Éditorial François Cardinal

MONARCHIE BRITANNIQUE
Du royal exit au royal flush ?

Et si la volonté du couple princier de se distancier de la monarchie incitait le Canada à en faire autant ?

Et si la volonté de Harry et de Meghan de couper le cordon (de la bourse) avec la monarchie nous amenait à couper les ponts avec cette dernière ?

Et si, autrement dit, le « royal exit » menait à un « royal flush » ?

On n’en est pas encore là, bien sûr. La monarchie est en crise à Londres, mais la monarchie constitutionnelle du Canada ne l’est pas.

N’empêche que le tremblement de terre causé par le besoin d’autonomie du couple princier pourrait bien ouvrir la voie à des débats majeurs, ici et ailleurs.

Ou à tout le moins, il devrait mener à des débats plus larges, comme l’ont fait les soubresauts royaux à l’occasion. Pensons à l’abdication du roi Édouard VIII en 1936 et aux infidélités du prince Charles lorsque dévoilées par Lady Di.

En ce sens, le rapprochement du Canada de la monarchie serait une bonne occasion, ironiquement, de réfléchir à son avenir dans notre vie politique. De toute façon, ce débat viendra assurément sur le tapis lors de la mort d’Élisabeth II, de la même manière qu’il rebondit chaque fois qu’un membre de la royauté met le pied au pays.

Bien sûr, la monarchie demeure un symbole identitaire très fort au Canada (anglais). De nombreux sujets de Sa Majesté trépignent ainsi à l’idée d’accueillir le couple dans la foulée du « Megxit ». Ils voient là une occasion pour le pays d’enfin jouer son rôle de membre du Commonwealth…

La preuve, 60 % des répondants à un sondage publié cette semaine par le National Post rêvent du déménagement de Harry à Rideau Hall, où il pourrait occuper la fonction de gouverneur général (il serait intéressant de savoir combien de répondants avaient préalablement visionné The Crown sur Netflix)…

Mais plusieurs autres Canadiens pourraient avoir la réaction inverse. Après tout, les enquêtes d’opinion menées au fil du temps ont démontré un appui tiède à la monarchie (surtout au Québec).

En 2002, un sondage Léger révélait que 50 % des Canadiens souhaitaient le maintien de la monarchie contre 43 % qui n’y tenaient pas. En 2009, selon Strategic Counsel, ils étaient 65 % à vouloir sa disparition. Et en 2016, Ipsos fixait à 53 % le niveau d’opposition à la monarchie.

L’appui de la classe politique est à l’avenant. Les grands partis ne cherchent pas à se défaire de la monarchie, mais le NPD le demande depuis 20 ans. Michael Ignatieff, qui a dirigé le PLC, n’en voulait plus. Même chose pour John Manley quand il était ministre de Jean Chrétien.

Difficile de conclure quoi que ce soit de tout ça, sinon que la plupart des Canadiens semblent s’accommoder de la monarchie, pourvu qu’elle soit plutôt invisible. Qu’elle n’ait pas d’emprise réelle sur leur vie politique au quotidien. Que ses représentants jouent un rôle essentiellement protocolaire.

Mais voilà ! La présence de membres de la famille royale en sol canadien change tout ! Elle est autrement plus perturbante que cette monarchie virtuelle à laquelle on pense peu. Et elle nous force à nous poser bien des questions.

Quel serait le niveau de responsabilité du Canada ? Ses obligations ? Les coûts de sécurité et autres pour les contribuables, par exemple ?

Passe encore que la famille visite son « royaume » à l’occasion. Mais que certains membres s’installent dans les « colonies » ? Vraiment ?

Ce serait comme le beau-frère qu’on accueille chaque année de bon cœur même si on le trouve un peu lourd. Le jour où il annonce qu’il s’installe à demeure dans le salon, on ne rit plus…

Ainsi, payer 1,7 million par année (selon certaines estimations non confirmées) pour la sécurité du couple serait un peu fort de thé ! En fait, peu importe la somme, le simple fait de refiler aux contribuables la moindre facture en lien avec ce déménagement imposé serait indécent.

Ou bien les royaux conservent leurs titres, et la royauté paye. Ou bien ils y renoncent, et le Canada renonce par le fait même à ses obligations financières.

Cela dit, avouons-le, on se serait bien passé de ce genre de questions et de débats plutôt futiles, surtout quand des enjeux de grande importance monopolisent les manchettes.

Mais tant qu’à se questionner, peut-être devrait-on le faire pour vrai…

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