recrutement massif de pilotes

Aussitôt formés, aussitôt embauchés

Air Canada doit trouver plus de 400 pilotes d’avion pour cet automne, indique une publication interne destinée aux employés des opérations aériennes. Quelques centaines de pilotes s’envoleront vers la retraite d’ici deux ans, et le transporteur offre 16 nouvelles destinations au départ de Montréal. WestJet et Air Transat aussi ont ajouté de nouveaux itinéraires. Sans compter les nouvelles règles sur la gestion de la fatigue qui seront en vigueur l’an prochain.

William Préfontaine n’a que 21 ans et il porte déjà l’uniforme d’un important transporteur national canadien. « J’ai terminé ma technique de pilotage d’aéronef au Cégep de Chicoutimi l’an dernier. La compagnie est venue directement à l’école faire passer des entrevues et des examens. J’ai tout de suite été embauché », dit-il, les yeux brillants, après nous avoir montré le simulateur de vol sur lequel il a eu sa formation.

William a pu réaliser son rêve d’adolescent plus vite que prévu, tout comme une dizaine de ses confrères qui ont obtenu leur diplôme en juin dernier. Le directeur de la recherche et du développement au Centre québécois de formation aéronautique pour le Cégep de Chicoutimi, Jean Laroche, qui est à ses côtés, précise au jeune pilote que c’est une situation exceptionnelle. 

« Si tu avais gradué il y a 4 ou 5 ans, tu aurais commencé ta carrière dans une compagnie de troisième niveau avec un appareil de petit calibre, 19 places et moins. »

— Jean Laroche

Plusieurs compagnies aériennes engagent des étudiants qui viennent de terminer leur formation. Le transporteur régional Jazz Aviation, qui exploite certains vols sous la marque Air Canada Express, a établi une stratégie pour s’assurer d’avoir accès à des employés qualifiés.

« Nous avons conclu des partenariats avec 10 collèges et universités au Canada offrant des programmes d’aviation, ce qui fournit une source importante de candidats potentiels bien formés et de grande qualité », explique la porte-parole de Jazz Aviation, Manon Stuart.

Air Transat, qui confirme avoir embauché plus d’une centaine de pilotes depuis deux ans, engage aussi des candidats qui viennent d’être qualifiés comme pilotes.

« Ce sont des gens qui ont volé, je vous rassure. On ne prend pas de gens qui n’ont pas volé, précise au téléphone Christophe Hennebelle, vice-président des ressources humaines et des affaires publiques chez Transat. On sent que le marché est un peu plus tendu actuellement. Mais Transat est une marque attractive. Pour un pilote au Canada, soit il veut finir chez Air Canada, chez Transat ou chez WestJet. Les difficultés sont plutôt pour les autres, pour les plus petites lignes aériennes. »

effet domino sur les petits acteurs

Le recrutement massif par les grandes lignes aériennes, relié à l’augmentation des vols, aux départs à la retraite et bientôt à la nouvelle réglementation, a des répercussions désastreuses sur plusieurs petites compagnies. Air Inuit, qui dessert les communautés du Nunavik, voit la pression s’intensifier depuis six mois.

« On ne peut pas compétitionner avec les plus grands. Passer la nuit à Salluit ou à Paris, le choix est facile pour un pilote, affirme Sébastien Michel, directeur des opérations de vol. Chez Air Inuit, on a perdu 33 pilotes depuis 10 mois. On est 140. Ça crée beaucoup de mouvement à l’interne. On doit faire de nouveaux entraînements. On augmente la surveillance. Ça nous a coûté un million de dollars. »

Pascan Aviation, qui relie Montréal à Toronto, aux Îles-de-la-Madeleine ainsi qu’à plusieurs villes du Québec, craint que la situation ne s’aggrave d’ici un an.

« Un pilote d’avion, c’est comme un joueur de hockey, ça veut jouer dans la Ligue nationale, constate Yani Gagnon, copropriétaire et vice-président directeur. Pour nous, l’impact, ce sont des taux de rotation élevés. »

« Avant, un pilote restait 36 mois. Maintenant, il part après six mois. Si on compte la formation qui dure trois mois sur l’appareil, je ne suis pas rentré dans mon argent du tout. »

— Yani Gagnon, de Pascan Aviation

Plusieurs sont d’avis qu’il faudrait former plus de pilotes au Québec. Le problème, c’est que les écoles de pilotage privées se font dépouiller de leurs instructeurs expérimentés. Des dizaines d’employés du Collège Air Richelieu, de Cargair à Saint-Hubert et de Grondair à Saint-Frédéric, dans la région de Chaudière-Appalaches, ont été embauchés récemment par des transporteurs régionaux.

« On s’enligne vers un réel problème, soutient Thierry Dugrippe, directeur général et des opérations au Collège Air Richelieu, à Saint-Hubert. Tout le monde n’a pas accès à l’argent pour se former. Est-ce que la solution va être un partenariat avec de grosses compagnies ? Le gouvernement ? Je ne sais pas. Mais il faut au départ que les gens aient les capacités intellectuelles pour réussir la formation. »

De son côté, le Cégep de Chicoutimi ne compte pas accepter plus d’élèves pour satisfaire à la demande de l’industrie.

« Cette pénurie est temporaire, soutient Jean Laroche, directeur de la recherche et du développement au Centre québécois de formation aéronautique pour le Cégep de Chicoutimi. On est un programme complètement subventionné. On ne peut pas investir dans de nouvelles installations qui ne sont pas pérennes, acheter des flottes additionnelles, des hangars, trouver de l’espace aérien. À moyen terme, les petits opérateurs devront s’ajuster ou se regrouper. »

Inquiétudes à bord ?

Certains sourcillent en voyant de jeunes finissants assis dans les cabines de pilotage d’avions de type Q400 avec à bord une soixantaine de passagers.

Un important transporteur « embauche des pilotes avec une expérience de 250 heures de vol seulement, alors qu’avant c’était un minimum de 1500 heures. Les pilotes que même nous, on n’engagera pas, [lui] les prend », s’étonne Dany Gagnon, vice-président et directeur des opérations chez Chrono Aviation, une compagnie spécialisée dans les vols nolisés et les missions spéciales dans le Grand Nord.

La majorité des gens de l’industrie avec qui La Presse Affaires s’est entretenue ne partagent pas ce discours alarmiste, du moins pas pour les pilotes de l’Amérique du Nord.

« Je ne suis pas inquiet, affirme Jean Lapointe, pilote chez Air Canada. J’ai 26 000 heures de vol et j’embarquerais comme passager. Si le jeune pilote à 250 heures n’est pas prêt, la compagnie va continuer de le former sur l’appareil jusqu’à ce qu’il le soit. Ça coûte tellement cher, un accident, beaucoup plus cher que de l’entraînement ! »

« Les formations d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec celle d’il y a 20 ans, assure Jean Laroche, du Centre québécois de formation aéronautique. Elles sont adaptées pour le marché, plus perfectionnées. Les finissants sont vraiment prêts. »

Fatigue des pilotes

Ottawa interpellé

Les pilotes d’avion du Canada s’unissent pour exhorter le gouvernement fédéral à adopter des règles plus rigoureuses sur la « fatigue » des pilotes que celles qui ont été annoncées en juillet. L’Association des pilotes d’Air Canada, les syndicats Unifor et Teamsters Canada, notamment, estiment que ces règles sont dépassées par rapport à celles des États-Unis, entre autres. Milt Isaacs, président directeur général de l’Association des pilotes d’Air Canada, cite une étude de la NASA qui recommande que le temps de vol la nuit soit limité à 8 heures et demie, car la vivacité d’esprit, le temps de réaction et la performance cognitive se détériorent. À la suite de l’écrasement du vol de Colgan Air en 2009 à Buffalo, la Federal Aviation Administration des États-Unis a adopté des règles qui imposent notamment des pilotes supplémentaires au bout de seulement huit heures de vol pour des départs après 20 h. La nouvelle réglementation annoncée par Transports Canada limite le temps de vol entre 9 et 13 heures, en fonction de la période de la journée (jour ou nuit) et du nombre de décollages et d’atterrissages. Les règles actuelles laissent voler les pilotes jusqu’à 14 heures de suite. — La Presse canadienne

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