OPINION TRANSPORT COLLECTIF

La ligne rose, une solution optimale… et équitable ?

L’élection de Valérie Plante et de nombreux candidats de Projet Montréal à la mairie de Montréal et de plusieurs arrondissements a de quoi réjouir les adeptes de la mobilité active ainsi que les usagers et promoteurs du transport collectif.

Mais, en matière de mobilité quotidienne comme pour les autres défis urbanistiques auxquels font face les grandes villes, les résultats escomptés des réponses apportées aux problèmes ne sont pas toujours au rendez-vous.

C’est pourquoi les projets, aussi emballants soient-ils, doivent être soumis à un examen critique basé sur des faits et des données probantes. Comme la mairesse élue l’a déjà évoqué, la proposition d’une ligne rose ne peut échapper à ce qui relève d’un principe de précaution.

Plus de stations, moins de congestion

Ce slogan est apparu sur des affiches installées durant la dernière campagne électorale. Qu’en est-il ? Une observation empirique et les données disponibles montrent que depuis les premiers prolongements du réseau original du métro et le développement du réseau des trains de banlieue, la congestion automobile a considérablement augmenté dans le cœur de l’agglomération. Elle s’est par ailleurs reconfigurée, comme on peut notamment le voir dans les environs de la station Montmorency à Laval. Au mieux, l’augmentation de l’offre en transport collectif aura permis de réduire le taux d’accroissement de la congestion.

Pour que la ligne rose permette une réelle diminution de la congestion, il faudrait qu’elle engendre un transfert modal massif. Or, comme le montre l’exemple de la ligne bleue, qui fonctionne toujours avec six wagons 30 ans après son inauguration, il ne suffit pas d’augmenter l’offre pour susciter la demande.

Encore faut-il que le tracé soit optimal ; c’est-à-dire qu’il permette de relier de manière efficace des bassins résidentiels – origines – et des bassins d’emplois – destinations – de grande envergure. Le défi est d’autant plus grand qu’on est présentement dans un contexte de destinations qui sont dorénavant métropolitaines.

Or, de manière générale, le tracé de la ligne rose reconduit la configuration rayonnante adoptée pour les chemins de fer de la fin du XIXe siècle et retenue, dans les années 60, pour le réseau originel du métro. Cette configuration se justifiait par la place prépondérante qu’occupait le centre-ville de Montréal à cette période. La redistribution de l’emploi au cours des dernières décennies, tant dans l’île qu’à l’échelle de la région métropolitaine, a cependant considérablement changé la donne. Le poids relatif du centre-ville a baissé significativement et de nombreuses zones d’emploi ont été déployées, pour la plupart le long des corridors autoroutiers, multipliant de ce fait les destinations pour motifs de travail aussi bien que de consommation et de loisirs.

Cette tendance n’est pas exclusive à Montréal, et à moins d’un revirement spectaculaire – et fortement improbable – des tendances, le centre-ville de Montréal ne retrouvera pas l’ascendant qui l’a déjà caractérisé.

En conséquence et considérant que la part modale du transport actif et collectif y est déjà de quelque 70 % pour les déplacements attirés en une journée de semaine, on voit mal ce que l’ajout de la ligne rose changerait, du moins pour le tronçon se déployant du centre-ville en direction nord-est.

D’une part, parce que la part des déplacements en direction du centre-ville en pointe matinale en provenance des secteurs desservis par les stations les plus éloignées est relativement faible (parfois de l’ordre de 10 %). D’autre part, parce que, dans les cas des quartiers Rosemont et Plateau Mont-Royal, l’ajout de nouvelles stations permettrait davantage d’améliorer la qualité de l’offre, en engendrant un déplacement d’usagers des corridors d’autobus et de la ligne orange, que d’augmenter significativement la fréquentation du transport collectif. Les gains seraient en conséquence modestes. Si, de prime abord, le segment de la ligne rose reliant le centre-ville à Lachine apparaît plus pertinent, le mode privilégié ne s’impose pas de facto.

Mobilité et équité socio-spatiale

Si l’amélioration de la qualité de l’offre existante est éminemment souhaitable, elle ne saurait se faire au détriment de l’équité en matière d’accès au transport collectif. Or, de ce point de vue, la ligne rose ne permettrait qu’accessoirement de réduire les iniquités actuelles. Non seulement plusieurs quartiers, dont au premier chef Saint-Michel et Montréal-Nord, sont très mal desservis, mais c’est également le cas de plusieurs zones d’emploi (Saint-Laurent, Laval) qui constituent des destinations pour bon nombre de résidants de ces quartiers. Or, celles-ci ne seraient pas plus accessibles de manière satisfaisante à la suite de la mise en service de la ligne rose.

La priorité donnée au cours des 20 dernières années aux modes lourds – métro, trains de banlieue, REM – a eu pour conséquence que la configuration rayonnante a été privilégiée et que les composantes d’un réseau multimodal intégré qui auraient apporté une réponse plus circonstanciée aux problèmes de mobilité associés à la distribution des destinations – notamment de l’emploi, telle que révélée entre autres par les enquêtes origine-destination – ont été négligées. Or, un détour par quelques agglomérations métropolitaines montre qu’un réseau intégré de transports en commun doit également se construire avec des options plus légères, comme le bus ou le tramway. D’autant que ces options constituent parfois des leviers d’aménagement et de mise en valeur des quartiers plus efficaces que le métro.

C’est pourquoi il nous apparaît indispensable de ne pas se contenter de soumettre le projet de la ligne rose à un examen critique des modalités fines de son implantation, mais de lui imposer le test de sa pertinence en regard d’une stratégie globale d’un développement équitable du transport collectif. Ce qui, avions-nous cru comprendre, devait justement être le rôle de l’Autorité régionale de transport métropolitain constituée en juin dernier.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.