Éditorial Laura-Julie Perreault

La Coupe du monde du sexisme

«  Ne louez pas une seule chambre si vous logez chez l’habitant. Réservez deux chambres. Vous pouvez porter un drapeau arc-en-ciel, mais ne participez pas à une manifestation en défense des droits LGBT+. Vous seriez passible d’une peine allant d’une amende de 5000 roubles à une contravention. »

Ces conseils se retrouvent dans un petit guide qu’a préparé l’organisation Fare Network à l’intention des membres de la communauté LGBT qui se sont rendus en Russie pour la Coupe du monde de soccer se terminant aujourd’hui.

Mandatée par la Fédération internationale de football association (FIFA), Fare Network, qui combat la discrimination dans le soccer, avait aussi préparé un guide de conseils pour les spectateurs issus des minorités visibles.

En amont, grâce à des formations sur la diversité, ils ont aussi travaillé avec les employés de la Coupe du monde et les autorités russes pour contrer l’homophobie et le racisme, deux grands maux qui affligent le pays de Vladimir Poutine. Ils ont aussi fourni un numéro de téléphone permettant aux victimes de dénoncer les gestes de harcèlement et leurs auteurs. On ne peut qu’applaudir.

Cibles féminines

Malheureusement, la discrimination ne s’est pas pointée là où on l’attendait. Elle a été dirigée d’abord et avant tout vers les femmes, qu’elles assistent au match en tant que partisanes ou en tant que journalistes.

Fare Network a reçu au moins 30 plaintes formelles, dont plusieurs de reporters télé qui ont été harcelées, agressées ou humiliées alors qu’elles tentaient d’exercer leur métier. L’organisation considère que ces dénonciations ne représentent que le dixième des incidents.

Ces rapports viennent s’ajouter à d’autres incidents sexistes. Burger King Russie a dû s’excuser publiquement après avoir publié sur les réseaux sociaux un concours offrant 47 000 $ US et une réserve de Whoppers à vie aux partisanes russes tombant enceintes d’athlètes de la Coupe du monde. Ça ne s’invente pas. La délégation d’Argentine a aussi été rappelée à l’ordre après avoir distribué à ses membres un guide expliquant comment séduire les femmes russes.

Prenant acte des dérapages sexistes, la FIFA est elle-même passée à l’action et a demandé aux télédiffuseurs de la Coupe du monde de cesser de tourner systématiquement leurs caméras vers les partisanes jeunes et jolies se trouvant dans les gradins lors des temps morts des matches.

L’organisation compte même en faire une règle. «  Une évolution normale  », a dit le responsable de la diversité à la FIFA, Federico Addiechi.

La FIFA agit aussi contre les harceleurs en leur retirant la carte de fan qui leur permet d’assister aux matches, une mesure qui a fait ses preuves contre les hooligans dans plusieurs pays, dont l’Angleterre et la Turquie.

Deux poids, deux mesures

Si les actions immédiates de la FIFA pour enrayer le sexisme semblent être un premier pas dans la bonne direction, l’organisation a beaucoup à faire dans ses propres rangs pour devenir un modèle de promotion de l’égalité des sexes.

On se rappellera qu’en 2015, à la veille de la tenue de la Coupe du monde des femmes au Canada, plus de 80 athlètes féminines ont lancé une poursuite contre la FIFA et l’Association canadienne du soccer pour dénoncer le fait qu’elles devaient jouer sur du gazon synthétique pendant la compétition internationale. Les hommes, eux, ont droit à des gazons naturels beaucoup plus sécuritaires et moins toxiques.

Même devant cette situation claire de deux poids, deux mesures, la FIFA a fait la sourde oreille et a attendu que les athlètes féminines retirent la poursuite, ne voulant pas manquer le tournoi qui ne passe qu’une fois tous les quatre ans. Et même quand une entreprise privée a offert de couvrir les frais de l’installation de gazon naturel, l’organisation a refusé de changer d’idée.

Si le Canada n’a pas eu de réparations à apporter à ses stades pour le tournoi féminin, il devra entreprendre des travaux majeurs avant d’être l’hôte, avec les États-Unis et le Mexique, de la Coupe du monde des hommes en 2026. À coups de millions.

Le décalage entre les bourses offertes par la FIFA aux athlètes masculins et féminins lors de la Coupe du monde est aussi effarant. En 2015, les femmes ont eu droit à 4 % de la cagnotte récoltée par les hommes en 2014, soit 15 millions au lieu de 358 millions. Ouille ! Oui, le soccer masculin est l’une des plus grandes machines à argent de la planète, mais rien n’empêche la FIFA de faire preuve de plus d’équilibre avec ses propres fonds.

Le test français

Si la FIFA est sincère dans ses efforts soudains pour combattre le sexisme, elle aura une année pour le démontrer. L’an prochain, du 7 juin au 7 juillet, les 24 meilleures équipes féminines s’affronteront en France. C’est à cette occasion qu’on pourra constater si la FIFA suit elle aussi une «  évolution normale  » vers une plus grande égalité des sexes dans le sport le plus aimé et le plus regardé de la planète. Espérons qu’on n’aura pas droit, une fois encore, à la Coupe du monde du sexisme.

Un système à adopter

Après la tenue de la Coupe du monde, la Russie compte conserver le système des cartes d’identité de fans mis en place pour le tournoi international. Selon ce système, adopté sous Margaret Thatcher en Grande-Bretagne, tous ceux qui veulent assister à un match de soccer doivent être en possession d’un billet et de la carte d’identité. En Russie, pour les étrangers, la carte a aussi servi de visa pour entrer en Russie et permettait d’utiliser les transports en commun gratuitement. En cas de comportement répréhensible, la carte peut être retirée par le pays hôte, permettant ainsi de bloquer l’accès aux stades aux fans fautifs. Pour 2026, le Canada aurait tout intérêt à étudier de près ce système qui encourage le savoir-vivre. 

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