Chronique

Grosses lacunes dans les C.A. de nos sociétés d’État

Le Québec compte un très grand nombre de sociétés d’État. Il est donc primordial de se soucier de leur bonne gestion, notamment de la gouvernance de leurs conseils d’administration.

À ce sujet, une étude fouillée vient d’être réalisée par Yvan Allaire et François Dauphin, de l’Institut sur la gouvernance (IGOPP). Elle porte sur les 46 principales sociétés d’État actives au Québec*.

Globalement, ces 46 sociétés affichent des revenus de 63 milliards de dollars et emploient environ 65 000 personnes. L’IGOPP a passé en revue leurs conseils d’administration, leur attribuant des notes sur la base des meilleures pratiques mondiales (structure du conseil, déroulement des séances, compétences et sélection des membres, transparence et reddition de comptes).

Premier constat : la note moyenne des conseils d’administration de ces 46 sociétés est de 56 %. Autrement dit, en moyenne, les conseils de nos sociétés publiques ou quasi publiques n’obtiennent pas la note de passage.

Avant de grogner, chers lecteurs, il faut rapidement faire une précision. Les sociétés d’État se divisent essentiellement en deux groupes, le premier étant soumis à la Loi sur la gouvernance adoptée en 2006. Ce groupe compte la plupart des grandes sociétés d’État comme la Société des alcools du Québec (SAQ), Hydro-Québec ou la Caisse de dépôt. Et dans le cas des 20 organisations de ce premier groupe, 19 obtiennent la note de passage. Et la note moyenne est de 71 %.

C’est dans le second groupe, composé de 26 sociétés, que l’étude a trouvé le plus de lacunes de gouvernance. La note moyenne est de 45 %. Sur 26, seulement quatre obtiennent la note de passage. N’est-ce pas inquiétant pour la gestion de nos fonds publics ?

Parmi elles se trouvent l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (38 %), le Centre de recherche industriel du Québec (33 %) et la Financière agricole (56 %).

Pour l’ensemble des 46 sociétés, un des critères de bonne gouvernance analysés est l’indépendance d’une majorité des membres du conseil par rapport à la direction ou l’organisation. Or, trois sociétés enfreignent leur propre loi à ce sujet : la Financière agricole, la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) et la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). Dans ces trois cas, une majorité de membres ne sont pas indépendants d’esprit quand vient le temps d’approuver ou non une décision. N’est-ce pas préoccupant?

L’IGOPP a également vérifié, pour les 46 organisations, si les administrateurs siégeaient à plus de cinq conseils. Selon l’IGOPP, un administrateur qui siège à un trop grand nombre de conseils risque d’avoir une charge trop importante pour bien exercer son travail.

Or, le tiers des sociétés auprès desquelles il a été possible d’obtenir cette information comptaient au moins un administrateur qui siégeait à plus de cinq conseils. Parmi ces sociétés, mentionnons la Caisse de dépôt, Investissement Québec, la SODEC, la SAQ, Loto-Québec et la Financière agricole, notamment.

Précisons que certaines sociétés ont été pénalisées par l’analyse parce que leurs PDG siégeaient en même temps comme président du conseil, ce qui n’est pas idéal. Or, dans certains cas, c’est leur loi constitutive qui exige le cumul des fonctions, et elles ne peuvent donc être blâmées. C’est le cas de la Commission de la construction du Québec (CCQ) et de l’Agence métropolitaine de transport (AMT).

Autre critère important : la participation du conseil au processus de sélection des administrateurs ou même du PDG de l’entreprise. Or, 39 % ne jouent aucun rôle dans la sélection des administrateurs et 26 % dans le cas des PDG ; c’est le gouvernement qui fait unilatéralement ces nominations.

Transparence déficiente

L’IGOPP a également analysé la transparence des conseils, notamment en ce qui concerne les renseignements divulgués sur leurs sites internet. À ce chapitre, seulement 39 % publient les trois éléments jugés essentiels, soit le rapport annuel, le plan stratégique et la biographie détaillée des membres du C.A.

Normalement, les conseils devraient fixer des indicateurs de performance à la direction et des cibles à atteindre. Les deux tiers le font bien, mais il reste tout de même un tiers des conseils qui échouent en partie ou en totalité à cet exercice. Un bateau sans gouvernail, bref. Comment est-ce possible ?

Par ailleurs, l’IGOPP note que seulement 13 % des conseils d’administration divulguent pleinement la rémunération des hauts dirigeants de la société d’État qu’ils administrent, ce qui est jugé insuffisant.

Enfin, de par les règles qui les encadrent, la plupart des sociétés d’État sont tenues de remettre leur rapport annuel au ministre responsable, qui le rendra public par la suite en le déposant à l’Assemblée nationale. Or, une période de presque six mois s’écoule entre la fin de l’exercice et la publication du rapport annuel, ce qui est « inacceptable et constitue un véritable déni de l’information essentielle », affirme l’IGOPP.

L’IGOPP rappelle que ces principes de bonne gouvernance ne sont pas garants d’une bonne performance. Cependant, ils servent de garde-fous.

« Un conseil consciencieux saura améliorer les prises de décisions, imposer des indicateurs de performance appropriés, s’opposer aux initiatives hasardeuses de la direction et débusquer les pratiques douteuses », fait valoir le rapport.

L’IGOPP invite le gouvernement et les conseils d’administration à tenir compte des suggestions du rapport pour améliorer la gouvernance.

* Il y a essentiellement 59 sociétés d’État, dont la Caisse de dépôt. De ce nombre, 13 sont virtuellement inactives ou très petites, ce qui ramène le nombre analysé à 46.

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