Alimentation

Testé à la maison

Recevoir une boîte de produits en exclusivité, plusieurs mois avant leur arrivée sur le marché. Faire des tests d’appréciation dans le confort de sa maison. Noter ses impressions sans se censurer. Tel est le rôle des goûteurs à domicile, des dizaines de bénévoles qui viennent en aide à plusieurs entreprises québécoises.

UN DOSSIER DE NOTRE COLLABORATEUR SAMUEL LAROCHELLE

Le verdict des goûteurs

Depuis un an, huit entreprises agroalimentaires profitent du projet des goûteurs à domicile orchestré par Québec International. Trois d’entre eux expliquent les hauts et les bas du concept.

Gabrielle Morissette

Chaque dégustation est un événement pour la jeune femme. « C’est un happening : j’ouvre la boîte, je découvre de nouvelles affaires, les produits sont offerts en quantités très généreuses, explique-t-elle. Le sondage est vraiment facile et pas très long à remplir. Et notre opinion aide à développer le marché alimentaire de façon efficace. » Elle ne s’est d’ailleurs pas gênée pour dire tout ce qu’elle pensait. « On nous demande d’être le plus honnête possible, alors on explique ce qui pourrait être amélioré, ce qui est trop sucré, trop salé, excellent ou vraiment dégoûtant. On peut s’exprimer sans sentir de jugement. »

Philippe Lafoucrière

Amis de goûteurs à domicile, Philippe Lafoucrière et sa conjointe ont d’abord profité indirectement de l’expérience en découvrant des produits qu’ils ne trouvaient pas encore sur les étalages des magasins. Séduits par le projet, ils ont communiqué avec l’organisation pour y participer officiellement, en couple. « Pour nous, c’est très intéressant, car on peut entrevoir l’alimentation dans le futur au Québec, souligne M. Lafoucrière. On est des épicuriens, on cherche toujours des nouveaux goûts et de nouvelles sensations culinaires, alors cette expérience nous permet d’avoir des surprises. » Inévitablement, les surprises peuvent être positives ou négatives. « La semaine dernière, parmi trois échantillons d’un produit, on n’en a aimé aucun, alors là, vraiment pas ! s’exclame-t-il. Après deux, j’ai dû arrêter, sinon ça aurait gâché ma journée. Parfois, certains produits ne nous correspondent pas du tout, mais ça ne signifie pas qu’ils sont mauvais. Un produit santé très peu sucré ou un autre trop sucré ne plaira pas forcément à tous. »

Dominique Latouche

Conscient qu’il a souvent l’habitude d’acheter les mêmes produits, sans sortir de sa zone de confort, il a été séduit par le concept des goûteurs à domicile. « J’aime vraiment beaucoup ça, dit-il. On fait des tests et plusieurs découvertes intéressantes. » Après trois expériences de dégustations, réalisées de façon bénévole, il se dit prêt à recommencer n’importe quand. « Ça ne me dérange pas de donner mon temps pour ça. C’est comme une routine. » Une série de gestes simples qui exigent une seule chose de lui : sa franchise. « Je ne me garde pas de petite gêne dans mes commentaires, précise-t-il. Je dis tout à 100 %. C’est ça, le but. Si je trouve un emballage trop neutre ou un produit trop épicé, je l’explique. »

Mode d’emploi

Dès la réception du colis, les participants disposent de 72 heures pour réaliser une série d’étapes précises : 

1. Départager les produits qui doivent être réfrigérés et ceux qu’ils peuvent garder à température pièce.

2. Analyser l’emballage de chaque produit pour déterminer s’il semble appétissant et s’il donne envie de l’acheter.

3. Suivre les instructions sur la façon de tester chaque produit, sa préparation ou sa cuisson.

4. Ouvrir le produit, noter l’odeur et l’allure générale.

5. Donner leur impression sur les valeurs nutritives et les ingrédients.

6. Goûter.

7. Noter ce qu’ils aiment et ce qu’ils n’aiment pas.

8. Remplir le questionnaire sur leurs habitudes d’achats (marques, budget).

9. Indiquer s’ils pensent acheter ces nouveaux produits à l’avenir et s’ils les recommanderaient.

10. Envoyer le questionnaire par l’internet.

Les gens intéressés à devenir goûteurs à domicile peuvent poser leur candidature sur le site web d’inbe.

Des tests qui rapportent

Alors que le taux d’échec des nouveaux produits est généralement très élevé, faire appel à des consommateurs durant la phase de recherche et développement permet d’économiser temps, argent et déception.

Tout a commencé chez Gibiers Canabec, une entreprise de Saint-Augustin-de-Desmaures, qui désirait étendre la portée de ses dégustations en expédiant ses produits chez les consommateurs sélectionnés.

Puis, lors d’une réunion de chefs d’entreprise organisée par Québec International (QI), en septembre 2016, une séance de remue-méninges a été lancée pour trouver des moyens de soutenir leur développement à tous. Lorsqu’ils ont découvert le concept de Gibiers Canabec, à la fois très profitable mais lourd à gérer en solo, QI a proposé de chapeauter le tout.

En plus de réaliser le montage financier, l’organisation a fait appel au Groupe TAC, une entreprise employant plusieurs personnes avec des limitations physiques ou intellectuelles, pour préparer les envois postaux. Québec International a également choisi de s’associer à inbe, une entreprise possédant l’expertise pour obtenir la voix des consommateurs. « On savait déjà comment choisir les candidats selon leur âge, leur genre et leurs préférences, comment poser les bonnes questions et comment analyser les réponses, explique Daniel Leblanc, président et cofondateur d’inbe. Donc, quand Québec International nous a proposé le concept de goûteurs à domicile, c’était une extension naturelle pour nous. »

Projet-pilote

Depuis bientôt un an, huit entreprises participent au projet-pilote. Après qu’elles ont préparé leurs échantillons et les questions qui les intéressent, les boîtes sont expédiées partout en province, principalement dans les régions de Québec et de Montréal.

Outre l’économie de coûts permise par le regroupement des produits dans un même colis, le projet permet de mieux cibler les consommateurs. « Si un produit s’adresse spécifiquement à une clientèle végétarienne, on s’assure de ne pas le mélanger avec de la viande de gibier », souligne Sandra Hardy, directrice au développement des affaires chez QI.

Le patron d’inbe renchérit : « Quand on veut développer des plats pour les jeunes familles, il faut avoir la certitude de contacter des jeunes parents qui vont goûter, précise M. Leblanc. Notre banque de répondants québécois nous permet de trouver les bons candidats pour faire les dégustations. »

inbe a même accès à une banque de 17 millions de répondants à travers le monde.

« Si on veut l’opinion d’une mère végétalienne de Californie qui est propriétaire d’un condo, on peut la contacter. »

— Daniel Leblanc, président et cofondateur d’INBE

La précision dans la sélection des participants et le contexte de dégustation personnalisé, simple et sans censure permettent au projet-pilote d’aider les entreprises participantes. « Grâce aux réponses des goûteurs, certaines entreprises ont carrément changé de cap, souligne Sandra Hardy. Par exemple, une compagnie hésitait à ajouter un ingrédient à sa recette : la majorité des employés à l’interne jugeait l’ajout positif, mais durant les tests à domicile, aucun goûteur n’a perçu l’ingrédient ajouté. Au final, ça ne valait pas la peine d’aller de l’avant. Ils ont donc pu économiser des sous. »

Aide précieuse

Parmi les huit entreprises cobayes, on retrouve Maison Orphée, spécialisée en création d’huiles et de condiments biologiques. Selon sa propriétaire, Hélène Bélanger, les goûteurs à domicile permettent aux membres de son équipe de décloisonner leur travail. « On a l’habitude de développer un produit de notre côté en pensant qu’on répond directement à un besoin des consommateurs », dit-elle.

« Mais désormais, avant que notre développement soit abouti, on a l’opportunité de sonder des gens triés sur le volet, des consommateurs qui correspondent à certains critères et qui sont volontaires pour participer à l’activité. Leur implication est donc plus éclairée et plus positive. »

— Hélène Bélanger, propriétaire de Maison Orphée

Leurs commentaires sur l’idée globale d’un produit, l’emballage et les saveurs sont précieux pour Mme Bélanger et ses collègues. « Ils nous permettent d’entrer sur le marché avec plus de chances de connaître du succès », affirme-t-elle.

L’avenir des goûteurs

Vu la satisfaction des différents partenaires, Québec International est persuadée que le projet-pilote va se transformer en service très couru auprès des entreprises. « Nous voulions agir comme une bougie d’allumage, dit Sandra Hardy. Maintenant, l’objectif est que le projet des goûteurs à domicile perdure. »

Pour sa part, inbe veut poursuivre sur sa lancée. « On est déjà sollicité par plusieurs autres entreprises qui aimeraient vivre l’expérience, explique Daniel Leblanc. On répond à un réel besoin. Donc, à la fin du projet-pilote, c’est certain qu’on veut continuer. »

Et pas seulement auprès des organisations œuvrant dans le domaine de la nourriture. « On songe à développer un projet de testeurs à domicile, annonce-t-il. La moitié de nos clients n’évoluent pas dans le milieu agroalimentaire, mais ils ont intérêt eux aussi à envoyer leurs produits chez certains consommateurs bien ciblés pour faire des tests. Je pense entre autres à l’industrie des cosmétiques, qui pourrait en bénéficier grandement. »

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