LA VIRÉE DES GALERIES

Quelles sont les expositions à voir ce week-end ? Chaque jeudi, nos critiques en arts visuels proposent une tournée de galeries et de centres d’artistes. À vos cimaises !

DAMIÁN SIQUEIROS

Fenêtre sur la Corée

Photographe montréalais d’origine mexicaine, Damián Siqueiros présente, jusqu’au 16 septembre à la galerie Youn, une série de photos réalisées lors d’une résidence artistique en Corée du Sud. Un corpus centré sur la danse et sur la culture coréenne, partagée entre tradition et modernité, notamment en ce qui a trait à l’égalité des sexes.

Ayant étudié au Mexique, en France et en Espagne, Damián Siqueiros a déjà exposé en Europe, aux États-Unis et au Canada, tant en galerie que dans des musées. Il a travaillé comme photographe commercial pour des clients prestigieux tels Les Grands Ballets canadiens, Ford, Elle ou Vogue. Inspiré par la danse, il a collaboré avec des chorégraphes comme Sidi Larbi Cherkaoui ou Margie Gillis.

Dans son travail, Damián Siqueiros aborde l’évolution des identités de genre, l’égalité des sexes, la diversité humaine, la beauté et la représentation de ce qui ne se perçoit guère. Ses mises en scène soignées ont parfois le souffle de la peinture classique. L’artiste est passionné et minutieux. Pour ses créations, il s’occupe du décor, du maquillage et de la production de ses images qu’il retouche avec de la « peinture numérique » pour en souligner le dynamisme. Car dans sa photographie, Siqueiros privilégie l’action.

Écriture des femmes

Son corpus La poésie des chambres a été créé en Corée du Sud l’an dernier. Il y a rencontré des danseuses et des danseurs et une culture ancestrale qui l’a dépaysé. La poésie des chambres (Songs of the Inner Chamber, en anglais) fait référence aux écritures qu’effectuaient les Coréennes de la haute société au Moyen-Âge.

« Les femmes ont joué un rôle très important pour démocratiser l’écriture coréenne, dit Damián Siqueiros. Jusqu’au XXe siècle, l’écriture du chinois primait. » 

Les poèmes qu’écrivaient ces femmes évoquaient leur vie intérieure. L’artiste a conservé cette évocation dans ses photos. Dans The Song of Red, qui ouvre l’expo, il explore la féminité et les désirs d’une danseuse coréenne dont il nous cache le visage. De la robe rouge écarlate ne dépassent qu’un bout de pied et une main.

Damián Siqueiros a fourni à ses modèles coréens l’occasion de s’exprimer en dehors de la tradition. 

« Ce sont les danseurs qui ont choisi le thème de leur photo. Étant un Occidental, je ne pouvais imposer un point de vue. » 

— Damián Siqueiros

Avec The Song of War, où interagissent un danseur et une danseuse, Siqueiros évoque l’occupation de la Corée par le Japon de 1910 à 1945 et aborde la discrimination vécue alors par les Coréennes, souvent forcées de se prostituer. « C’est une blessure ouverte dans la culture coréenne et dans la culture japonaise », précise Damián Siqueiros. 

Dans The Song of Heavens, un homme nu est accroupi au sol, dans le sentier d’une forêt. Sur son dos, un halo de lumière indique qu’il vient « d’atterrir ». Dans la mythologie coréenne, l’homme vient du ciel, explique Damián Siqueiros. 

Les photographies n’ont pas été prises dans les beaux quartiers historiques de Séoul, mais en banlieue, dans des coins plutôt banals. L’éclairage artificiel que l’artiste ajoute à la lumière naturelle donne un aspect irréel aux lieux.

Avec les deux photos The Song of Freedom, Siqueiros célèbre la féminité, mais aussi la résilience. La danseuse est dans la quarantaine et se bat, dit-il, pour pouvoir se produire sur scène. 

« Son rôle comme mère et comme femme est en opposition avec son rôle de danseuse, dit l’artiste. La famille de son mari fait des pressions pour qu’elle mette fin à sa carrière de danseuse. » 

Intelligente et raffinée, cette Coréenne subit, encore aujourd’hui, les affres de l’inégalité des sexes. Elle revendique sa liberté. Siqueiros raconte que le conservatisme est tel en Corée que le fait qu’il prenne des photos de cette danseuse alors qu’elle était en sous-vêtements a été critiqué par des personnes du centre où il résidait.

« Ils ont même été choqués par le fait que je la prenne en photo dans sa maison, plutôt modeste. Ils m’ont dit : “Tu n’as pas la permission de représenter des gens pauvres dans tes images !” Non seulement il y a inégalité des sexes, mais les gens pauvres n’ont pas de voix. » 

Malgré des réticences locales, Damián Siqueiros a déjà exposé quelques-unes de ses photos en Corée. D’autres le seront le 2 décembre au Centre sino-coréen d’Incheon, en banlieue de Séoul. Avant ce retour en Asie, La poésie des chambres sera présentée à New York, le 27 septembre, à la galerie Tambaran de Maureen Zarember. 

À la galerie Youn (5226, boulevard Saint-Laurent, Montréal) jusqu’au 16 septembre

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