Sans filtre Marianne St-Gelais

La deuxième vie

Marianne St-Gelais a marqué le monde du patinage de vitesse courte piste, par ses performances d’abord, mais aussi par sa personnalité attachante. Et bien sûr, par le couple qu’elle formait à l’époque avec un autre champion, Charles Hamelin. Aujourd’hui, Marianne est à la recherche de sa deuxième vie, sa vie de femme et non d’athlète. Dans ce texte, Marianne St-Gelais accepte de revenir sur la fin de sa carrière, sa nouvelle vie et la fin de sa relation avec Charles Hamelin.

Charles et moi, on s’est supprimés de nos vies mutuellement. Au début, je voulais rester en bons termes avec lui, je me disais que j’allais être capable de voir sa nouvelle vie. Ça reste une personne que j’admire et que j’adore. Je voulais garder un lien avec lui, mais avec les décisions qu’il a prises, avec ce qui s’est propagé sur les réseaux sociaux ces derniers mois, c’était impossible pour moi.

Des gens commentaient des propos méchants sur sa nouvelle blonde pour me faire me sentir mieux. Ou on me taguait sur leurs bons coups en rappelant à Charles que ça aurait dû être moi à la place… Ça ne me fait pas de bien d’entendre ça. Pas du tout. Les gens ont de la compassion parce qu’ils aimaient nous voir ensemble, mais en même temps, ce n’est pas correct pour ce que ces deux-là sont en train de vivre.

J’ai dû faire une cassure parce que ça ne m’aidait pas. Je ne jalousais pas Charles, je jalousais sa situation. Je me disais : il a donc bien l’air heureux, c’est donc bien beau, ce qui se passe, tandis que moi, c’était de la marde. J’ai déménagé, je suis seule, je me cherche un métier. Tout était en suspens partout dans ma vie, et lui, il avait ça. Je me faisais du mal.

À travers tout ça, ma décision était claire. C’est moi qui ai laissé Charles et cette décision, je ne la regrette pas. Si nos carrières avaient tourné court, si je m’étais blessée en 2013, par exemple, je pense que notre relation se serait terminée en 2013. Le sport nous a tenus ensemble.

Je me suis convaincue de revenir à la base : « Tu as fait ça pour te faire du bien et penser à toi. Continue dans cette lignée-là, le bonheur va arriver pour toi aussi. Tu dois seulement te donner du temps. » Je n’ai pas eu le choix de me convaincre que je n’aurais pas de relation avec Charles, pour l’instant. Peut-être un jour avec le recul, les années, quand on aura chacun notre bonheur, on se rappellera nos bons moments et on ira prendre un café. On sera capables de se voir dans une compétition de patin, je ne sais pas. Mais pour l’instant, ce n’était pas possible autant pour lui que pour moi. Je pensais que j’allais en être capable, mais je ne le suis pas.

Ça m’a fait prendre aussi la décision de m’éloigner du patin. Ça n’a jamais affecté ma décision de prendre ma retraite, mais ça l’a précipitée que je me sois éloignée de mon sport. J’ai coupé court après les Championnats du monde, je ne suis pas retournée à l’aréna, et je m’en suis voulu. En ce moment, je patine avec le Club des maîtres. C’est un club d’anciens patineurs, des gens plus âgés qui ont un métier, des enfants, mais qui aiment ce sport. Je ne suis pas là pour gagner, je suis là parce que je m’ennuie de la glace. J’adore ça.

Je serais retournée à l’aréna le samedi voir les filles patiner. Je n’y retournais pas parce que Charles était là et que je ne voulais pas briser la nouvelle ambiance. Si on avait été encore ensemble, ou si on avait été en bons termes, je ne me serais jamais gênée pour y aller. C’est un environnement que j’aime. J’ai pris une décision pour lui. Mais là, je n’ai plus trop de gêne. Quand je suis allée sur la patinoire avec les maîtres, je me suis rappelé que c’est mon monde. Que j’ai le droit de revenir à l’aréna si j’en ai envie. Je suis aussi rendue là, à penser à moi et à ce qui me fait plaisir, et à arrêter de penser aux autres. Faire ce qui te plaît, la poursuite du bonheur passe aussi par là. Si ça te fait chier d’être chez toi le samedi matin parce que tu aurais aimé aller voir les filles patiner, on a échoué dans la poursuite du bonheur.

La deuxième vie

En ce moment, je me rends compte de ce que le sport m’a apporté. Le sport va m’aider dans mon prochain métier, c’est certain. Mais le gros cadeau que je me suis fait est de me connaître moi-même. Le sport nous met tellement dans une bulle de performance. Toutes les décisions qui sont prises, par tous les spécialistes, visent à faire de nous des machines de performance. Quand tu es là-dedans, c’est tout ce que tu veux. Tu veux aller aux Jeux olympiques, tu veux des médailles. Mais quand j’ai amorcé mon processus de retraite, je me suis demandé : il va rester quoi après tout ça ?

Cette personne-là, la Marianne athlète, je ne la veux pas dans ma vie au quotidien. Je ne l’aime pas. Elle est beaucoup trop exigeante, beaucoup trop tournée vers elle-même. Qu’est-ce qui va rester après le sport ? J’ai amorcé ma réflexion un an et demi avant ma retraite parce que ça me faisait peur. Ça me faisait peur qu’il reste juste une athlète, pas une personne. La plus grande réussite de ma carrière, c’est ça, d’avoir fait la coupure entre la personne et l’athlète.

Le sport m’a portée aux plus hauts sommets. Personne ne va pouvoir m’enlever mes médailles, mais dans 15 ans, on ne se souviendra plus de ce que j’ai gagné. À la limite, je m’en fous. Si on se rappelle que Marianne avait une belle énergie, qu’elle était drôle, qu’elle pensait aux autres, c’est ça que je veux laisser comme souvenir. Pas les médailles.

C’est un long processus. Il y a tellement d’athlètes qui ne réussiront jamais à passer au travers. C’est extrêmement difficile. On est tellement valorisés par nos résultats. Marianne St-Gelais, triple médaillée olympique. C’est ça, mon titre. C’est difficile de se défaire de ça. Pas que j’aie honte, mais dans la vie, on ne peut pas toujours être valorisé comme ça. Ce n’est pas vrai. C’est important de faire le détachement, sinon tu vas être malheureux toute ta vie parce que ça n’arrivera plus jamais, les plus hauts sommets, les médailles. Un jour, on ne me présentera plus comme Marianne la triple médaillée olympique. J’ai quasiment hâte. Je ne m’identifie pas à ça, et c’est ma plus grande fierté.

J’ai beaucoup d’altruisme. Je donne beaucoup, et c’est ce que j’aime, mais sur la glace, tu ne peux pas. Je devais faire la différence. On avait commencé à mettre ça en place avec le psychologue sportif Fabien. Quand Marianne embarquait sur la glace, on l’appelait la guerrière pacifique. Elle va à la guerre, mais quand c’est terminé, elle rend les armes et redevient la Marianne qui a du fun et qui rit. C’était important de faire la coupure entre l’athlète et la personne, parce que l’athlète, je ne l’aimais pas.

Je suis dans une année d’exploration. C’est difficile, mais je n’ai pas le choix. En ce moment, je me sens comme si je perdais mon temps. Je me cherche et je n’ai pas de réponse. C’est comme si je me creusais un trou. En même temps, c’est ça, la vie. Il faut que tu apprennes à faire ça, fille. J’ai toujours eu mon horaire, on me disait quoi faire, je n’ai pas appris ce que j’aimais dans la vie. C’est déstabilisant, mais là, il faut foncer.

Il y a trois semaines, j’ai traversé une crise existentielle. Je me suis posé la question, dans mon salon : Marianne, à 17 ans, si tu n’étais pas partie de Saint-Félicien pour faire du patin, tu aurais fait quoi ? Le néant. Je n’avais pas de réponse. J’ai freaké. Ma vie était seulement d’être une patineuse ? Non, ce n’est pas possible. J’avais des rêves à 17 ans ! Je suis allée voir Lu Bonnet à l’Institut national du sport. Il s’occupe du programme Plan de match (pour les anciens athlètes en transition vers le marché du travail). On s’est parlé, il m’a fait entrer dans des programmes. J’ai rencontré une conseillère en orientation. On dresse une liste de ce que j’aime, de ce que je n’aime pas. Je suis comme une adolescente de 16 ans qui fait une journée carrière.

Si, en fin de compte, je n’ai pas une idée claire, au moins je vais avoir travaillé sur moi et sur mes intérêts. C’est aussi ça. Marianne a besoin de se redécouvrir.

La fin olympique

Si j’avais à recommencer mes Jeux olympiques de PyeongChang, mon exécution serait exactement la même. Peut-être que le résultat serait différent, mais je ne changerais pas grand-chose à ce que j’ai fait avant et pendant les Jeux. En fin de compte, il faut laisser aller.

J’ai dit aussi récemment que j’avais entendu aux Jeux olympiques « des choses qu’on n’aurait jamais dû entendre ». Comprenez-moi bien, je ne suis pas une chialeuse, je ne l’ai jamais été et ça ne changera pas. En gros, ce que j’ai entendu est lié à ce qui s’est passé au relais. Ç’a été une course controversée, tout le monde le sait. Ça m’a pris du temps avant de réussir à la regarder. Je savais que je serais trop en colère. Quand je l’ai regardée, j’ai compris, un, pourquoi je ne l’avais pas regardée avant et, deux, ce qui s’est dit.

Sans rien dévoiler, on était sur le sol coréen. Ce sont les Coréennes qui ont gagné, et c’est à cause des Coréennes qu’on a été sorties. Les règlements de courte piste, on les connaît, on en a fait, des relais, on a déjà chuté. Le règlement par lequel on a été disqualifiées est applicable. Par contre, si tu nous donnes cette pénalité, pourquoi ne pas la donner aux Coréennes qui ont fait exactement la même chose ? Pourquoi pénaliser les Chinoises, qui n’avaient rien à se reprocher ?

Tout découle d’une décision, à un moment, qui a été mal prise. Si on se ramène à 2010, quand les Coréennes avaient été disqualifiées au relais à Vancouver, le coach en chef avait menacé de mort l’arbitre en chef. Je ne pense pas que les arbitres aient été payés ou quoi que ce soit, mais je pense que ça peut jouer dans la tête. Les arbitres sont des bénévoles, ils font ça parce qu’ils aiment le sport, mais en même temps, ça doit être juste. On doit appliquer les règlements à la lettre.

Je ne me suis jamais autorisée à aller là, à détester mon sport et à avoir de la haine, mais à PyeongChang, on a vu des choses que mon sport n’avait jamais connues. Malgré tout, je ne voulais pas m’autoriser à penser mon sport négativement parce que j’aurais pu tomber dans un tourbillon noir. Parce que je l’ai tellement aimé, mon sport, et je l’ai choisi, pour ses bons et ses mauvais côtés. De toute façon, on ne peut pas retourner en arrière.

Avant, on me parlait de patin, de Charles, et en ce moment, on me demande ce que je deviens. On a juste changé de sujet, mais j’ai hâte qu’on soit rendu à autre chose. Cela dit, ça montre l’intérêt des gens, ce n’est que du positif. La personne que je croise dans la rue, qui prend des nouvelles et me pose des questions sur mon avenir, elle ne peut pas savoir qu’elle est la 800qui me les pose. Des fois, ça me tente, des fois, j’ai une moins bonne journée.

Mais cette personne aura toujours droit à une réponse sincère. C’est la Marianne authentique qui va rester après le sport, et c’est celle qui a livré ce témoignage aujourd’hui.

Propos recueillis par Jean-François Tremblay, La Presse

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