« Iels sont nombreuxes et heureuxes »
Un groupe de militants de l’UQAM propose un français dégenré aux professeurs de l’institution
Alors que la France rechigne encore à écrire « Madame la ministre », un groupe militant de l’UQAM tente de convaincre le corps enseignant de l’établissement de passer au genre neutre, avec des phrases comme « ceuzes qui sont contributeurices sont heureuxes ».
Un dépliant distribué graduellement au cours des derniers mois dans les boîtes aux lettres d’au moins une partie du personnel de l’université, et obtenu par La Presse, a fait froncer quelques sourcils.
Le « Petit guide des enjeux LGBTQIA+ à l’Université », écrit par « plusieurs doctorant-e-s de différents départements de l’UQAM » demeurant anonymes, propose « de nombreux moyens de dégenrer ses interventions ». Les personnes LGBTQIA+ sont les personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans, queers, intersex(ué)es, asexuelles, entre autres, peut-on lire dans le guide.
En plus des formes fréquentes (« les étudiantes et les étudiants », « les étudiant-e-s »), le guide propose aussi d’autres moyens « moins habituels » qui « peuvent demander un temps d’entraînement pour être bien maîtrisés ». Le document propose ainsi des graphies comme « nombreuxes » ou « heureuxe », en plus de pronoms inusités comme « ille (s), iel (s), cellui, celleux ou ceuzes ».
« Neutraliser nos usages de la langue française orale et écrite fait donc partie, depuis les dernières décennies, d’un effort pour intégrer des subjectivités et des réalités vécues multiples dans les discours s’adressant à un public large », peut-on y lire. L’enjeu « concerne le corps professoral et les chargé-e-s de cours au premier chef ».
En plus du volet linguistique, le guide offre des conseils généraux d’enseignement. « La discussion libre autour d’une œuvre d’art controversée, d’un article de presse polémique ou de tout autre document dont le contenu n’est pas explicitement annoncé comme problématique peut vite mal tourner », explique le guide. Le document met aussi en garde les professeurs concernant la « bicatégorisation par sexe de la génétique, des hormones et de l’anatomie » en biologie humaine ou encore le DSM V, la bible des psychiatres.
Les auteurs n’ont pas répondu au courriel de La Presse.
Le guide se réclame notamment des travaux de Maria Nengeh Mensah, professeure à l’École de service social de l’UQAM et spécialiste du travail du sexe et des minorités sexuelles. Elle-même a reçu le guide en question à l’automne.
Mme Mensah l’avoue sans ambages : elle féminise son discours, mais n’utilise pas le « genre neutre » proposé dans le guide. Pas encore, du moins.
« Moi, j’aimerais bien pouvoir le faire, mais je ne suis pas rendue là dans ma pratique d’écriture. Il y a quelque chose d’intéressant dans tout ça. »
— Maria Nengeh Mensah, professeure à l’École de service social de l’UQAM
La professeure « doute » toutefois que la distribution du document témoigne d’une transformation de l’UQAM. « C’est quand même une initiative étudiante. C’est bien quand on reçoit des choses dans notre pigeonnier qui nous disent ce que les étudiants aimeraient voir, mais ça ne veut pas nécessairement dire que ça se traduit dans une pratique qui va être généralisée », a-t-elle expliqué.
À l’École des médias de l’UQAM, le guide a été distribué il y a une dizaine de jours. Il a suscité des réactions de surprise.
« J’ai eu une réaction totalement personnelle et non [réfléchie] qui était qu’on n’avait pas besoin du document pour être sensible aux choses, a expliqué la professeure Viva Paci. Mais loin de moi l’idée de nuire à toute initiative de bonne éducation et de bons procédés qu’un groupe d’étudiants a mis sur pied. »
Son collègue Jean-Hugues Roy a lui aussi été surpris en prenant connaissance du contenu du guide. « C’est la première fois que j’entends parler de ça », a-t-il dit quant au genre neutre que le document promeut. « Je n’ai jamais vu ça. »
Les deux professeurs affirment n’avoir jamais vu de travaux rédigés avec ces graphies.
Le guide a aussi été distribué à l’assemblée générale du Syndicat des chargées et chargés de cours de l’UQAM. « On ne s’est pas penchés comme tel sur le contenu de la brochure », a indiqué Richard Bousquet, vice-président à l’information. L’organisation était simplement sympathique à l’initiative.
« Je ne pense pas que ça soit entré dans les mœurs des enseignants. Je pense qu’ils emmènent ces graphies-là pour emmener une réflexion et, à moyen ou long terme, changer un peu la façon [d’écrire]. »
— Richard Bousquet, vice-président à l’information du Syndicat des chargées et chargés de cours de l’UQAM
L’administration de l’UQAM, pour sa part, ne prend pas position quant au contenu du guide.
« Le document est le résultat d’une initiative étudiante. Il ne s’agit donc pas d’un document institutionnel ou facultaire : il n’a été vu ni approuvé par aucune instance de la Faculté de communication et l’Université, a indiqué par courriel la porte-parole Jenny Desrochers. Il a été distribué il y a environ trois semaines dans les casiers d’enseignants en communication à la demande d’étudiants en communication, une pratique occasionnelle. »
Mme Desrochers a souligné que l’UQAM disposait de sa propre politique de féminisation des textes adoptée dans les années 90.