BUDGET LEITãO OPINION

Les vallées verdoyantes à la sortie du tunnel ?

On a souvent promis que la rigueur budgétaire nous mènerait éventuellement vers des « vallées verdoyantes », pour reprendre une image marquante de Bernard Landry. Depuis 20 ans, tant les gouvernements péquistes que libéraux ont mis l’accent sur l’importance de l’équilibre budgétaire et la réduction de la dette.

Au risque parfois d’aller trop loin, avec des conséquences déplorables dans certains services (les CPE notamment). Les surplus de l’an dernier (2,2 milliards en 2015-2016) auront révélé qu’il n’était pas nécessaire d’appuyer si lourdement sur la pédale de frein ces années-ci. L’effort aura aussi été par moments trop timide. On n’avait probablement pas suffisamment tiré profit de la décennie et demie de croissance ininterrompue qui a précédé le coup de frein donné par la grande récession en 2008.

Mais au net, le Québec aura réussi en 20 ans un retournement de situation semblable à celui qui avait permis au gouvernement fédéral, dans les années 90, de passer du statut de cancre du G7 à celui d’élève modèle.

Il est d’autant plus remarquable que le Québec ait réussi ce retournement malgré une fédération toujours marquée par le déséquilibre fiscal. Lorsque l’on compare les derniers budgets d’Ottawa et de Québec, à une semaine d’intervalle, on ne peut qu’être frappé par la solidité apparente du cadre financier de Québec.

L’économie mondiale tourne pourtant au ralenti, reflet d’un monde chargé d’incertitude géopolitique. Bien que l’on se félicite d’une croissance économique de 1,7 % en 2016 et 2017, enfin plus élevée que la moyenne de 1,2 % des années précédentes, nous demeurons dans une période de croissance résolument faible selon les standards historiques.

Malgré cette croissance timide, le gouvernement confirme l’équilibre budgétaire en 2016-2017 et prévoit son maintien sur cinq ans. Les revenus autonomes ont cru d’un famélique 0,9 % en 2016-2017, les transferts fédéraux (+8,4 %) venant à la rescousse. Si l’on revient à un surplus budgétaire modeste (250 millions), c’est que les dépenses (consolidées) sont reparties à la hausse, croissant de 4,5 % en 2016-2017.

Le budget 2017-2018 s’appuie quant à lui sur une croissance plus robuste des revenus autonomes (2,8 %) et, de nouveau, des transferts fédéraux (7,5 %). Pour 2017-2018, les dépenses de programmes de santé et d’éducation retrouveront enfin un rythme de croisière plus près des moyennes historiques : 4,2 % dans les deux cas.

À l’image des taux de croissance des dépenses très faibles des dernières années, force est toutefois d’admettre que nous sommes encore assez loin des vallées verdoyantes.

L’impact financier des mesures du budget atteint 853 millions en 2016-2017 et 1,4 milliard en 2017-2018, dont la moitié environ en baisses d’impôt.

Ces baisses d’impôt ciblent l’une des mesures fiscales les plus surprenantes et mal-aimées de l’histoire récente :  la contribution santé. Cette mesure du budget de 2010, qui cherchait à financer en partie le système de santé par une contribution égale pour tous, avait frappé à l’époque par sa régressivité. Bien qu’elle ait été modifiée considérablement par Nicolas Marceau qui y a introduit une certaine progressivité, la contribution santé ne pouvait être que temporaire. Le gouvernement a donc bien choisi sa première cible de réduction d’impôts.

La modulation des tarifs des CPE en fonction du revenu est une autre mesure fiscale surprenante et mal-aimée. Elle est maintenue par le présent budget. Cette tarification modulée dédouble la progressivité de l’impôt sur le revenu, n’amène pas de ressources supplémentaires aux CPE tout en contribuant à éloigner du réseau public de nombreuses familles. À suivre l’an prochain ?

En fait, on devra suivre la progression de nombreux dossiers au cours des cinq prochaines années. La présentation budgétaire sur cinq ans, qui est bienvenue, s’accompagne toutefois de son lot de risques. Dans le monde incertain dans lequel nous vivons, une provision pour éventualités de 100 millions par année en 2018-2019 et 2019-2020 semble bien faible. Qui sait quelles mauvaises surprises l’Europe et les États-Unis nous réservent encore ?

Le Fonds des générations, auquel un fascicule complet est consacré, est l’un des éléments qui demanderont un suivi étroit au cours des prochaines années. Rappelons qu’au Québec, on ne rembourse pas à proprement parler la dette. On accumule plutôt des sommes dans le Fonds des générations, qui atteindra une valeur comptable de 15,9 milliards en 2019. En ce sens, le Fonds ne manquera pas de susciter les convoitises. Si on devait succomber à l’idée de dépenser ces sommes, c’est un grand pan de la stratégie de réduction de la dette du Québec qui s’effondrerait comme un château de cartes.

Finalement, ce budget peut être vu comme l’aboutissement d’un demi-marathon de deux décennies au cours duquel le Québec se sera préoccupé comme jamais de la pérennité de ses finances publiques. 

Mais c’est ce que l’on fera ensuite que l’histoire retiendra. On peut se permettre de rêver à un Québec qui, dans 20 ans, n’aurait plus besoin de paiements de péréquation pour boucler son budget. 

Éducation, recherche, innovation et infrastructures sont autant de leviers incontournables pour appuyer la croissance économique à long terme. La prochaine campagne électorale, qui se profile déjà à l’horizon, sera l’occasion de débattre, souhaitons-le, de ce que nous attendons collectivement de ces fameuses vallées verdoyantes.

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