Confédération des peuples autochtones du Canada

des cartes pour faux amérindiens

La Sûreté du Québec et la Gendarmerie royale du Canada enquêtent sur l’utilisation trompeuse de cartes autochtones délivrées par un OBNL pour obtenir des exemptions de taxes lors de l’achat de marchandises. Le stratagème aurait été encouragé par le « grand chef » Guillaume Carle, Gatinois depuis longtemps considéré comme un usurpateur de l’identité amérindienne.

La police enquête sur  un stratagème de cartes autochtones trompeuses

Qu’ont en commun un Belge, un Québécois d’origine italienne et un immigré du Cameroun ? Ils ont tous trois été détenteurs d’une carte attestant qu’ils étaient autochtones et qu’ils pouvaient, à ce titre, se prévaloir de leurs droits ancestraux au Canada !

Cela ressemble peut-être à une mauvaise blague. Ce n’en est pas une. Depuis 2005, des centaines, voire des milliers de Québécois ont été détenteurs de la carte de la Confédération des peuples autochtones du Canada (CPAC) sans avoir officiellement le statut d’Indien. Certains d’entre eux l’ont utilisée pour bénéficier d’exemptions de taxes auprès de marchands qui la croyaient légitime.

La Gendarmerie royale du Canada (GRC), la Sûreté du Québec (SQ) et l’Agence du revenu du Canada mènent trois enquêtes distinctes sur l’utilisation trompeuse de ces cartes aux quatre coins du Québec.

Services aux Autochtones Canada a été contacté par les trois organisations et « collabore » à leurs enquêtes, selon le porte-parole du Ministère, William Olscamp.

Le grand chef de la Confédération, Guillaume Carle, affirme s’attendre à être arrêté sous peu par « les services secrets, la GRC, la SQ ». Il se dit prêt à défier les autorités. « Chez nous, le cheval sauvage, c’est un cheval libre. Moi, je suis un homme libre de vos lois. Elles ne s’appliquent pas à moi », déclare-t-il en entrevue avec La Presse.

Un rapport de la firme KPMG commandé à l’automne 2017 par Services aux Autochtones Canada a conclu que des membres de la CPAC s’étaient fait livrer des véhicules dans la réserve de Kahnawake, au sud de Montréal.

Au moment de la livraison, les acheteurs ont présenté leur carte aux concessionnaires, qui l’ont confondue avec la carte officielle de statut d’Indien délivrée par le ministère des Affaires indiennes. Les marchands trompés ont alors supprimé les taxes de la facture.

D’autres membres de la CPAC exhibent leur carte à la caisse des magasins. « Rona, Trévi, Canadian Tire, Walmart… ça passe partout », nous confie un ancien membre, qui a requis l’anonymat par crainte de représailles. Il estime avoir économisé de 4000 $ à 5000 $ en taxes sur ses achats. « Ça passe à l’hôtel, au restaurant. Il n’y a aucun problème, tu donnes ça, merci bonjour ! »

Pour un commerçant, il est facile de se méprendre : la carte plastifiée de la CPAC arbore un drapeau canadien et les mots « gouvernement » et « Canada ». Au verso, elle stipule faussement que le détenteur « est un autochtone au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle du Canada (1982) et peut se prévaloir des droits autochtones applicables », dont la chasse, la pêche et le troc transfrontalier.

La CPAC et son grand chef, Guillaume Carle, ne sont reconnus ni par Ottawa ni par l’Assemblée des Premières Nations. La carte de membre, vendue 80 $, n’a aucun statut légal.

Encourager à frauder

« Ce n’est pas une carte d’exemption de taxes, se défend Guillaume Carle. Moi, j’ai le mandat de produire une carte d’identité qui ne peut être fraudée. Et ma carte ne ressemble pas à celle des Affaires indiennes, mais pas pantoute. Zéro. »

D’anciens membres ayant présenté la carte pour éviter de payer les taxes de vente soutiennent avoir agi en toute bonne foi. Ils disent avoir été incités à le faire par le chef Carle.

« Au début, je la passais, ma carte, admet l’un d’eux. J’étais convaincu que c’était bon. T’as un code-barre, t’as un drapeau du Canada… J’ai acheté pas mal de stock, du matériel électronique chez Bureau en gros, en Ontario. »

Gilles Gagné, ancien grand chef provincial de la CPAC pour le Québec, soutient que Guillaume Carle « a toujours dit » aux membres qu’ils pourraient bénéficier des avantages consentis aux Indiens inscrits. « Il nous a dit que nous, à Beauharnois, on ne paierait plus nos taxes municipales parce que c’était notre terre. »

L’épouse de M. Gagné, Lise Brisebois, a fondé la communauté Mikinak de Beauharnois en 2016 avec le soutien de la CPAC. Convaincue que ses membres pouvaient se prévaloir de droits réservés aux Indiens inscrits, elle en a ouvertement discuté dans un journal de la Montérégie – ce qui a sans doute contribué à la popularité de Mikinak dans la région. Rapidement, 1200 personnes ont adhéré à la communauté.

« Oui, c’était présenté comme cela au départ, admet Gilles Gagné, dont l’épouse est morte subitement en juin dernier. Mais quand on s’est rendu compte [que c’était faux], on a dit aux gens : “Ne vous servez plus de votre carte. C’est de la bullshit, tout ce que [Guillaume Carle] nous a dit.” »

En novembre 2014, Jocelyn Simoneau, alors chef d’une communauté affiliée à la CPAC en Outaouais, a aussi prévenu ses membres que l’utilisation des cartes était « illégale ». Dans une lettre, M. Simoneau a écrit qu’en assemblée générale, M. Carle avait « encouragé les membres de la CPAC à utiliser leurs cartes pour être exemptés de taxes lors d’achats de biens. Plusieurs personnes présentes ont même dit l’avoir déjà fait et surtout du côté de l’Ontario ».

Tests d’ADN bidon

Pour devenir membre de la Confédération, un candidat doit se soumettre à un test d’ADN censé mesurer précisément le pourcentage de sang autochtone qui coule dans ses veines. « C’est la façon qui est encouragée présentement, parce que c’est incontestable », soutient le chef Carle.

Chaque test coûte 250 $. Les échantillons de salive sont acheminés à Eagle Shadow Technologies, une entreprise de Guillaume Carle. Ces échantillons seraient ensuite analysés par le laboratoire Viaguard Accu-Metrics de Toronto.

« Il nous a vendu qu’on n’avait pas à avoir d’ascendance pour être autochtone. Si tu avais une goutte de sang indien, tu étais un Indien. »

— Gilles Gagné, ancien grand chef provincial de la CPAC pour le Québec

« On était rendus autochtones, autant que les gars qui vivent sur la réserve à côté », ironise Daniel Brabant, ancien membre de la communauté Mikinak, située tout près de la réserve de Kahnawake.

M. Brabant a commencé à douter après avoir reçu les résultats de son test d’ADN ; il avait 19 % de sang autochtone. Un résultat étonnamment élevé, étant donné que d’après son arbre généalogique, ses racines indiennes remontaient aux 13e et 14e générations.

Cinq semaines plus tard, la CPAC lui a envoyé un second résultat basé sur le même échantillon de salive. Cette fois, il avait 30 % de sang autochtone. « C’est là que j’ai décidé de faire passer un test d’ADN à Mollie », raconte-t-il.

M. Brabant a prélevé un échantillon de salive de Mollie, son caniche royal, et l’a expédié au laboratoire de Toronto en prétendant qu’il s’agissait d’un échantillon humain.

Surprise : le laboratoire avait retrouvé des ancêtres de la chienne dans trois bandes amérindiennes du pays !

Il n’a pas été possible d’obtenir un commentaire du président de Viaguard Accu-Metrics, Harvey Tenenbaum.

En juin, le réseau CBC a fait tester l’ADN de trois journalistes par ce laboratoire torontois. Ils ont tous trois obtenu exactement le même résultat : 12 % de sang abénaquis et 8 % de sang mohawk. Le plus étonnant, c’est que deux des journalistes étaient originaires de l’Inde, alors que le troisième venait de la Russie.

Qu’à cela ne tienne, le test d’ADN de Viaguard Accu-Metrics est « indéniable », a assuré Guillaume Carle en juillet dans une vidéo YouTube adressée à ses membres. « Une fois que vous l’avez fait, n’ayez crainte, il n’y a personne qui peut vous dire que vous n’êtes pas autochtone. »

La nouvelle chef de Mikinak, France Bélanger, continue à recruter des membres, à procéder à des tests d’ADN et à distribuer des cartes malgré les mises en garde du gouvernement fédéral. « Notre carte était émise bien avant la carte de statut indien, prétend-elle. Alors, s’il y a une carte qui doit changer, ce sera leur carte et non la nôtre. »

Belge, Italien, Camerounais

Luigi Coretti n’a pas eu à se soumettre à un test d’ADN pour obtenir sa carte de la CPAC. En juin 2014, l’homme d’affaires aux racines italiennes est devenu « attaché politique » et « commissaire aux mesures d’urgence, services secrets et services de police » de la Confédération. Plus tard, il a reçu une carte de membre – mais seulement à titre honorifique, assure-t-il.

M. Coretti dirigeait autrefois BCIA, une firme spécialisée en sécurité qui a obtenu des contrats du gouvernement après avoir offert une carte de crédit au ministre Tony Tomassi. Il était en attente de son procès pour fraude, fausse déclaration et fabrication de faux lorsqu’il a reçu un mandat de Guillaume Carle.

« J’ai débarqué assez vite, raconte M. Coretti. C’était de la frime. C’est simple : son but, à lui, c’est de vendre des cartes. Ce n’est pas de rendre des services au monde, c’est de vendre des cartes et de remplir les poches de Guillaume Carle. »

M. Coretti dit avoir alerté la GRC, la SQ et Revenu Québec. « J’ai tout essayé pour arrêter ce gars-là. Mais je pense qu’avec tout ce qui se passait avec moi, on ne m’a pas pris au sérieux. » Le procès de M. Coretti a finalement avorté en 2016 en raison de délais déraisonnables dans le processus judiciaire.

Le chef Carle soutient de son côté que la carte de M. Coretti a été produite à son insu par les dirigeants d’une communauté de Gatineau affiliée à la CPAC. « Ils sont entrés au bureau et ils ont produit une fausse carte à ce gars-là, dit-il. Le dossier a été éliminé et ils ont tous été bannis pour ça. »

Le Belge Daniel Lesceux, qui habite au Québec depuis 17 ans, possède également une carte de la CPAC stipulant qu’il est un autochtone au sens de la loi. « J’ai été adopté par la Confédération, explique-t-il. J’ai effectivement une carte de membre, mais ce n’est pas du tout la même que celle des autochtones en réserves. »

D’origine camerounaise, le Gatinois Jean Djoufo a aussi reçu une carte de la CPAC. En 2007, cet ancien conseiller de Guillaume Carle s’est rendu à Paris vêtu d’un costume autochtone pour être décoré, avec son chef, par la Ligue universelle du bien public, une obscure organisation de franc-maçonnerie chrétienne.

M. Djoufo, qui a depuis claqué la porte de la CPAC, croit que Guillaume Carle lui a offert une carte dans l’espoir de s’assurer de son indéfectible soutien. « Je ne m’en suis pas servi, assure-t-il. Un Indien noir comme moi, c’est un peu fort… »

Son Excellence le Bad Boy

La Camaro rouge vif qui se gare devant le casse-croûte est ornée d’une plaque décorative : BAD BOY. Un homme en émerge, grand et costaud, de longs cheveux noirs noués en queue de cheval. Il porte une veste de cuir à franges et un large collier d’os serré autour du cou.

Quelques têtes se tournent quand « Son Excellence Guillaume Carle, Grand Chef National des Peuples Autochtones du Canada » fait son entrée au restaurant O’Max Déli-Bar de Gatineau. Le titre lui a été décerné « pour toujours », il y a quatre ans, par les membres de son organisation réunis en assemblée générale.

Guillaume Carle nous a donné rendez-vous dans ce casse-croûte pour discuter des enquêtes en cours sur l’utilisation trompeuse de cartes émises par son groupe, la Confédération des peuples autochtones du Canada (CPAC). Pendant près de trois heures, il répondra à nos questions, à commencer par celle-ci : pourquoi « Son Excellence » ?

« Parce que l’ouvrage que j’ai accompli, c’est excellent ! », répond-il avec conviction. Qu’on en juge : en 2014, Guillaume Carle a créé « le premier gouvernement autochtone sur la planète », sept ans après la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, incluant le droit à l’autodétermination interne.

« On est reconnu par le gouvernement du Canada », soutient Guillaume Carle en brandissant, en guise de preuve de cette reconnaissance officielle, une lettre confirmant… l’incorporation de la CPAC en tant qu’organisme à but non lucratif (OBNL) par Industrie Canada.

En réalité, la CPAC, qu’il dirige depuis 2005, n’est que cela : un OBNL. Ce n’est ni un gouvernement ni même un groupe autochtone reconnu par Ottawa, qui ne lui accorde pas de subvention.

Depuis plus de 10 ans, des représentants des peuples autochtones le dénoncent publiquement comme un usurpateur de l’identité amérindienne.

Mais qu’importe leur avis. Qu’importent les enquêtes policières et les soupçons de fraude qui planent au-dessus de sa tête : Guillaume Carle persiste et signe. « Les peuples autochtones ont le droit de se gouverner. Ben, c’est ça qu’on fait ! »

Un stratagème payant

Aux quatre coins du Québec, les anciens membres de la CPAC sont de plus en plus nombreux à trouver que l’ouvrage accompli par Guillaume Carle n’est pas si excellent.

Ils sont de plus en plus nombreux à dénoncer un « business » dont le seul but est de vendre des cartes de membres, quitte à créer des communautés autochtones de toutes pièces. Des communautés sans racine, culture ou tradition, qui n’ont d’amérindien que le nom.

Certains ont été alléchés à l’idée de pouvoir bénéficier d’avantages consentis aux autochtones pour réparer les injustices du passé. D’autres cultivent un réel sentiment d’appartenance envers les Premières Nations.

« Lise y croyait tellement, en cet homme-là », soupire Gilles Gagné à propos de sa défunte femme, Lise Brisebois, qui a soulevé la colère des Mohawks de Kahnawake, en 2016, en créant la communauté Mikinak dans la région voisine de Beauharnois, au sud de Montréal.

Pendant 30 ans, Lise Brisebois avait cherché à faire reconnaître son identité amérindienne. « Son rêve, c’était que les autochtones hors réserve aient les mêmes droits que les autres, dit Gilles Gagné. C’est pour cela qu’elle se battait. Guillaume Carle prétendait qu’il se battait pour ça, lui aussi. »

Quand Gilles Gagné et sa femme ont compris que ce n’était pas le cas, ils ont été « bannis » de la CPAC – comme tous ceux qui avaient osé, avant eux, contester le grand chef.

Lise Brisebois, 58 ans, a succombé à un anévrisme en juin. « Ma fille, je pense qu’elle a eu trop de pression, regrette sa mère, Yvonne Simon. On s’est fait avoir. Au début, on était membre de l’Alliance autochtone du Québec (AAQ). Quand Guillaume a créé la Confédération, on avait bien confiance en lui. On a embarqué. »

Guillaume Carle a fait son entrée sur la scène politique en prenant la tête de l’AAQ en 2003. Il a été éjecté de l’organisme deux ans plus tard, accusé par ses détracteurs d’avoir été élu après avoir menti sur ses qualifications et d’avoir accordé de lucratifs contrats à sa propre boîte informatique, Night Hawk Technologies.

La querelle s’est soldée par une série de poursuites et de contre-poursuites judiciaires acrimonieuses. Elle s’est finalement réglée à l’amiable.

Après s’être accroché un temps à son poste de grand chef de l’AAQ, Guillaume Carle a fini par lâcher prise et fonder une organisation rivale : la CPAC.

Désormais, il était seul maître à bord.

Un « gourou »

Comme d’autres, Roger Marenger a quitté l’AAQ pour suivre Guillaume Carle, homme charismatique au verbe facile qui promettait de « brasser la cage » afin de revendiquer les droits des autochtones hors réserve de la province.

Depuis, M. Marenger a déchanté. « Il est l’unique maître, déplore cet ancien directeur de la CPAC. Quand ses dirigeants ne lui donnent pas carte blanche dans la gestion de l’argent de la communauté, il les met dehors et en recrute de nouveaux. »

Le taux de roulement est en effet élevé à la CPAC, comme le nombre de communautés qui se sont dissociées de l’organisme. Au fil des ans, Guillaume Carle s’est fait un nombre impressionnant d’ennemis.

« C’est une dictature abusive », dénonce Roger Fleury, ancien chef provincial de la CPAC, qui a entamé une poursuite judiciaire contre Guillaume Carle pour obtenir une reddition de comptes.

« L’argent de la CPAC, c’est son argent à lui. Il ne rend compte à personne. C’est strictement un système de gourou. »

— Jean Djoufo, ancien conseiller de Guillaume Carle

Plusieurs font le même parallèle. « C’est un gourou de la manipulation. C’est un pro. Il est bon », dénonce Jocelyn Simoneau, ex-chef d’une communauté de Lac-Simon, en Outaouais. « Quand il voit que tu es faible, il profite de la situation pour aller chercher des sous. »

Élu grand chef « à perpétuité », Guillaume Carle ne tolère pas la contestation. Il se réserve un « droit de veto absolu » sur toutes les décisions de son conseil d’administration. Ses membres doivent se lever pour démontrer leur respect lorsqu’il entre dans une pièce et qu’il en sort.

« Ce genre de preacher, on voit ça aux États-Unis, s’étonne Gilles Gagné, qui a succédé à M. Fleury comme chef provincial de la CPAC. Pour moi, c’est une secte. »

Attablé au casse-croûte de Gatineau, Guillaume Carle dénigre ceux qui lui ont tourné le dos, les traitant de menteurs, de fraudeurs et d’hypocrites. Il estime avoir largement mérité son « pouvoir de veto absolu », contraire aux meilleures pratiques de gouvernance. « Ce sont vos règles à vous autres, les Blancs. »

Autochtone ou pas ?

Il se fait appeler Ouchtogan Migizi, « tête d’aigle » en langue algonquine. Il se dit « sage national ». Sa coiffe de grand chef, unique au pays, a été fabriquée spécialement pour lui par des « aînés du Canada ». Lesquels ? Il refuse de nous le dévoiler, sous prétexte que nous ne lui avons pas offert une pincée de tabac. « Nos traditions, c’est que pour recevoir quelque chose, vous devez savoir donner. »

Est-il seulement autochtone ? « Guillaume Carle a prouvé que, génétiquement, c’est un Indien », assure-t-il en parlant de lui à la troisième personne. Quel est le résultat du test d’ADN qui confirme cette preuve irréfutable ? « J’ai pas le droit de vous le dire », décrète-t-il.

Il raconte d'abord que son père vient de Maniwaki et que « les Carle restent encore sur la réserve ». Plus tard, il se contredit: sa famille « n’aurait jamais eu le droit de rester » dans cette réserve algonquine.

À La Presse, le Gatinois de 58 ans soutient être mohawk par sa mère, dont la famille provient de la région d’Oka. Au National Post, il s’est plutôt décrit en 2016 comme un « Warrior d’Akwesasne », une réserve mohawk à cheval sur les frontières du Québec, de l’Ontario et des États-Unis.

En 2007, l’historien Carl Beaulieu a fait des recherches sur les ancêtres paternels et maternels de Guillaume Carle dans le cadre de la poursuite qui opposait ce dernier à l’Alliance autochtone du Québec. L’historien lui a trouvé des ascendances françaises, belges, espagnoles et anglaises. Mais pas le moindre ancêtre autochtone.

Guillaume Carle a poursuivi M. Beaulieu en diffamation. Bien que la poursuite ait été réglée à l’amiable par une entente confidentielle, il affirme aujourd’hui l’avoir « gagnée » et avoir prouvé par le fait même être « un Indien ».

Un diplôme 14 carats

Son curriculum vitæ fait état d’un doctorat en philosophie obtenu en 2003 à l’Université Ashford, aux États-Unis. Il précise en entrevue qu’il s’agit en fait d’un « PhD » en science informatique, qu’il a suivi ses cours par vidéoconférence et qu’il lui a fallu cinq ans pour terminer son doctorat.

Interrogé à ce sujet au tribunal, en avril 2005, Guillaume Carle avait pourtant prétendu qu’il n’avait pas eu besoin de suivre de cours pour obtenir ses diplômes parce qu’il était un savant.

« Mon diplôme, il y a une étampe 14 carats bord en bord. C’est un vrai diplôme universitaire », maintient aujourd’hui Guillaume Carle.

Le sujet de sa thèse ? C’est plutôt une invention, celle d’un « rack à modems » permettant de combiner plusieurs appareils afin d’en augmenter la puissance. La thèse a été publiée « là-bas, aux États-Unis », soutient-il, mais il n’est désormais plus possible de la consulter…

« Tout est faux de lui. Tout, tout est faux », s’exaspère l’ancien chef provincial Gilles Gagné. « Le rêve de ma femme, avant de mourir, c’était de lui couper sa couette ! »

Avant que nous quittions le casse-croûte, Guillaume Carle nous met en garde : « Je suis porteur du calumet sacré. » À ce titre, explique-t-il gravement, il ne peut pas mentir. « Je ne veux pas vous faire peur […], mais le monde qui écrive en mal sur nous, ils vont amener ça de l’autre côté avec eux autres. »

L’ampleur du stratagème

Dans un rapport d’enquête remis le 26 juillet au gouvernement fédéral, la firme KPMG a levé le voile sur le stratagème permettant de bénéficier d’exemptions de taxes en se faisant livrer des marchandises dans la réserve mohawk de Kahnawake. Voici, en chiffres, ce que la firme a découvert.

7

types de cartes

Le rapport d’enquête de KPMG a établi que des cartes délivrées par sept organisations autochtones avaient été présentées pour obtenir des allègements fiscaux sur l’achat de marchandises.

28

rapports d’incidents

KPMG a révisé 28 rapports d’incidents survenus dans la réserve mohawk de Kahnawake, au sud de Montréal. Les rapports ont été fournis par les Peacekeepers, qui ont saisi plus de 100 cartes sur leur territoire depuis la fin de 2016.

24

véhicules

Parmi les 28 rapports étudiés, 24 concernaient la livraison de véhicules dans la réserve mohawk par des concessionnaires de la région de Montréal. Les acheteurs provenaient d’aussi loin que le nord du Québec et la péninsule gaspésienne.

1

bateau

Un individu s’est fait livrer un bateau à Kahnawake. Comme avec les véhicules, les Peacekeepers ont exigé qu’il soit retourné au vendeur et qu’une copie de l’annulation de la vente leur soit acheminée. Un refus de se conformer aurait entraîné une accusation de fraude.

De 40 $ à 1000 $

Les individus interceptés à Kahnawake ont payé entre 40 $ et 1000 $ pour obtenir leur carte de membre. Plusieurs d’entre eux semblaient croire qu’ils avaient bel et bien les mêmes droits que les Indiens statués, qui n’ont pas à payer pour leur carte.

Des autochtones autoproclamés

La Confédération des peuples autochtones du Canada regroupe des communautés non reconnues, parfois même créées de toutes pièces par Guillaume Carle. Plusieurs d’entre elles finissent par se dissocier du grand chef au terme de conflits hargneux. En voici quatre.

Chibougamau Nord-du-Québec

Depuis deux ans, quelque 600 résidants de la région de Chibougamau ont payé 250 $ pour subir un test d’ADN. Ils ont envoyé des échantillons de salive à l’entreprise Eagle Shadow Technologies, propriété de Guillaume Carle, qui leur a trouvé des ancêtres autochtones. Depuis, ils forment une communauté. « Les tests d’ADN, j’y crois à 100 % », assure leur chef, Luc Michaud. Il y croit, même si les parents d’un membre dont le test a été « positif » sont des… immigrants irlandais ! « On ne sait pas s’il y a eu un découchage », avance M. Michaud, qui espère négocier avec le gouvernement pour étendre le territoire de chasse et de pêche de ses membres.

Lac-Simon Outaouais

En 2013, Guillaume Carle a pris contact avec Jocelyn Simoneau pour qu’il fonde la communauté Anishinabek de la Petite-Nation. « C’est lui qui m’a incité à faire cela. Il disait que ça donnerait de la force à sa Confédération, mais on s’est dissociés quand on a vu qu’il y avait des choses malhonnêtes », raconte-t-il. Guillaume Carle le lui a bien rendu en plaçant la communauté sous tutelle, en octobre 2014, après l’arrestation de Simoneau pour extorsion, menace et prêts usuraires. L’homme, qui prétendait représenter les Algonquins hors réserve de la région, est né à Montréal et a grandi en Gaspésie.

Saguenay Saguenay

« Guillaume Carle n’est pas un véritable autochtone, car il parle avec la langue fourchue du serpent. Tout ce qu’il a pu dire face à notre organisation est un tissu de mensonges », dénonçait le chef de la coopérative Kitchisaga, Serge Lavoie, au Quotidien de Saguenay, le 14 février 2007. « C’est une période de ma vie que j’essaie de liquider », confie-t-il aujourd’hui. « Je l’avais suivi quand il avait quitté l’Alliance autochtone du Québec, parce qu’il était plus revendicateur. En fin de compte, tout ce qu’il a fait, c’est discréditer les autochtones. Il a un charisme extraordinaire, mais c’est un vendeur de nuages. »

Fort-Coulonge Outaouais

À titre d’administrateur de la CPAC, Roger Fleury s’attendait à connaître les états financiers de l’organisme. Il nage toujours en plein mystère. « C’est Guillaume Carle qui gère l’argent et la façon qu’il le dépense, ce n’est pas tes affaires. Quand je lui ai posé des questions, il était vraiment offusqué », raconte l’ex-chef des Algonquins hors réserve de Fort-Coulonge. M. Fleury s’est adressé aux tribunaux pour obtenir une reddition de comptes. « Guillaume dit qu’il a 50 000 membres. [À 80 $ la carte], on parle d’un budget de 4 millions. Je veux savoir où est l’argent parce que je suis imputable. Je ne peux pas fermer les yeux. »

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