Chronique

Reconnaissons-lui son mérite !

Quand Eugenie Bouchard a vaincu Maria Sharapova dans un match émotif à Madrid, le printemps dernier, j’ai pensé que cette victoire lui servirait de déclic. Mauvais calcul. Le reste de sa saison a été pénible, et elle a dégringolé au classement.

Voilà une bonne raison pour ne pas tomber dans le même piège un an plus tard. Oui, Bouchard a joué du tennis solide en battant l’Ukrainienne Lesia Tsurenko hier. Des éclairs dans les yeux, elle a tapé la balle avec autorité. Pour reprendre l’expression la plus populaire du Montréal sportif ces jours-ci, elle a montré une excellente « attitude ».

Voilà une bonne nouvelle. Et Bouchard avait raison de dire après ce match éreintant que sa performance rehausserait sa confiance. Mais des zones grises demeurent : elle a commis plusieurs fautes directes, même lorsqu’elle n’était pas sous pression. Et elle a parfois raté l’occasion d’enlever un jeu, laissant Tsurenko se sortir du pétrin.

Ralentie par des crampes, l’Ukrainienne a terminé le match sur une seule jambe ou presque. En fin de troisième manche, elle était incapable de servir avec puissance. Bouchard, également éprouvée physiquement, a failli ne pas en profiter, commettant des erreurs qui ont même surpris sa rivale. Cela indique à quel point concrétiser la victoire est un défi redoutable quand le moral est fragile. Et Bouchard a eu besoin de toutes ses ressources pour boucler l’affaire.

Mais une victoire est une victoire. Celles de Bouchard étant très rares depuis deux ans, reconnaissons-lui son mérite : elle s’est battue avec énergie et a réussi des coups magiques. Le public réuni dans des gradins de fortune aux extrémités du court a apprécié le spectacle. L’ambiance était fantastique. Pour le rapport qualité-prix, impossible de trouver mieux.

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Ce match démontre aussi que Bouchard est en excellente forme physique. Sinon, elle ne serait pas passée à travers ce marathon de deux heures et trente-neuf minutes ponctué de longs et spectaculaires échanges.

C’est important de le mentionner puisque ses nombreuses activités à l’extérieur du terrain, qu’elle met en évidence sur ses réseaux sociaux, font croire aux plus critiques qu’elle ne se consacre pas entièrement à son sport. Elle a beau répéter qu’elle s’entraîne à fond, cela ne convainc pas tout le monde. Or, c’est elle qui est sortie gagnante de cette exténuante bataille contre la 41e joueuse mondiale. Elle a remporté à la fois le match physique et le match psychologique.

Cela tombe à point puisque Bouchard, sur le plan sportif, est en pleine traversée du désert. Souvent éliminée au premier tour des tournois, elle se rabat sur des matchs de double et des entraînements pour affiner son jeu. Or, son but est d’abord de retrouver ses repères en simple. Et pour cela, il faut jouer beaucoup, il faut franchir les premières rondes des tournois.

Dans ce contexte, elle a bien fait de participer à cette manche de la Coupe Fed. Elle a remporté deux victoires impressionnantes, et le public l’a solidement appuyée. Elle a même serré la main de sa rivale ukrainienne lors du tirage au sort de vendredi, faisant ainsi un peu oublier son geste antisportif d’avril 2015 qui lui avait valu avec raison une mauvaise presse sur la planète tennis.

À cette époque, Bouchard faisait partie du top 10 mondial et sa carrière s’annonçait fulgurante. La suite n’a pas été à la hauteur de ses attentes. Pendant qu’elle cherche à renouer avec le succès, plusieurs joueuses de son âge ou même plus jeunes ont pris d’assaut le circuit de la WTA : Garbine Muguruza, Jelena Ostapenko, Sloane Stephens, Elina Svitolina, Madison Keys, Daria Kasatkina, Naomi Osaka… La concurrence est féroce comme jamais.

Malgré tout, Eugenie Bouchard dit conserver le moral. Quand on lui demande si elle peut retrouver sa place parmi les meilleures au monde, elle répond : « Je sais que ça peut arriver. J’ai toute la confiance que je peux faire ça. »

Tant mieux, parce qu’il lui faudra beaucoup de volonté pour atteindre cet objectif. La route s’annonce sinueuse. Sa chute au classement la prive d’un accès direct aux tournois les plus importants. Elle doit espérer une invitation des organisateurs ou passer par les qualifications. Ainsi, il est loin d’être certain qu’elle participera le mois prochain aux Internationaux de Roland-Garros, où elle a disputé la demi-finale il y a quatre ans.

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Alors, Bouchard peut-elle revenir parmi l’élite ? Je la crois toujours capable de faire partie du top 25, même si cela prendra du temps. Pourquoi ? Parce qu’elle demeure malgré tout une joueuse avec de nombreux atouts. À certains moments du match d’hier, par exemple, son tennis offensif en a mis plein la vue. Elle a aussi réussi quelques services très puissants le long des lignes et s’est déplacée avec agilité sur le terrain.

Mais comment faire en sorte que ces « flashes » redeviennent la norme ? La meilleure façon sera bien sûr de progresser dans des tournois, même s’ils sont de moindre importance. La confiance est un élément-clé de la réussite.

Un entourage plus stable serait aussi un atout. Elle est de nouveau à la recherche d’un entraîneur et est représentée depuis peu par un nouvel agent. À l’évidence, ces changements à répétition sont une distraction.

Bouchard est maintenant âgée de 24 ans. Elle a encore du temps devant elle. Mais les carrières vont vite, et elle doit maintenant donner à la sienne le virage nécessaire. Son rôle dans la belle victoire du Canada contre l’Ukraine ce week-end, dans laquelle elle s’est comportée en leader, est un pas dans la bonne direction.

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