ÉDITORIAL

Le dinosaure de la fédération

Le premier ministre de la Saskatchewan Brad Wall a tellement tort que cela a des vertus pédagogiques.

Le trublion de la fédération s’oppose à tout prix plancher du carbone. Au nom du fédéralisme coopératif, il dit chercher un consensus. Mais il réclame en fait l’unanimité, pour mieux s’arroger un droit de veto. En mars dernier, à cause de son blocage, les provinces ont seulement réussi à s’entendre sur l’importance de s’entendre à ce sujet, à un moment donné…

La ministre fédérale de l’Environnement, Catherine McKenna, s’est impatientée avec raison. Dimanche, elle a annoncé qu’Ottawa imposerait bientôt un prix minimum pour le carbone là où il n’y en a pas. C’est-à-dire en Saskatchewan et en Nouvelle-Écosse.

Selon M. Wall, ce ne serait pas le bon moment, car le secteur de l’énergie souffre de la chute du prix du pétrole. Et ce ne serait pas non plus une priorité, car le Canada ne compte que pour 1,6 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). Il faudrait plutôt mettre la pression sur les grands pollueurs comme la Chine, a-t-il soutenu à CTV.

Son raisonnement n’est pas dénué de logique. Mais le problème, c’est que cette logique est celle de la fuite vers l’avant, et elle mène droit dans le mur.

M. Wall incarne le dilemme de l’action collective – terme jargonneux pour le réflexe du « pas moi, pas maintenant » – qui bloque la lutte contre les changements climatiques. D’un point de vue individuel, il est dans l’intérêt d’un gouvernement de ne rien faire et laisser les autres accomplir le difficile travail. Mais d’un point de vue international, c’est le contraire. Si chaque pays n’agit qu’en fonction de son propre intérêt, le réchauffement se poursuivra, et tout le monde sera perdant.

Voilà pourquoi existent les accords comme celui de Paris : pour s’assurer que tous avancent ensemble, afin d’éviter le pire.

Cette fragile coopération est minée chaque fois qu’un politicien se croise les bras et profite des efforts autres. C’est ce que faisait le gouvernement Harper à l’international, et c’est ce que fait aujourd’hui M. Wall dans la fédération.

Il n’y a pourtant pas que les adorateurs de maman Gaïa qui militent en faveur d’une tarification du carbone. Parmi les promoteurs de l’idée figurent entre autres la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, plusieurs grandes banques et assureurs et même des pétrolières comme Shell, Suncor, Total, Statoil et BP.

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Même si M. Wall devient de plus en plus isolé, il lui reste un allié qui se bat pour le droit de polluer gratuitement : le Parti conservateur. En cherchant la victoire totale, ces alliés risquent toutefois de perdre beaucoup. Car sans une tarification punitive du carbone, la construction d’oléoducs sera très difficile à vendre.

Énergie Est permettrait d’exploiter plus de pétrole. Or, le Canada s’est engagé à réduire ses émissions de GES. Les promoteurs de cet oléoduc doivent donc prouver – et cela n’a pas encore été fait – que les deux seraient compatibles. Cela exigerait des réductions draconiennes dans le reste de l’économie, et pour lancer cette révolution verte, la méthode la plus efficace serait de commencer par tarifer sérieusement le carbone.

On le comprend, le discours de M. Wall devient de plus en plus marginal dans un monde qui le dépasse. L’histoire enseigne que les dinosaures ne sont pas la forme de vie la plus adaptée.

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