Nouvel or noir… Nouvelle révolution industrielle… Le big data apparaît comme la solution miraculeuse pour augmenter la performance et les profits des entreprises. Est-ce simplement un mirage numérique ? Les données massives sont-elles utiles pour toutes les entreprises ? Des chercheurs du Canada et de la France en ont discuté lors d’un colloque au congrès de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS), qui a eu lieu plus tôt ce mois-ci à l’Université McGill.
« J’ai une réserve sur ce genre d’outil, soutient Christian Marcon, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Poitiers, en France. Je ne dis pas que ça ne marche pas, mais il faut suffisamment de données et des logiciels assez puissants pour traiter ces données-là. »
« Si j’étais décideur, ça me gênerait beaucoup de décider sur la base d’équations auxquelles je ne comprends rien. »
— Christian Marcon
Christian Marcon a présenté le résultat de son étude réalisée auprès de PME françaises lors du colloque. Son constat : les grandes entreprises ont les moyens d’utiliser les données massives, d’acheter des logiciels coûteux et d’engager des employés qualifiés pour les opérer et analyser les résultats. Ce qui n’est pas le cas des PME.
« Employer une personne qui a des compétences, ça suppose que l’entreprise ait suffisamment de données, poursuit-il. Ou qu’elle en achète de l’extérieur, en plus de logiciels. Et pour donner quoi en pourcentage d’efficacité ? Je suis certain que certaines entreprises doivent se demander quel type de données va leur servir à quelque chose. »
Les sociétés
Un autre participant au colloque, Antoine Henry, doctorant à l’Université Aix-Marseille, concentre ses recherches sur Gaz Réseau Distribution France (GRDF), principal distributeur de gaz naturel en France et en Europe. Même si ses résultats sont plus concluants, le doctorant émet des réserves.
« Contrairement à ce que certains prétendent, affirme le chercheur, on ne peut pas prendre plein de données et voir ce que ça donne. Il faut une matière première propre. Si on veut quelque chose de vraiment fin, ça demande un peu plus de travail. Une vraie compétence. Sinon, on se retrouve avec des corrélations aberrantes. »
« Les décideurs ont besoin de se rassurer et de légitimer leur fonction, alors ils suivent la mode. La mode, c’est le big data. On leur explique qu’avec le big data, ils vont mieux anticiper les décisions, ils vont mieux savoir ce que cherche le client. »
— Christian Marcon, professeur à l’Université de Poitiers, en France
Le marketing et l’éthique
Vous nourrissez chaque jour le big data… avec vos applications, vos données bancaires, vos cartes de fidélité, votre GPS. Si toutes les entreprises détiennent les mêmes informations sur chaque individu, est-ce toujours aussi efficace ?
Eli Elia, professeur au département de management et technologie de l’UQAM, croit qu’on sous-estime le potentiel du big data. Il soutient qu’actuellement, on peut non seulement analyser le comportement des gens, prévenir leurs faits et gestes, mais aussi les inciter à adopter un comportement précis.
« Si ce n’est pas bien gouverné, il va y avoir du dérapage dans l’utilisation des données, c’est inévitable », affirme-t-il.
« L’individu laisse des traces dans sa routine. On est capable de détecter des anomalies. Des changements d’habitudes. Et on a maintenant ces données. Sans dire que tu viens de te séparer ou de vivre un deuil, l’algorithme va te catégoriser selon un chiffre. Par la suite, il va te proposer des choses pour un objectif qui n’est pas nécessairement éthique. Si une personne est suicidaire, est-ce que c’est le moment de lui proposer d’acheter une voiture de sport ? »
De son côté, le chercheur Christian Marcon redoute d’être dénoncé par son réfrigérateur.
« Ce que je crains avec le big data, c’est que mon assurance maladie m’envoie un message : “Ce serait bien que vous mangiez moins de choses grasses, car votre frigo nous dit que vous avez acheté des choses grasses. Ce serait bien de manger moins de choses grasses, sinon on va augmenter votre prime d’assurance.” »
« Un tout petit peu moins de vie privée pour tellement plus de bénéfices, c’est du baratin de propagande », conclut-il.