l’Institut de technologie agroalimentaire de Saint-Hyacinthe.

Fierté agricole est officiellement né en 2012. Quelques années auparavant, l’organisme Au cœur des familles agricoles, dont l’un des mandats est de prévenir la détresse psychologique dans les fermes du Québec, avait commencé à organiser des activités pour des producteurs gais ou trans. « La travailleuse de rang voyait bien que certains agriculteurs vivaient de la détresse parce qu’ils étaient homosexuels, dit Alain Therrien. Elle a donc mis des producteurs en contact pour faire un souper de Noël de ce qui s’appelait alors le Club des agriculteurs gais. »

Le premier souper s’est tenu en décembre 2008. Une dizaine de personnes s’y sont rendues. L’année d’après, le nombre de participants avait doublé. Alain Therrien et son conjoint Cong Hien Nguyen y étaient.

« Quand on a fondé Fierté agricole, il y avait une quarantaine de membres, rappelle Alain, dont quelques filles. »

Le regroupement est maintenant en phase de croissance. L’association s’est donné le défi de trouver des administrateurs partout au Québec. Ce n’est pas une mince affaire. Il y a 17 régions administratives ; Fierté agricole veut pouvoir rejoindre les agriculteurs de toutes ces régions.

« Nous voulons favoriser une meilleure connaissance des réalités LGBT en milieu agricole et rural, puis faciliter l’intégration sociale des personnes de diversité sexuelle et de genre qui ont un intérêt pour l’agriculture. »

— Alain Therrien, chargé de projet, Fierté agricole

Vivre dans un rang

Le nombre de membres officiel de Fierté agricole n’a pas beaucoup augmenté depuis cinq ans. Il oscille entre 40 et 60, auxquels s’ajoutent plusieurs personnes qui s’intéressent à la question et reçoivent les infolettres.

Les producteurs sont toujours occupés par leur entreprise, explique Alain Therrien. Ceux qui ont des animaux travaillent 365 jours par année. « C’est pour cela que c’est à nous de nous déplacer », dit-il. Les évènements sont annoncés par l’entremise d’organismes communautaires régionaux. Il n’y a parfois que deux personnes qui participent à une rencontre, ou même une seule.

Est-ce plus difficile de bien vivre son homosexualité lorsqu’on est agriculteur ?

Le sujet est délicat.

Ce n’est pas plus facile, en tout cas, estime Maxime Dion. « Les agriculteurs sont isolés. Ils sont souvent très seuls sur leurs fermes », dit Maxime, copropriétaire de la ferme de légumes biologiques La Bourrasque à Saint-Nazaire-d’Acton, avec son mari Philippe Benoit. « Nous sommes près de Montréal, alors on peut sortir en ville. Mais pour un agriculteur seul, qui vit en région éloignée, ça peut devenir compliqué de rencontrer quelqu’un. »

Ça n’a pas été le cas pour Maxime et Philippe qui sont tombés amoureux alors qu’ils étaient étudiants à Montréal, tous les deux dans des domaines artistiques. L’agriculture a été un bel accident de parcours qui est devenu leur voie commune. Le couple s’est installé sur une partie des terres de la famille de Philippe dont le père était producteur laitier.

La Bourrasque est une ferme magnifique. En ce mois de juillet, les rangs de laitues, de tomates, de courgettes se suivent. Malgré les jours de pluie qu’on ne compte plus et qui ne sont pas toujours favorables en culture bio, les légumes prospèrent. « Philippe fait des miracles avec les légumes. Les légumes l’aiment ! », lance Maxime, au milieu des champs qui contiennent aussi des daikons mauves, des radis melons d’eau et 18 variétés de poivrons. Maxime et Philippe sont membres de Fierté agricole.

« Quels sont les modèles pour les jeunes gais qui vivent en milieu rural et agricole ? »

— Maxime Dion, producteur maraîcher

Multiplier les activités

En plus d’étendre son réseau, Fierté agricole veut multiplier ses activités. On veut notamment s’intéresser aux parents qui, en apprenant l’homosexualité d’un enfant, craignent la fin de la relève, si importante en agriculture. La même situation peut représenter une pression énorme pour un jeune destiné à être la relève à la ferme.

Fierté agricole prépare son premier colloque, le 15 février prochain, sur le thème « On peut être différent dans le rang ». Le groupe visite aussi les écoles d’agriculture du Québec et, bien sûr, les soupers de Noël sont restés.

C’est là que Mélyssa Legault a découvert le regroupement, en 2012. Elle a été la première trans à adhérer à Fierté agricole, même si elle n’est pas productrice elle-même. À ce moment, elle étudiait à l’Institut de technologie agroalimentaire de Saint-Hyacinthe où elle a fait la moitié de sa formation en garçon et l’autre, en fille. « Ç’a été bien accepté, dit-elle. Oui, il y avait des malaises, mais rien de négatif. »

« L’agriculture a changé au Québec. Ce n’est plus un milieu si traditionnel que ça. »

— Mélyssa Legault, membre de Fierté agricole

« J’ai été bien accueillie, à Fierté, poursuit Mélyssa. […] Ça brise l’isolement. Ça peut sembler être une phrase toute faite, mais c’est vrai. »

Plusieurs membres de Fierté agricole ont fait leur coming out auprès de leurs amis et de leur famille, mais pas dans leur milieu de travail. Ils ont des craintes, dit Cong Hien Nguyen, secrétaire de Fierté agricole et responsable de la Montérégie. « On s’impose personnellement des barrières », dit-il.

Dès la semaine prochaine, Fierté agricole commence des assemblées de cuisine. C’est Cong Hien Nguyen qui reçoit chez lui, dans sa belle maison de La Présentation. Le petit rassemblement affiche déjà complet et Cong Hien envisage de faire une « supplémentaire » dans sa cuisine ! « On ouvre des portes, dit-il. Tranquillement… »

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