TENDANCES MODE

Vent de changement

Les débuts d’année sont tout indiqués pour les prédictions. Alors que les grandes marques courtisent de plus en plus la jeune génération, quelles tendances mode s’imposeront en 2018 ? À l’aide de notre boule de cristal (et de quelques experts bien informés), nous avons joué le jeu. Un dossier d’Iris Gagnon-Paradis

Quête d’imperfection

Portée par une nouvelle génération qui bouleverse l’ordre établi avec ses valeurs et par des mouvements de société qui changent les perceptions, une mutation s’opère dans l’univers de la mode. Imperfection, abolition des frontières et fin de l’hypersexualisation sont à l’ordre du jour.

Cette dernière fait tellement partie de notre société qu’on a parfois l’impression qu’elle a toujours existé. Dans les faits, on peut retracer les racines du phénomène qu’on nomme aujourd’hui hypersexualisation dans les années 60, avec l’apparition des kinky boots, ces hautes bottes qui montent au-dessus des genoux, inspirées du fétichisme.

L’ère de l’objectivation du corps de la femme tirerait-elle à sa fin ? Tout porte à croire que oui, remarque Mariette Julien, professeure associée à l’École supérieure de mode de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et spécialiste de l’observation sociologique des phénomènes de mode. « Parfois, un déclencheur, un petit événement peut venir transformer la mode, créer un mouvement de contagion. L’ère de #metoo vient changer la donne. Les femmes ne veulent plus être un objet sexuel, elles veulent être prises au sérieux. La mode hypersexualisée, elles n’en veulent plus ! »

Ainsi, le décolleté, la peau et les vêtements très près du corps risquent de s’effacer au profit d’une mode plus sobre et modeste. 

Un phénomène qui n’est pas étranger à un retour vers certaines valeurs traditionnelles, « rassurantes et sécurisantes », dans un monde incertain qui traverse plusieurs crises, qu’elles soient politiques, climatiques ou sociales, et cristallisé par des figures féminines fortes et médiatisées comme Michelle Obama, Oprah Winfrey et Kate Middleton.

Mais au-delà d’un certain retour vers une mode prude, c’est surtout l’expression de l’identité à travers les vêtements qui intéresse la jeune génération. Ainsi, fait remarquer Mme Julien, l’arrivée de femmes à la tête de grandes marques comme Prada, Dior et Givenchy amène des collections qui misent moins sur le côté sexy que sur un look très jeune, des couleurs flamboyantes et des compositions surprenantes dans le mélange des coloris, des imprimés et des styles.

Bref, l’imperfection devient le nouveau leitmotiv. « Les jeunes n’aiment pas la perfection. Il faut que la tenue, l’allure, l’apparence porte un petit quelque chose de rebelle, de choquant pour la génération plus âgée. »

Culture jeunesse

Alors que Donald Trump veut ériger un grand mur et que le Royaume-Uni a dit « Brexit », cette jeune génération semble au contraire vouloir faire tomber les frontières. Mode unisexe ou « sans genre », dominance du normcore et du streetwear qui rendent les distinctions de statut social par le vêtement griffé caduques : les milléniaux et la génération Z se posent en porte-à-faux avec une industrie de la mode superficielle qui dicte la façon de se vêtir.

« Aujourd’hui, ce sont vraiment les jeunes qui influencent les mouvements de mode en nous proposant leur vision du monde, un monde ouvert, sans frontières. Les jeunes ne veulent plus se faire dire comment s’habiller, ils veulent déterminer leur style. Il y a une valorisation d’une mode plus esthétique, artisanale même ; on n’est pas dans le clinquant, mais dans l’authenticité et le naturel », note Mme Julien.

Résultat : plusieurs acteurs importants du marché ont récemment effectué un changement assez draconien dans leur esthétique. « Il y a vraiment un mouvement important qui se passe en ce moment avec toutes ces ‟superbrands” comme Balenciaga et Gucci qui délaissent le marché des baby-boomers et vont vers les milléniaux. Ça fâche beaucoup de gens qui ont l’impression de se faire ‟abandonner”, mais ça paraît dans leurs résultats financiers », explique Milan Tanedjikov, chargé de cours au Collège LaSalle et à l’École supérieure de mode de l’UQAM et membre de l’équipe éditoriale du magazine montréalais The Fine Print.

La nouvelle tête dirigeante de Balenciaga, Demna Gvasalia, illustre à merveille ce phénomène en chamboulant l’industrie avec ses collections ancrées dans le normcore et même le dadcore, ce mouvement qui reprend, avec une certaine ironie, l’esthétique des vêtements que portaient les pères des années 90, immortalisée dans des photos de famille au kitsch suranné dans la dernière campagne printemps-été 2018 de la maison.

Pensez jeans sans forme, polar et anorak oversized aux couleurs criardes, sans oublier les « jolis-laids » sneakers, tels que baptisés par Vogue dans un article récent. Une mode lancée par Balenciaga avec ses sneakers Triple S, puis reprise notamment par Prada.

Ce mouvement choque certains baby-boomers, qui ne comprennent pas comment la « marque la plus chic du monde » en est arrivée là, explique Milan Tanedjikov.

« Les jeunes cherchent à créer leur identité, quelque chose de nouveau, mais le problème aujourd’hui, c’est qu’il n’y a plus d’underground, tout devient pop. Donc comme ce qu’ils désirent est impossible, ils ont en quelque sorte abandonné cette idée d’être différents et se retournent en décidant d’imiter le style des baby-boomers, en riant d’eux d’une certaine façon. C’est très second degré. »

Vous trouvez ça laid ? Peut-être plus pour longtemps puisque, rappelle Mme Julien, « le cerveau aime ce qui est familier ». Ce qui choque aujourd’hui deviendra un phénomène de masse lorsqu’il sera repris par l’industrie du fast-fashion. Et ainsi tourne la roue de la mode…

Du minimalisme au maximalisme

Un regard du côté des passerelles qui présentent les collections printemps-été 2018 suffit pour comprendre que l’expression less is more n’est pas à l’ordre du jour. Le minimalisme laisse place à toute une panoplie de couleurs, motifs, finis et textures, à agencer selon ses envies du moment.

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