De la rivalité entre frères (ou sœurs)

« Dans un carré de sable, tu fais un magnifique château. À côté, tu vois Christian s’amuser avec un ballon. Soudain, le ballon de Christian frappe ta construction et la détruit. Pourquoi Christian a-t-il fait tomber ton château avec son ballon ? »

Ce scénario a été soumis par des chercheurs de Concordia à 121 enfants de 6 à 8 ans, afin de savoir s’ils pensent que leur frère ou leur sœur essaie délibérément de leur faire du mal. « Beaucoup de recherches ont porté sur l’interprétation que font les enfants des provocations ambiguës de leurs pairs, dit Holly Recchia, professeure adjointe au département des sciences de l’éducation de Concordia. Mais jusqu’à notre étude, on ne savait pas comment ils interprétaient les intentions de leurs frères et sœurs. »

Selon les cas, « Christian » était présenté aux enfants comme leur frère ou sœur, leur ami ou un enfant antipathique de leur classe. A-t-il brisé leur château accidentellement ou par méchanceté ? D’autres scénarios ont permis de trancher entre hostilité et instrumentalité. Exemple : « Tu fais une tour en blocs Lego. Tu pars manger une collation. Pendant ce temps, Léa défait la tour pour construire autre chose. Pourquoi Léa a-t-elle pris les Lego ? » Encore là, Léa était soit leur sœur, leur amie ou une élève antipathique.

PLUS D’HOSTILITÉ DE LA PART DES AÎNÉS

Résultat ? « Les enfants ont la plus grande probabilité d’attribuer des intentions hostiles aux pairs antipathiques, et la moins grande probabilité d’en prêter à leurs amis, indique Mme Recchia. Les frères et sœurs sont quelque part entre les deux. On s’attendait à ça. La relation avec la fratrie est un peu ambivalente. Avec un frère ou une sœur, on a des émotions intenses, parfois positives, parfois négatives. »

Les enfants sont plus susceptibles de penser que leur frère ou sœur aîné tente délibérément de leur faire du mal – moins quand il s’agit d’un cadet. « Ça aussi, ça a du sens, si on considère que les enfants plus âgés ont plus de pouvoir, positif et négatif », analyse la professeure, qui a codirigé l’étude avec Amandeep Rajput et Stephanie Peccia, étudiantes des cycles supérieurs à Concordia. Plus grands et forts, les aînés ont généralement des capacités mentales supérieures, puisqu’ils sont plus vieux.

C’est dans les familles où les conflits sont déjà nombreux que les enfants ont plus tendance à croire que leur fratrie leur veut du mal intentionnellement. « Il semble y avoir deux processus en cause : on peut imaginer que si les enfants attribuent beaucoup d’hostilité à leur fratrie, ça crée une relation moins positive, note la professeure. Mais s’il y a beaucoup de conflits, ça porte à attribuer des intentions hostiles aux autres, en raison des interactions passées. »

MÉDIATEUR : LE RÔLE DU PARENT

Les parents doivent-ils s’inquiéter si leurs enfants passent leur temps à se faire des procès d’intention ? « L’agression et les conflits entre frères et sœurs sont normaux, plus qu’entre pairs, observe Mme Recchia. La fratrie, c’est un contexte important pour apprendre ce qui se passe dans un conflit. On a plus de possibilités d’essayer diverses choses avec son frère ou sa sœur, dans un contexte plus sécuritaire. »

Il ne faut toutefois pas que les chicanes dégénèrent. « Si ça devient extrême et répété, c’est sûr que c’est lié à des problèmes plus tard, souligne la professeure. Je tends alors à préconiser que les parents s’impliquent, mais pas comme juges et jurés, pour trouver qui est fautif et quelles seront les conséquences. Le rôle qu’un parent peut adopter très efficacement, c’est celui de médiateur. Il peut aider les enfants à comprendre la perspective des autres dans le conflit, puis à apporter leurs propres solutions. »

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