Opinion

Une voie humaniste et laïque en éducation est possible

Après la décision de Québec solidaire de revenir sur ce qu’il était convenu d’appeler le consensus Bouchard-Taylor, des fractures durables risquent de diviser les progressistes.

C’est une décision que l’on peut estimer regrettable considérant la tradition humaniste du mouvement laïque. Le projet d’interdiction du port de signes religieux chez les futurs enseignantes et enseignants, y compris avec une clause de droits acquis, semble avoir pesé lourd dans la balance. Toutefois, le dialogue mérite d’être poursuivi en dépit des divergences de fond.

Entendre les craintes, combattre les peurs

Disons-le de suite et sans ambiguïté, on peut déplorer les causes de cette fracture tout en la respectant ; bien des arguments avancés dans le débat méritent d’être entendus. Les discriminations, quelles qu’elles soient, sont un fait qu’il convient de prendre en compte de façon sérieuse : nous ne pourrons faire l’autruche sans courir collectivement le risque de nourrir des rancœurs tenaces.

À l’inverse, il faut combattre les discours paranoïdes des uns et des autres (de droite ou de gauche, d’ailleurs) qui voient le complot partout : la société québécoise n’est pas plus raciste que l’islamisme n’est en voie de conquérir l’Occident. Le projet de loi 21 n’est certainement pas un projet d’extrême droite. Et il y a peu de risques qu’un enfant soit endoctriné par son enseignante ou son enseignant.

Dans les échanges récents, on a parfois entendu dire qu’il n’était pas question de calquer la laïcité québécoise sur une laïcité française supposément « fermée ». Ce serait oublier que la loi française de 1905, posant les balises de cette dernière, est elle-même un compromis. Elle rejette une laïcité qui serait antireligieuse. Clemenceau repoussait « l’omnipotence de l’État laïque, [y voyant] une tyrannie », tandis que le grand Jaurès condamnait « tout ce qui pourrait ressembler à une atteinte au libre exercice des cultes ». De même, le projet de loi 21 ne brime pas l’exercice des cultes religieux et ne s’ingère pas dans le quotidien des citoyens. 

Par conséquent, au-delà des poncifs sur les bénéfices attendus de la diversité religieuse (des recherches sur les effets de la religion sur les comportements moraux tels que l’altruisme et la coopération nuancent, voire contredisent ce présupposé), nous devrions pouvoir développer un argumentaire humaniste sur le sens d’une éducation laïque et généreuse.

De la vertu de la laïcité en éducation

La laïcité, nous l’entendons comme le projet de sécularisation des institutions et d’autonomie de l’État vis-à-vis des clergés. Mais la laïcité, c’est peut-être, avant tout, l’égalité de tous devant la loi, en toute indépendance de caractéristiques philosophiques ou religieuses des individus. La laïcité est un rempart face à l’arbitraire des préjugés. Elle s’arrime à une histoire de l’émancipation individuelle et collective à l’aide des institutions publiques, et au premier rang desquelles se trouve l’institution scolaire.

Le Québec et bien des sociétés dans le monde sont des sociétés ouvertes, c’est-à-dire, pour Bergson et Popper, des sociétés sans dogmes imposés. La situation des croyants n’y est pas remise en cause, mais une croyance qui ne pourrait être soumise à discussion ne peut avoir sa place dans une institution. Or, le projet d’une éducation publique n’est pas un service de garderie : c’est un projet qui n’est pas politiquement neutre, car il reconnaît le fait que l’acte d’enseigner, c’est être libre de penser et d’agir en vue de permettre d’être libre de penser. Mais une institution n’est pas objet éthéré, complètement hors-sol.

L’institution est aussi le produit du travail de ses agents. En d’autres termes, c’est aux enseignantes et enseignants, libérés des influences extérieures, que revient la responsabilité d’apprendre aux élèves à penser et à agir sans obstacle, avec raison.

En ce sens, on peut comprendre que le port de signes religieux de la part d’enseignantes et enseignants serait perçu comme une forme de repli vers une société fermée où primeraient la croyance et la révélation sur la discussion et la démarche scientifique. Certes, le gouvernement aurait tout intérêt à amender son projet pour tenir compte de la situation des enseignantes et enseignants en formation. Toutefois, pour l’avenir, puisque personne ne perdra son travail du fait de la nouvelle loi, la détermination farouche à garder un signe religieux peut alors légitimement être perçue comme un entêtement irrationnel. 

D’aucuns affirment que le projet de loi 21 ferait entrer le Québec sur une « pente glissante », une accusation lourde de sous-entendus malsains. Pourtant, on est en droit de s’interroger sur le fait qu’une société cartésienne confie la responsabilité du développement des sciences et de la critique à des enseignantes et enseignants qui exprimeront et manifesteront leur foi dans leurs fonctions. À l’inverse, on conçoit difficilement que l’absence de manifestations religieuses de ces enseignantes et enseignants dans le strict cadre des classes pourrait avoir des incidences sur leurs convictions profondes et leurs pratiques quotidiennes.

La relance du débat après l’échec de la charte des valeurs risque de rouvrir des plaies, c’est inévitable. Cependant, une laïcité forte et pacifique permettrait, enfin, d’ouvrir la voie à la neutralité de l’État et ainsi faire avancer le projet d’émancipation individuelle et collective. De l’enseignement confessionnel aux morales religieuses, nous espérons avoir la possibilité de discuter sereinement du rôle de la laïcité dans notre système d’éducation, car bien des chantiers restent à mener.

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