Biographie Mise à niveau

Robert Dutton fustige à nouveau Michael Sabia

Dans une biographie qui sort en librairie aujourd’hui, Robert Dutton, ex-PDG de RONA, revient sur les événements et les raisons qui ont conduit à son congédiement en novembre 2012, dans la foulée d’une prise de contrôle avortée amorcée par le géant américain Lowe’s. Trois ans et demi après le départ de Dutton, Lowe’s a fait main basse sur RONA.

Robert Dutton commence son récit avec force et fracas en rapportant dès la cinquième page du livre une tirade pour le moins vitriolique que lui a lancée Michael Sabia lors d’une rencontre, le 5 novembre 2012 – trois jours avant son congédiement –, pour discuter des résultats trimestriels de RONA qui vont être dévoilés le lendemain.

« Vous ne savez pas gérer RONA. Vous ne savez pas créer de la croissance. Vous ne savez pas faire des profits. Vous n’êtes pas capables… Vous n’êtes pas performants, c’est tout.

«  […] C’est moi qui prends RONA. C’est mon dossier. Ce n’est pas normal, ça ne devrait pas se passer comme ça, mais je vais prendre le contrôle, je prends la responsabilité du dossier RONA. J’ai l’appui de mes déposants, j’ai l’appui du gouvernement. J’ai une équipe, ils vont entrer en place, et j’ai un plan », lui aurait dit Michael Sabia.

Robert Dutton m’avait raconté cet échange acrimonieux lors d’une série d’entretiens que nous avons eus entre novembre 2012 et janvier 2013 et qui ont été résumés dans un long témoignage, publié dans La Presse le 4 février, intitulé « Je n’ai pas perdu une job, j’ai perdu ma vie ».

Grand consommateur de polars, j’ai lu le livre de Robert Dutton en un week-end, avec la même voracité que j’éprouve lorsque je tourne les pages d’une intrigue policière bien ficelée, bien écrite et enlevante, même si le dénouement du récit est révélé dans les 15 premières pages de l’ouvrage.

Avec la collaboration de Daniel Larouche, son spécialiste des communications des 20 dernières années, Robert Dutton a réussi à produire un ouvrage de 400 pages intéressant, documenté, qui nous fait découvrir le parcours des 35 années qu’il a vécues chez RONA, dont les 20 dernières à titre de PDG.

De 1992 à 2012, durant les années Dutton, RONA est passé du statut de petit distributeur et quincaillier régional avec des ventes de 450 millions à leader canadien de la quincaillerie avec des revenus annuels de 5 milliards.

Si, au départ, le livre semble se diriger sur la voie d’un long plaidoyer d’auto-apitoiement d’un PDG déchu et amer d’avoir été évincé de son poste, il prend dès le deuxième chapitre le virage du témoignage vivant des dessous de la construction d’un groupe québécois de détail, dynamique et frondeur, qui a toujours été en mesure de progresser malgré les crises et les aléas de l’économie.

Les raisons derrière l’écriture

Robert Dutton ne s’en cache pas. L’une des grandes motivations qui l’ont amené à revenir sur ses 35 années passées chez RONA relevait de la volonté naturelle de suivre le processus de guérison à la suite de son départ brutal de l’entreprise qui avait occupé toute sa vie.

Mais le ton de l’ouvrage n’est pas larmoyant ni vindicatif pour autant. Robert Dutton y expose sa vision de l’histoire et propose au passage plusieurs leçons de management qui vont être utiles aux entrepreneurs de tous âges et de tous les secteurs.

Même s’il s’agit avant tout d’un récit autobiographique, la facture du livre a aussi des allures d’un ouvrage universitaire. On retrouve plus de 200 annotations de bas de page qui renvoient précisément aux sources de références qui ont été utilisées.

Cette attention n’est pas étrangère au fait que Robert Dutton est maintenant professeur associé à HEC Montréal. 

« Je ne voulais pas faire honte à l’Université et je voulais présenter un ouvrage inattaquable sur le plan des faits. »

— Robert Dutton

Si la Caisse de dépôt et son président Michael Sabia sont les cibles de plusieurs critiques, Robert Dutton s’interroge aussi sur l’apathie des gouvernements qui a permis au groupe américain d’acquérir RONA au terme de sa dernière offre d’acquisition de 2016 qui été présentée comme amicale.

« Le premier ministre Couillard dit qu’il n’était pas au courant de ce qui se passait chez RONA alors que Michael Sabia m’a maintes fois rappelé qu’il rendait compte personnellement au premier ministre et au ministre des Finances de tous les développements entourant RONA.

« C’est sous le gouvernement de Pauline Marois que le conseil d’administration de RONA est passé sous le contrôle des Ontariens », constate Robert Dutton avec une certaine amertume.

Il n’est pas anodin que la sortie de ce livre survienne en pleine campagne électorale alors que les enjeux économiques semblent totalement absents du débat politique québécois.

Il serait intéressant, mais surtout nécessaire que les partis politiques nous expliquent comment chacun d’entre eux souhaite mieux protéger les sièges sociaux d’entreprises québécoises contre des prises de contrôle non sollicitées afin d’éviter que ne se répètent trop souvent d’autres « inévitables » RONA.

Des citations tirées de Mise à niveau

« “Méfie-toi des ides de mars !”, aurait chuchoté le devin Spurinna à l’oreille de Jules César. »

« “Méfie-toi de la Caisse !” Je ne sais plus combien de conseillers financiers ou juridiques m’ont murmuré cela à l’oreille au cours des 12 dernières années – peu importe qui en était le président, d’ailleurs. »

« César n’a pas pris Spurinna au sérieux. Il en est mort assassiné. [...] Pour ma part, j’ai toujours pris l’avertissement très au sérieux. Mais je n’ai pas toujours eu le choix. Quant à mon assassinat, il ne sera “que” professionnel. »

— Robert Dutton, qui cherche des investisseurs amis pour créer une minorité de blocage contre la première offre de Lowe’s en 2011.

« Je me demanderai toujours, aussi, pourquoi la décision a été prise de laisser Investissement Québec disloquer la minorité de blocage. Que cela ait été ou non l’intention derrière le geste, il était évident, dès la fin de 2014, que cela mènerait à la vente de RONA. Quelqu’un – Invesco, la Caisse, Investissement Québec ? – a manifestement manqué de patience, devant un redressement promis, mais qui n’a pas rempli ses promesses. »

— Robert Dutton au sujet de la vente de la position de 9 % que détenait Investissement Québec dans RONA en 2014-2015, ce qui a permis à Lowe’s de lancer son OPA amicale.

« Avec un coup de pouce de Ro-Na [l’appellation de RONA dans les années 80], des entreprises québécoises ont pu afficher une croissance accélérée. Roland Boulanger & Cie de Warwick dans les Bois-Francs (portes et moulures), Duchesne & Fils de Yamachiche (clous, treillis, revêtements), Garant de la région de Montmagny (pelles, grattes et outils) et bien d’autres accompagneront Ro-Na dans sa croissance au Québec, puis partout au Canada. Pour bien des entreprises québécoises, Ro-Na deviendra le client le plus important et le moteur de leur expansion. »

— Robert Dutton au sujet de la politique d’achats québécois de RONA

« Pendant mon séjour à Saint-Benoît-du-Lac en novembre 2012 [à la suite de son congédiement], je me suis fixé trois objectifs : d’abord, protéger ma santé physique et émotive ; ensuite, ne jamais cesser de progresser, pour devenir chaque jour une meilleure personne que la veille ; enfin pardonner.

« Le premier objectif est atteint ; j’espère que je progresse toujours sur le front du second ; quant au troisième, c’est un chantier plus long que prévu…

« Mais j’y arriverai. Il me reste encore toute une vie. »

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