La destruction de la nature se fait à un rythme si « alarmant » qu’elle réduit la capacité de notre planète à fournir eau, nourriture, moyens de subsistance et qualité de vie aux êtres humains qui l’habitent. C’est le message lancé hier par 550 scientifiques internationaux travaillant sous l’égide de l’ONU, dans une série de rapports sans précédent découlant de trois ans de travail.
« Les meilleures informations scientifiques, récoltées par les plus grands spécialistes internationaux, pointent maintenant vers une seule conclusion : nous devons agir pour arrêter et renverser notre utilisation intenable de la nature. C’est non seulement le futur tel que nous le souhaitons qui est à risque, mais jusqu’aux vies que nous menons actuellement », a déclaré le président de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, Robert Watson, dans un communiqué.
Ces rapports, les premiers de cette ampleur dévoilés par cette organisation de l’ONU, se veulent l’équivalent des travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ou GIEC, qui guident les politiciens dans leurs actions contre les changements climatiques.
Au fil des milliers de pages que contiennent les rapports, les scientifiques décrivent l’extinction massive de nombreuses espèces de plantes et d’animaux, la transformation des forêts en terres agricoles et la disparition des milieux humides. « Les déclins touchent toutes les régions du monde », écrivent les scientifiques.
Parmi les constats les plus frappants, on apprend que la moitié des espèces d’oiseaux et de mammifères de l’Afrique pourrait disparaître d’ici 2100, que 95 % des prairies à hautes herbes d’Amérique du Nord ont déjà été transformées par l’être humain, que 42 % des espèces d’animaux et de plantes terrestres d’Europe ont subi un déclin au cours de la dernière décennie et que 90 % des récifs de corail d’Amérique ont disparu.
L’être humain menacé
Si les rapports ont été dévoilés hier à Medellín, en Colombie, ils ont trouvé un écho particulier à Montréal. C’est en effet dans la métropole québécoise que se trouve le Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique de l’ONU.
« On peut avoir l’impression que ce qui est décrit dans les rapports ne concerne que les espèces animales et se limite aux parcs nationaux. C’est beaucoup plus que ça. La biodiversité fournit la base de notre nourriture, de notre eau, de notre air », a rappelé la secrétaire générale de la Convention sur la diversité biologique, Cristiana Paşca Palmer, en entrevue exclusive à La Presse.
« Il faut une transformation dans la façon dont nous interagissons avec la nature. Sinon, la nature continuera sans l’être humain. »
— Cristiana Paşca Palmer, secrétaire générale de la Convention sur la diversité biologique
« C’est un fait que peu de gens comprennent, mais c’est notre propre espèce qui est en danger », dit Mme Palmer. Selon elle, les rapports dévoilés hier ont l’avantage d’étayer, de façon scientifique, l’urgence d’agir.
« Les projections scientifiques sur les pertes de biodiversité d’ici 2050 sont passablement dramatiques. Nous avons une fenêtre de peut-être 20 à 30 ans pour faire tourner le Titanic et éviter l’iceberg », dit-elle. La planète vit-elle actuellement sa sixième grande extinction, comme le prétendent certains scientifiques ?
« Il y a en tout cas une tendance qui est très inquiétante. Et au-delà des taux d’extinction, ce sont les fonctions que fournissent nos écosystèmes – l’eau, la nourriture – qui sont perturbées », répond Mme Palmer.
La secrétaire générale convient que la question des changements climatiques a beaucoup retenu l’attention du public et des politiciens, éclipsant peut-être au passage celle de la biodiversité.
« Il y a pourtant un lien direct entre les deux, rappelle-t-elle. La destruction des écosystèmes accélère les changements climatiques, et les changements climatiques accélèrent la destruction des écosystèmes. »
Outre les changements climatiques, la destruction des habitats, la surexploitation des ressources, la pollution et la question de plus en plus préoccupante des espèces envahissantes sont les principales menaces à la biodiversité.
Des lueurs d’espoir
Ce portrait préoccupant compte toutefois des lueurs d’espoir. Dans bien des régions du monde, des initiatives ont permis de renverser la vapeur. En Asie du Nord-Est, par exemple, les efforts de reforestation et de nouveaux modèles de gestion ont permis de faire croître le couvert forestier de 23 % entre 1990 et 2015. En Asie-Pacifique, la superficie des réserves marines protégées a grimpé de 14 % en 25 ans. Des corridors pour la faune ont été implantés avec succès en Afrique, et les aires protégées ont grimpé de 17 % en Amérique entre 1970 et 2010.
« Heureusement, il y a des preuves que nous savons comment protéger et partiellement restaurer nos actifs naturels vitaux », a dit le président du groupe de travail, Robert Watson, dans un communiqué.
Mais pour Cristiana Paşca Palmer, dont l’équipe aura justement comme tâche d’élaborer un nouveau plan d’action pour la biodiversité qui sera mis en branle à partir de 2020, il faudra faire plus que limiter les efforts aux aires protégées.
« Il faut s’attaquer aux causes profondes, qui sont souvent économiques, dit-elle. Il faut que la biodiversité ne soit pas seulement vue comme un concept environnemental, mais comme un capital naturel. Parce qu’il s’agit, d’un point de vue économique, d’un capital que nous sommes en train de consommer et d’éroder. »
Elle admet que ces changements « transformationnels » seront plus difficiles à implanter que de décréter la création de zones protégées, et qu’il faudra impliquer autant les gens d’affaires que les décideurs politiques.
« Nous devons vraiment devenir sérieux face à cette menace, dit-elle. On dit qu’il est temps de passer à l’action, on parle d’urgence… Dans ce cas particulier, ce ne sont pas mots lancés en l’air. Il y a bel et bien urgence. »