Cinéma

Voyage au pays de l’hypersensibilité électromagnétique

À mi-chemin entre l’essai, le documentaire et le film expérimental, Ondes et silence, présenté jeudi aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal, propose une incursion sensorielle unique en son genre, au cœur d’un sujet méconnu et plutôt controversé : l’hypersensibilité électromagnétique.

Pendant 14 minutes chrono, le « documentaire » nous plonge dans l’univers de deux femmes, Nicols et Katherine, qui présentent, à différents degrés, des symptômes d’hypersensibilité électromagnétique.

Leurs paroles sont à la fois poétiques (« on sentait les montagnes, on les entendait chanter », « c’est étrange, sentir l’électricité ») et tragiques.

« C’est comme si les molécules de mon corps s’affolaient », « je n’ai pas le choix de fuir », « je me sens comme une réfugiée ».

— Propos tirés du film Ondes et silence

Alors qu’on suit différentes ombres dans une forêt, on voit littéralement les ondes prendre forme à l’écran, traverser le chemin, un arbre, un corps.

Troublant, vous dites ? En tout cas, franchement esthétique.

Étrangement, le sujet (pointu s’il en est) de l’hypersensibilité magnétique ne touchait pas a priori les deux coréalisateurs (Karl Lemieux et David Bryant, membres du groupe de musique montréalais Godspeed You ! Black Emperor). Ceux-ci cherchaient plutôt un prétexte pour créer. « Ça fait des années qu’on veut faire un film ensemble », raconte David Bryant, attrapé entre deux concerts en Europe.

UN VILLAGE AU MILIEU DE NULLE PART

C’est finalement un reportage de la BBC sur le village de Green Bank, en Virginie-Occidentale, connu pour sa « zone de silence radio » (un espace de 33 000 km2 où presque toutes les formes de rayonnement électro et radioélectrique sont interdites, notamment pour minimiser les perturbations autour du National Radio Astronomy Observatory), qui leur a permis de réaliser leur projet.

Une poignée de gens aux prises avec différents symptômes associés à l’hypersensibilité électromagnétique ont en effet migré dans ce village particulier, dans l’espoir de voir s’atténuer leurs souffrances, qui vont des maux de tête aux brûlures sur la peau en passant par la nausée et les étourdissements.

À noter, si les symptômes sont reconnus comme réels, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’établit toutefois pas de lien de causalité entre l’exposition aux champs électromagnétiques et eux. D’où la controverse.

David Bryant, qui s’est déplacé en Virginie-Occidentale (« un endroit du monde très étrange ») à trois reprises pour son film, ne cache pas qu’il était lui-même d’abord plutôt sceptique. À l’ère de Bluetooth et du WiFi, rencontrer des gens qui retournent volontairement vivre sans électricité, radio ni même télé, au milieu de nulle part dans les montagnes, relève presque de la « science-fiction », dit-il. Aujourd’hui, des dizaines de rencontres et des heures d’entrevues plus tard, il est toutefois convaincu que ces gens-là souffrent.

« Ils souffrent. Mais de quoi ? Dieu seul le sait ! »

— David Bryant, coréalisateur d’Ondes et silence

Le destin de Nicols est particulièrement touchant. La vieille dame, qui croyait avoir enfin trouvé sa paix énergétique, doit de nouveau déménager. Une tour pour cellulaires vient d’être construite à deux pas de son refuge. « Son histoire me brise le cœur, confie le réalisateur. Elle n’a nulle part où aller. Son histoire, c’est presque un symbole de l’absence de libertés dans le monde. Comme s’il n’y avait plus le moindre espace de libre… »

À méditer…

Ondes et silence (14 min) – Réalisé par Karl Lemieux et David Bryant

Produit à l’ONF par Julie Roy

En compétition internationale – courts métrages.

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