Réforme du système de santé

Une révolution... sans précipitation

Les réformes du système de santé demandent un temps dont les politiciens ne disposent pas toujours.

Cher monsieur Legault, victoire éclatante, sans équivoque ! On dit que la société québécoise voulait un changement de gouvernement. Elle vous a choisi, vous et votre parti politique, pour incarner ce changement, un changement que vous pourrez opérer dès maintenant avec les coudées franches.

Vous proposez des solutions pour améliorer les soins de santé. Nous proposez-vous une nouvelle réforme ? Nous avons déjà connu des réformes du système de santé dans le passé : pensons au virage ambulatoire imposé dans les années 90 par le Parti québécois et au « virage Barrette » imposé tout récemment par le Parti libéral. Ces réformes, qui étaient fondées sur une intention noble, soit celle d’améliorer l’accessibilité des citoyens aux soins de santé, partageaient toutefois une caractéristique implacable : celle d’être précipitées.

Elles étaient précipitées tout simplement parce qu’elles étaient politisées. Un gouvernement dispose de quatre ans pour mettre en application ses politiques, ses réformes. En fait, il dispose de moins de temps encore, on le sait bien, puisqu’une réforme majeure mise en application de façon précipitée fait mal. Elle fait mal aux citoyens, elle fait mal au personnel et, paradoxalement, elle fait mal aussi au parti politique qui l’a instaurée. 

C’est là que le bât blesse : on doit mettre cette réforme en œuvre suffisamment rapidement – en deux ou trois ans à peine – pour tenter par la suite de « ramasser les pots cassés », comme on sait si bien le dire, tout juste avant les prochaines élections.

Cet état de fait me mène donc à une piste de réflexion dont je ne suis pas l’instigateur, mais qui plaît à l’esprit, soit celle de prendre son temps. Prendre son temps pour réfléchir à une réforme ; donner du temps aux gestionnaires pour la mettre en application ; offrir du temps au personnel pour lui permettre de s’y adapter sainement.

Monsieur le premier ministre désigné, vous nous proposez un gouvernement du changement, pourquoi ne pas nous proposer une révolution en santé ? La plus grande révolution en gestion des soins de santé au Québec depuis l’instauration de la couverture universelle des soins de santé.

Une société d’État pour la santé

Je suis convaincu que la prochaine révolution réside dans la création d’une société d’État, ou plus précisément, d’une société administrative, de la santé. Un « Santé-Québec » en quelque sorte. Cette société, dont les activités seraient partiellement – j’insiste pour dire partiellement – protégées de l’intervention et de l’influence constante du politique, bénéficierait dès lors d’une plus grande autonomie administrative que celle que le ministère et le gouvernement peuvent offrir de par leurs natures mêmes. Je fais principalement référence ici aux impératifs électoraux quadriennaux et au clientélisme politique régional.

Ce Santé-Québec aurait comme responsabilité, entre autres, de coordonner l’ensemble du système de santé – notamment de déterminer les standards relatifs à l’organisation des services de ressources humaines.

Santé-Québec s’occuperait aussi de la gestion matérielle et financière du système et assurerait la coordination interrégionale et interétablissement des services. Le gouvernement et le ministère auraient de leur côté, sans s’y limiter, les responsabilités de déterminer les orientations en matière de santé et de bien-être, d’exercer les fonctions nationales de santé publique, d’évaluer les résultats obtenus par rapport aux objectifs fixés par le gouvernement et, bien sûr, d’accorder les budgets.

On pourrait s’opposer à l’instauration d’une telle société administrative en matière de gestion de la santé en soulevant le problème de l’imputabilité. Il est vrai que les élections permettent à la population de manifester son mécontentement par rapport au rendement des gouvernements et d’éjecter les députés qui le composent de leur siège. Cet argument n’a tout de même pas empêché de créer Hydro-Québec, la SAQ, la SAAQ, la Caisse de dépôt et placement, la société du Plan Nord, et j’en passe…

Une roue bien huilée

Les infirmières, les préposés aux bénéficiaires, les inhalothérapeutes, les médecins, les physiothérapeutes, les ergothérapeutes, et j’en passe, travaillent toutes et tous d’arrache-pied pour traiter leurs concitoyens malades. Ils et elles travaillent le soir, la nuit, les week-ends, font des heures supplémentaires, parfois obligées, pour soigner les patients. Ce n’est pas à eux qu’incombe la responsabilité de faire fonctionner les rouages du système de santé. Ils sont le moteur, l’énergie qui fait rouler la roue. Pour bien tourner, la roue qu’est le système de santé doit être bien huilée. C’est au gouvernement qu’incombe cette responsabilité.

Tous les gouvernements qui se sont succédé durant les dernières décennies ont proposé des solutions, des réformes, qui, on ne peut que le constater aujourd’hui, ont toutes été vaines.

Les patients sont les premiers à continuer à attendre des heures interminables aux urgences et des mois, voire des années pour leurs opérations, alors que le personnel, lui, travaille fort, très fort !

La seule réforme qui peut finalement donner des résultats est celle qui permettra aux futures réformes de ne pas être appliquées en deux ans ! C’est celle qui permettra de dépolitiser en partie la gestion des soins de santé. Il faut avoir du courage politique pour mettre en œuvre une telle réforme, une telle révolution.

Monsieur Legault, monsieur le premier ministre, vous qui vous annoncez comme le chef du parti du changement, du parti rassembleur, du parti qui fait les choses autrement, oserez-vous cette révolution ?

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