Chronique

Le « droit » de se séparer, du Québec à la Catalogne

Jusqu’à quel point peut-on retenir contre son gré une région « nationale » dans un pays ?

En mariage comme en politique, les unions forcées font rarement des enfants forts.

L’Espagne nous fournit ces jours-ci un exemple totalement à l’opposé du cas écossais… et de celui du Québec.

L’Écosse (5,5 millions d’habitants sur 65 du Royaume-Uni) est une nation reconnue comme telle depuis des centaines d’années, quoique unie à l’Angleterre. La Catalogne est une « communauté autonome » (7,5 millions sur 47) avec une histoire bien différente.

N’empêche, le contraste est frappant. Londres a fait une entente en 2012 avec Édimbourg sur les termes d’un référendum sur l’indépendance de l’Écosse – question, règles et conséquences.

En Espagne, le pouvoir central nie non seulement le droit de la Catalogne de quitter le pays, mais même celui d’organiser un référendum consultatif.

Lundi, à la demande de Madrid, la Cour constitutionnelle espagnole a suspendu le référendum prévu le 9 novembre par le Parlement catalan.

La Cour se prononcera en détail sur le droit de la Catalogne de faire sécession plus tard cet automne. Le résultat est prévisible. Déjà, en mars, la même Cour a annulé la déclaration de souveraineté faite par le Parlement catalan.

Le texte fondamental du pays ne laisse pas tellement place à l’interprétation : « La Constitution est fondée sur l’unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols. »

Il y a certes un « droit à l’autonomie », mais il est assorti d’une obligation de solidarité « des nationalités et des régions ». Bref, le cadenas.

Qu’importe, le Parlement catalan a annoncé qu’il y aura quand même un référendum. Le hic, c’est que les milliers de fonctionnaires et de policiers mobilisés sont tous des employés de l’État espagnol, qui risquent de perdre leur emploi s’ils participent à ce mouvement de désobéissance civile.

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Rares sont les Constitutions qui offrent le droit à la sécession aux États membres d’une fédération ou à une région plus ou moins autonome. En France, le principe de l’indivisibilité est également inscrit dans la Constitution. Et quand on a voulu insérer dans une loi de l’Assemblée nationale l’expression « peuple corse », comme composante du « peuple français », le Conseil d’État a jugé le concept inconstitutionnel.

La Constitution américaine n’a pas non plus de mécanisme de retrait de la fédération pour les États. Une fois entré dans l’union, on ne peut en sortir. Le Texas se l’est fait dire en 1869 par la Cour suprême américaine. Il faudrait une modification constitutionnelle, donc l’accord des deux tiers des chambres du Congrès et de trois quarts des 50 États. De toute manière, depuis 150 ans, sécession rime là-bas avec guerre et sauf quelques mouvements occasionnels, le sujet est purement théorique.

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Ce qui nous mène à la situation québécoise. La Constitution canadienne ne prévoit pas, elle non plus, de voie de sortie de la fédération. Personne n’a sérieusement soulevé le problème de la légalité de la séparation en 1980, lors du premier référendum, ni lors du deuxième en 1995.

Mais après la quasi-victoire du Oui en 1995, la question a ressurgi. L’avocat Guy Bertrand s’est adressé aux tribunaux pour faire déclarer inconstitutionnelle une éventuelle déclaration unilatérale d’indépendance. L’affaire s’est rendue jusqu’en Cour suprême, où le gouvernement fédéral a raffiné l’argument.

C’était sans doute une des questions les plus explosives jamais soumises à la Cour. On la forçait à entrer ouvertement dans le débat politique. Comment allait-elle s’en sortir ?

Le jugement, unanime, a été rendu en 1998. L’an dernier, 15 ans plus tard, un groupe d’experts et d’acteurs de l’époque se réunissait à l’Université de Montréal pour commenter le jugement historique.

J’ai alors assisté à une scène tout à fait renversante : deux anciens adversaires du référendum de 1995, on peut presque dire des ennemis, Joseph Facal et Stéphane Dion, qui ont incarné passionnément le Oui et le Non, ont tour à tour exprimé leur satisfaction devant ce jugement. Pour des raisons différentes, bien sûr, mais tout de même ; on réussit rarement à réconcilier deux visions politiques aussi divergentes autour d’un jugement de la Cour suprême du Canada.

Qu’a dit la Cour suprême ? Bien entendu, la Constitution ne reconnaît pas de droit à la sécession. Même le droit international à l’autodétermination ne trouve pas application : il vise les colonies ou les États soumis à une forme d’oppression grave.

Pour autant, « la Constitution n’est pas un carcan ». Il ne faut pas se contenter d’une « lecture superficielle » du texte constitutionnel : « Un vote qui aboutirait à une majorité claire au Québec en faveur de la sécession, en réponse à une question claire, conférerait au projet de sécession une légitimité démocratique que tous les autres participants à la Confédération auraient l’obligation de reconnaître. (…)

« Les autres provinces et le gouvernement fédéral n’auraient aucune raison valable de nier au gouvernement du Québec le droit de chercher à réaliser la sécession, si une majorité claire de la population du Québec choisissait cette voie, tant et aussi longtemps que, dans cette poursuite, le Québec respecterait les droits des autres. »

Bref, il ne faut pas se contenter de la lettre de la Constitution ; il faut puiser à ses sources, à ce qui la sous-tend. Et donc au principe démocratique.

Tenter de retenir une nation décidée à faire sécession par des arguments légalistes peut faire illusion ou diversion un temps. Mais à la fin, déclarer l’indépendance, c’est forcément sortir du cadre juridique formel. Si c’est fait démocratiquement, c’est assez irrésistible…

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