Mon clin d’œil

Le problème avec les indépendantistes, c’est qu’ils sont trop indépendants.

OPINION

PASSE-PARTOUT ET LES DENTISTES Pruneau, pourquoi semer la peur ?

Chère Passe-Partout, tu sais combien je t’aime. Je suis de cette génération qui porte ton nom et qui a grandi avec toi. Tu faisais partie de ma routine quotidienne et je connaissais par cœur toutes tes chansons que j’entonnais en faussant allègrement à chaque occasion.

Je suis de ceux qui étaient si sceptiques face à une nouvelle mouture de peur qu’elle ne sache te rendre justice. Contre toute attente, tu as réussi l’exploit et au premier épisode, je suis retombée sous le charme ; avec mes yeux de maman, cette fois, et à travers ceux de mon fils émerveillé de voir Passe-Partout lui parler depuis l’écran.

Malheureusement, même l’amour le plus sincère n’est pas à l’abri des déceptions.

Et le fait que tu présentes, dans le deuxième épisode, un Pruneau qui a peur du dentiste m’a mis franchement en colère contre toi, Passe-Partout.

En tant que dentiste pédiatrique, je vois, toutes les semaines, des dizaines d’enfants anxieux face à leur rendez-vous. S’il est vrai que certains le sont à la suite de mauvaises expériences, force est de constater qu’en 2019, bon nombre d’enfants qui arrivent effrayés chez le dentiste ne savent même pas de quoi ils ont peur.

Pourquoi sont-ils si tendus et craintifs d’ouvrir la bouche ? Très souvent parce qu’ils ont entendu les mêmes mots que ceux prononcés par Pruneau : « N’aies pas peur, le dentiste ne va pas te faire mal. » Peu importe l’enrobage autour de cette phrase, le cerveau du petit a enregistré « peur » et « mal ». Tout de suite, il est sur ses gardes : « Quoi ? Je devrais avoir peur ? Le dentiste pourrait me faire mal ? » Peu importe nos intentions et tous nos efforts pour rassurer l’enfant par la suite, cet état de méfiance est bien installé dans son subconscient. On a ainsi créé de toutes pièces son anxiété face au dentiste.

La menace est vague et l’enfant anticipe une sensation de douleur sans savoir quand ni sous quelle forme elle pourrait se présenter. Dès lors, de la chaise qui bouge à la paille qui aspire l’eau, en passant par le simple petit miroir, chacun de nos instruments peut devenir pour lui une source de danger potentiel et donc d’anxiété.

Cette peur qui est véhiculée depuis des décennies n’a plus sa raison d’être dans cette génération d’enfants dont bon nombre n’auront jamais de caries. 

Notre profession, nos techniques ainsi que les mesures de prévention ont grandement évolué depuis l’époque des « arracheurs de dents » !

Les cliniques qui reçoivent des enfants sont généralement pensées pour que ceux-ci puissent y vivre une expérience positive. Les membres de l’équipe ont dans leur boîte à outils tout un vocabulaire et des métaphores adaptées à l’âge de l’enfant pour le guider à travers chacune des étapes du rendez-vous. Le pouvoir de suggestion est très puissant chez les tout-petits et il est important de l’utiliser à notre avantage.

C’est ainsi que selon les mots choisis, la brosse à dents qui vibre peut passer d’instrument de torture à brosse de Flash McQueen qui vient les chatouiller. Leur sourire, brillant comme celui de la Reine des neiges et (surtout) fendu jusqu’aux oreilles, est notre plus belle récompense.

À la maman qui me demande comment préparer son enfant à la visite chez le dentiste, je réponds, dans la plupart des cas, d’en dire le moins possible. La réalité est que, de façon générale, on ne prépare pas les enfants pour des activités du quotidien que l’on juge banales.

Le seul fait de transformer la visite chez le dentiste en un événement qui requiert une « préparation » envoie un message potentiellement anxiogène à l’enfant. Je suggère de dire simplement qu’il va aller voir le dentiste pour lui montrer ses dents. Point. Devant un enfant qui pose plus de questions, feindre l’ignorance est souvent préférable. La réponse « je ne sais pas, tu demanderas au dentiste » est tout à fait appropriée. Nous nous chargerons du reste !

Au papa couvert de tatouages qui est toujours terrorisé à la vue de ma seringue, je demande de ne pas sous-estimer son enfant. Celui qui ne sait pas qu’il doit être courageux se révèle généralement être le plus grand des champions.

Aux auteurs de cette nouvelle émission, je dis d’abord merci d’avoir eu l’audace de faire revivre cette série culte. Jusqu’à maintenant, vous avez su le faire d’une main de maître sur plusieurs points, bravo ! Par contre, je regrette amèrement que vous n’ayez pas choisi de présenter un Pruneau fier d’aller montrer ses « belles dents blanches » au dentiste. Du moins, vous auriez certainement pu trouver une autre occasion pour introduire la célèbre chanson Des fois, j’ai peur !

Aux professionnels et experts chargés de réviser les textes, je reproche de ne pas avoir modifié ce segment afin d’envoyer un message positif à nos enfants.

Des répliques comme « le dentiste est gentil, il va bien s’occuper de toi » et « tu vas voir, c’est facile, tu es capable ! » auraient pu alimenter la discussion entre Pruneau et son dragon sans risquer d’éveiller une crainte irrationnelle.

Finalement, à mes enfants, je souhaite de grandir avec le même amour que j’ai eu pour Passe-Partout qui, j’en suis convaincue, a beaucoup à apporter. Par contre, la chanson Brosse, brosse, brosse, c’est avec la voix de crécelle de leur mère qu’ils vont l’apprendre, car je me garderai bien de faire jouer le deuxième épisode de cette première saison sur la tablette.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.