Milena Di Maulo

La vie après la mafia

Y a-t-il une vie après la mafia ? Une vie normale s’entend, sans montagnes de billets bruns qui s’accumulent sur les tables, sans lignes de coke qui filent à l’infini, sans bijoux et fourrures offerts à volonté, sans chauffeurs et limousines, sans hôtels cinq étoiles, sans filet mignon et Dom Pérignon, mais aussi sans perquisitions policières à la maison, sans arrestations, procès ni peines de prison, et sans proches qui tombent sous les balles du feu ennemi ?

Une vie normale est-elle possible quand on est la fille de feu Joe Di Maulo, abattu devant chez lui en 2013, la nièce de Raynald Desjardins, actuellement en prison, la filleule de feu Frank Cotroni et l’ex-femme de son fils, Frankie ? Selon Milena Di Maulo, qui lance ces jours-ci Fille et femme de mafiosi, un livre sur sa vie écrit par la criminologue Maria Mourani, il semblerait que oui. À une condition : couper tous les liens existants avec son ancienne famille.

J’ai rencontré Milena Di Maulo hier après-midi au milieu d’une journée où elle a enchaîné les entrevues après que TVA et Paul Arcand lui eurent accordé une heure de télévision, dimanche soir, à l’émission Conversation secrète.

Pendant le bref moment que j’ai passé hier avec cette brune de 51 ans qui a le même sourire enjôleur que son père, elle m’a dit tout et son contraire. Qu’elle avait coupé les ponts avec le milieu mafieux, ses restos et ses boîtes de nuit, il y a 12 ans. Mais qu’elle avait néanmoins gardé l’argent de l’héritage paternel et que ses deux enfants, âgés respectivement de 20 et 22 ans, portaient fièrement le nom Di Maulo Cotroni. Pourquoi fièrement ? « Parce qu’ils ont eu un grand-père formidable qui les a amenés au restaurant et qui passait des heures à leur parler et à s’intéresser à eux », répond Milena.

Pourtant, ce grand-père si formidable, en l’occurrence Joseph Di Maulo, qu’elle défend avec affection en entrevue, est décrit dans son livre comme un père inadéquat, irresponsable, un monstre d’égoïsme et de cupidité, prêt à trahir sa propre fille par appât du gain. Pour ses 15 ans, ce père a offert à sa « princesse » une Jaguar. Elle n’avait pas de permis de conduire ? Qu’à cela ne tienne : papa a payé une fille pour qu’elle aille frauduleusement passer le permis de conduire de Milena à sa place. Quand sa fille chérie a voulu abandonner l’école à 16 ans, papa n’a rien fait pour la retenir. Au lieu de la rappeler à l’ordre, il lui a donné 500 $ d’argent de poche pour la soirée et l’a laissée traîner dans tous les cabarets qu’il gérait.

« Mon père m’a aimée, mais son amour, il le donnait en argent. Reste que si lui et ma mère m’avaient encouragée à poursuivre mes études, je serais une chirurgienne cardiovasculaire aujourd’hui », dit-elle avec une estime d’elle-même qui n’a pas peur des hauteurs ni des comparaisons.

Le fait demeure que le père était trop occupé à gérer ses clubs et à manigancer des affaires louches, et la mère, trop prise par l’alcool et les médicaments pour se préoccuper de la scolarité de la jeune Milena. Résultat : à partir de 16 ans, celle-ci a décroché pour vivre une vie de sexe, de drogues et de disco, digne de Scarface, le classique de Brian de Palma sur un baron de la drogue de Miami qui devient fou et se noie dans la poudre blanche qu’il vend.

« Moi aussi, je m’en mettais plein le nez à la vue de tous dans les restos de Miami. Je m’en foutais, j’étais flyée, gelée, constamment sur le party et entourée gens qui se disaient mes amis et qui ne l’étaient pas. Est-ce que je me préoccupais d’où venait l’argent que je flambais ? Disons que je jouais à l’autruche. »

— Milena Di Maulo

De cette époque finalement assez sinistre où la fille du mafieux était sur la dérape sans que personne ne vienne à son secours, elle dira pourtant avec des yeux presque rêveurs : « Être la fille de mon père m’ouvrait tellement de portes partout. Dans les avions, les hôtels, les restaurants. J’ai vécu la vie glamour d’une star de Hollywood. »

Une vie glamour, vraiment ? Quel glamour peut-il y avoir à profiter d’argent sale, fait sur le dos de la prostitution, du trafic de la drogue, de la corruption, et gagné le plus souvent dans la violence et le sang ? À ce chapitre, on a le sentiment que Milena Di Maulo continue un peu de jouer à l’autruche, encore tout éblouie par le faste qu’elle a connu. 

Elle répète ce qu’elle a dit à Paul Arcand à l’émission Conversation secrète au sujet de son mariage qui aurait été, selon elle, le plus gros mariage jamais vu au Québec et au Canada. Le plus gros, vraiment ? Je lui rappelle les mariages de Céline Dion, de Justin Trudeau, du fils Mulroney. Elle persiste : « Moi, mon mariage n’avait rien de quétaine. C’était 100 % glamour, de l’élégance et de la grande classe. Les gens en ont parlé partout. On avait loué toute l’île de la Saulaie. Les centres de table étaient d’immenses montages de fruits. C’était un repas de sept services. Les gens avaient le choix entre deux repas, tout cela pour mille personnes ! Même si au départ mon père était contre mon mariage avec Frankie, il a mis le paquet pour m’impressionner, mais aussi pour faire plaisir à Frank Cotroni, mon beau-père. »

La vie était belle pour la fille et la femme de mafieux, pourtant, elle n’arrivait pas à se débarrasser d’une colère sourde. Cette colère palpitait en elle depuis l’enfance et le moment où elle a compris que son père, son héros, lui mentait impunément. Cette colère a fini par éclater le jour où, par pure cupidité, Joe Di Maulo a détruit Joisse Milena, l’entreprise florissante de vinaigrettes que sa fille avait réussi à monter sans lui.

Lorsque Milena Di Maulo a été obligée de déclarer faillite à cause des magouilles de son père, elle a cessé de lui parler et même de le laisser entrer dans sa maison. Ce fut un point de rupture et un tournant. Leurs rapports n’ont plus jamais été les mêmes jusqu’à la mort du mafieux, abattu devant chez lui en 2013. Sa fille est alors entrée en thérapie pour guérir la colère qui l’habitait. La thérapie s’est pour ainsi dire prolongée avec Maria Mourani et les 56 heures d’entrevue qu’elle a menées avec Milena en préparation du livre.

Aujourd’hui, Milena affirme qu’elle est une femme libérée d’un immense poids, qui chérit ses enfants et adore se promener dans la nature sans ses talons hauts de fille de mafieux. Elle fréquente depuis quelques années un homme qui n’aurait rien à voir avec la mafia.

Elle croit que son livre est une bombe, mais en même temps, elle affirme ne pas craindre pour sa vie. La lumière qui l’expose depuis quelques jours semble lui faire plaisir. Pourtant, elle acquiesce à l’idée qu’une fois les projecteurs éteints, elle pourrait disparaître et recommencer sa vie ailleurs, là où personne ne connaît la fille de Joe Di Maulo.

Milena Di Maulo – Fille et femme de mafiosi

Maria Mourani

256 pages

Les Éditions de l'Homme

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