Chronique

Désolée, vous n’êtes pas courtiers d’assurances

J’ai été la première à applaudir, l’automne dernier, quand Québec a décidé de faire le ménage dans l’industrie de l’assurance de dommages (auto et habitation). Mais quand je vois présentement les jeux de coulisses en marge des consultations sur le projet de loi 150, j’ai peur que les consommateurs ne s’en fassent passer une p’tite vite.

Comme je l’ai maintes fois dénoncé, de nombreux cabinets sont maintenant contrôlés par un gros assureur à qui ils envoient pratiquement tous leurs clients, sans aucune forme de magasinage. Ils n’ont même pas les systèmes pour le faire. En fait, ces représentants n’ont de courtier que le nom. Et le public n’y voit que du feu. Ainsi, de nombreux consommateurs paient trop cher, sans le savoir.

Pour assainir l’industrie, le gouvernement veut forcer les courtiers à présenter au moins quatre soumissions à chacun de leurs clients. De plus, leur cabinet ne pourra pas être détenu à plus de 20 % par un assureur.

Pour leur part, les représentants qui ne magasinent pas vraiment deviendront tout simplement des « agents affiliés » à un assureur et le grand public saura à quoi s’en tenir.

Courtier d’un côté, agent de l’autre. La solution a le mérite d’être claire.

***

Mais voilà que l’Alliance pour un courtage plus fort, qui regroupe beaucoup de cabinets contrôlés par un assureur, réclame la création d’un troisième titre, soit celui de « courtier affilié ». Celui-ci pourrait présenter la soumission d’un seul assureur. Et cet assureur pourrait détenir 49 % des actions avec droit de vote de son cabinet, et même 80 % des actions participantes.

Mais voyons ! Ça n’a pas de sens. À la base, « courtier » et « affilié » sont deux termes contradictoires.

Un courtier doit être indépendant, alors qu’un affilié est forcément lié à quelqu’un. Fusionner les deux mots dans une seule expression est pour le moins tordu. Cela ne ferait qu’entretenir la confusion dans l’esprit du public.

Les vrais courtiers indépendants sont outrés, même s’ils ont peur de le dire haut et fort à cause de l’influence exercée par les gros assureurs. « Le gouvernement va rabaisser notre profession en faisant croire au public que les agents sont des courtiers », disent-ils. Et ils ont raison.

Il faut appeler un chat un chat.

***

Par ailleurs, l’industrie réclame aussi des assouplissements au projet de loi 150 quant au nombre de soumissions qui devraient être présentées par un courtier.

La règle des quatre soumissions semble mal adaptée du côté commercial, où le problème de transparence n’est pas si criant, de toute façon.

Dans certains créneaux spécialisés, comme l’édition, la construction ou les copropriétés, peu d’assureurs offrent des polices. Il serait compliqué et contre-productif d’exiger autant de soumissions.

En fait, l’univers de l’assurance commerciale est beaucoup moins standardisé. Le travail du courtier repose davantage sur la négociation avec un seul assureur, pour développer une police sur mesure qui répond exactement aux besoins de son client, que sur le magasinage de prix auprès de différents assureurs.

***

Du côté des particuliers, certains se plaignent qu’en exigeant quatre soumissions, on nuira aux petits cabinets.

Il faut savoir que le cabinet moyen a des revenus primes de 2,2 millions de dollars par année. Souvent, les assureurs exigent d’un cabinet qu’il leur achemine de 500 000 $ à 1 million de revenus par année pour faire affaire avec lui. Sinon, la relation d’affaires coûte trop cher pour les bénéfices qu’elle rapporte.

Certains petits cabinets pourraient donc avoir de la difficulté à obtenir quatre soumissions. Mais ils auraient des manières de s’en sortir, par exemple en adhérant à une enseigne qui donne accès à une brochette d’assureurs.

Mais que le chiffre magique soit de trois ou quatre soumissions, il faut réaliser que ce ne sera pas suffisant pour mettre les courtiers à l’abri de l’influence indue qu’exercent les assureurs par toutes sortes de moyens insidieux. Je pense entre autres au système de commissions qui force les courtiers à envoyer sans cesse davantage de clients à un assureur.

***

Pour agir de manière durable, Québec devrait donc édicter un principe plus large d’indépendance, et pas seulement s’attaquer au problème sous un seul angle, celui du nombre de soumissions minimum, que l’industrie aura tôt fait de contourner.

Il faudrait aussi qu’il confie un mandat de surveillance clair à l’Autorité des marchés financiers (AMF), qui n’a pas joué suffisamment son rôle ces dernières années. Cela fait trop longtemps que les cabinets roulent à 120 km/h dans une zone de 50 km/h. La police a toujours fermé les yeux. Mais maintenant que tout le monde est au courant, ça devient insoutenable.

L’industrie est complètement polarisée, déchirée. Pour vous donner une idée, lors du dernier congrès du Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (RCCAQ), une partie de la salle s’est levée pour applaudir le discours prononcé par le ministre des Finances Carlos Leitão, tandis que d’autres participants le huaient. Franchement, ça manque de classe.

Il est grand temps de faire le ménage. Ça fait 20 ans que l’industrie en a besoin. Tant qu’à crever l’abcès, allons-y jusqu’au bout.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.