Festival Fantasia

Genre, je t’aime

Le cinéma de genre québécois sera célébré en grand durant le festival Fantasia, qui débute aujourd’hui. Mais ne l’est-il pas toujours ?

« Si tu fais un film de genre au Québec, est-ce que tu te retrouves face à un mur ? Je ne sais pas, je pose la question. »

Le « je » qui parle, c’est Robin Aubert. La scène où il le fait, c’est celle qui ouvre le documentaire L’inquiétante absence. Et ceux qui reçoivent la question, ce sont les réalisateurs dudit documentaire, Amir Belkaim et Félix Brassard.

Pourquoi donc ont-ils voulu parler de l’éternel débat sur la place laissée au cinéma de genre québécois ? se demande le cinéaste des Affamés, légèrement exaspéré. Ou plutôt, dans ses mots : « Qu’est-ce qui vous a poussés à dire : “Heille, il faut faire un documentaire là-dessus, c’est urgent ?” »

Ce qui a surtout poussé Amir et Félix à réaliser cette Inquiétante absence, nous disent-ils, c’est qu’ils étaient tannés. Tannés de se demander « pourquoi le cinéma de genre ne peut pas prendre sa place, une bonne fois pour toutes ».

Désirant ouvrir la discussion, les deux complices se sont employés à interroger des créateurs et des défenseurs de films de science-fiction, d’horreur et de fantastique d’ici. « Certains avaient besoin de se vider le cœur par rapport aux perceptions, confie Amir. D’autres avaient juste le goût de partager. »

Parmi eux : David Cronenberg. Qui revient devant la caméra des garçons sur la conception de Frissons. Shivers. L’un de ses premiers films, produits, on l’oublie, au Québec. Par Cinépix. Encore aujourd’hui, les deux cinéphiles sont ébahis que le grand cinéaste torontois leur ait donné de son temps. 

« On pense qu’il a voulu nous parler parce que personne ne lui pose jamais de questions sur sa vie au Québec. Sur les cinq films qu’il a produits ici, estime Félix. Alors que ça semble avoir été une période heureuse pour lui. »

— Félix Brassard, coréalisateur du documentaire L’inquiétante absence, à propos de David Cronenberg

Diplômés de l’Université de Montréal, ils se disent quant à eux déçus de la façon dont l’histoire du cinéma québécois est parfois présentée. À savoir : « On commence par nous présenter Aurore, l’enfant martyre et les autres films de curé. Ensuite, on tombe dans la grande ère de l’ONF avec le cinéma direct. Puis, soudain, c’est comme si le cinéma s’institutionnalisait et plongeait dans le cliché », résume grosso modo Félix. Son ami renchérit : « Avec notre documentaire, nous avons souhaité parler du reste. De ce qui est négligé. »

Sans frontières

Mais ces films de genre sont-ils réellement négligés ? Cinéaste et cinéphile, Rémi Fréchette confirme que la question, immense et éternelle, lui est souvent posée. Directeur des Fantastiques Week-ends du cinéma québécois, également à Fantasia, Rémi a visionné dans les derniers mois près de 400 courts métrages d’ici.

Son verdict ? Le cinéma de genre va bien. Très bien. « Il faut juste continuer d’oser. Et le court, c’est le meilleur médium pour expérimenter ! »

À preuve : le vaste éventail de sujets explorés dans les 92 films sélectionnés cette année. D’ailleurs, pour la première fois, Rémi a choisi de les présenter non pas par genres (science-fiction, horreur, comédie), mais bien par thématiques (mourir, grandir, aimer, rêver, léguer).

Parlant de legs – de cinéma de genre toujours –, sa collègue Lindsay Peters estime qu’il est de plus en plus riche et nourri. Depuis cinq ans, Lindsay est directrice du marché Frontières. Ou, comme elle l’appelle, « le week-end de l’industrie de Fantasia ». Un événement organisé en partenariat avec le Marché du film de Cannes dans le cadre duquel 400 professionnels se réuniront à Montréal pour découvrir des projets en développement. Car c’est justement là le but de Frontières : promouvoir les coproductions entre le Québec, le Canada et l’Europe. « On organise des séances de pitch, des rencontres en face à face… »

Pour la petite histoire, c’est justement à Frontières que Turbo Kid, alors en développement, s’est retrouvé en 2012. Là que le supersuccès du collectif RKSS s’est allié à la productrice Anne-Marie Gélinas, d’EMAfilms.

Cette année, 6 projets sur 32 viennent du reste de la Belle Province. Un succès. Parmi eux, on trouve L’épreuve de la vie extra-terrestre ou The Trials of Alien Life, réalisé par Ian Lagarde (qui nous avait donné l’éclaté All You Can Eat Buddha) et produit par Colonelle Films (qui s’est chargé d’Une colonie).

Ce qui explique cette effervescence ? Fan d’horreur et de science-fiction depuis l’enfance (elle compte Candyman et les X-Files parmi ses classiques), Lindsay Peters répond que c’est notre siècle « un peu bizarre ». Après tout, les films de genre permettent d’extérioriser nos démons, nos peurs, nos anxiétés face à la mocheté du monde. « Notre époque est bonne pour l’industrie. Peut-être moins pour la vraie vie. »

Une tasse de reconnaissance

Parlant de vrai, Jef Grenier, c’en est un. Ça fait 10 ans qu’il planche sur le troisième volet de sa série Killer Cup en 3D, intitulé Les gobelets qui tuent de la troisième dimension.

C’est dans les années 90 que Jef a donné naissance à ses verres à café assassins. C’était avant The Blair Witch Project, prévient-il, avant Karmina. « Dans ces années-là, selon moi, il n’y avait pas grand-chose de bon qui sortait. Juste des niaiseries. Le docteur qui tue, le lutin assassin… Ça me frustrait. »

Histoire de se défouler, l’étudiant en cinéma à Ahuntsic a alors décidé de réaliser un court métrage horrifique avec une caméra VHS. 

« J’étais un tripeux d’horreur, de métal, de gore, de gros hardcore. J’ai voulu trouver l’idée la plus stupide possible et la tourner de manière démoniaque pour me foutre de la gueule de ceux qui se prenaient trop au sérieux. »

— Jef Grenier, à propos des origines de Killer Cup

Cette idée la plus stupide, comme il dit ? « Des verres à café sont arrivés sur Terre bien avant la race humaine, explique le coloré réal. Écœurés que les humains les jettent et leur pilent dessus, ils se révoltent et reprennent le contrôle de la planète. » Sur une lancée, Jef Grenier a même réalisé une suite, Killer Cup 2 : Les gobelets qui tuent r’attaquent (intitulé à l’origine Second Cup). Chose qui lui a valu le Prix du public D.I.Y. à Fantasia, en 2004. « Suivant la règle des sequels, j’avais fait plus grand, plus big, avec plus de sang, plus de filles en bobettes et une meilleure caméra. »

Et c’est dans le même ordre d’idées qu’il rapplique désormais avec Killer Cup 3D. Mais attention : « Je n’ai pas la prétention d’avoir fait Avatar, dit-il. Moi, c’est des lunettes rouge et bleu, c’est old school, et c’est en français. »

Aparté : après quelques années à travailler dans les effets spéciaux, Jef Grenier a relégué le cinéma au rang de hobby. Aujourd’hui, celui qui s’occupe de la salubrité dans un entrepôt pharmaceutique n’attend plus que Spielberg l’appelle pour lui dire « dude, j’ai aimé ton film, viens à Hollywood, on finance le quatrième volet ».

« Le cinéma a toujours été un combat », ajoute ce mouton noir autoproclamé qui n’aime pas les analyses intenses et les films à message. « J’ai déjà tenu tête à mon prof de cégep qui disait : “Prenez Rocky. Ses shorts sont bleues, celles du Russe sont rouges, et il marche dans la neige avec son billot de bois sur les épaules comme le Seigneur traînait sa croix.” NEUH. Rocky s’entraîne, sacramant ! Y a pas de Jésus là-dedans. »

De la même façon, il n’a pas trop compris qu’un journaliste trouve un propos écologique à ses Killer Cup. « Je n’ai jamais voulu brandir le drapeau de la pollution et m’en aller faire une parade ! »

Visiblement, Jef n’aime pas les faux-semblants. Son amour des films de peur, par contre, il l’assume à fond. « Y a plein de réalisateurs qui se cachent en disant : “Ââh, j’ai fait un drâââme psychologique expérimentâââl.” Non. T’as fait un film d’horreur. »

Le festival Fantasia, du 11 juillet au 1er août

L’inquiétante absence, présenté le 14 juillet à la salle J.A. DeSève de l’Université Concordia

Les Fantastiques week-ends du cinéma québécois, du 12 au 28 juillet au Cinéma du Musée

Le marché Frontières, du 18 au 21 juillet à l’Université Concordia

Killer Cup 3D : Les gobelets qui tuent de la troisième dimension, le 20 juillet à la Cinémathèque québécoise

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