LES OISEAUX RARES DE LA MUSIQUE

Jamais sans sa guitare

La vie de musicien est rarement banale. Mais il y a des passionnés dont la vie (tout court) sort complètement de l’ordinaire. Nous vous présentons le deuxième d’une série de trois portraits d’artistes dont le parcours atypique leur vaut le qualificatif d’oiseaux rares de la musique.

Quand Thierry Bégin-Lamontagne joue de la guitare, personne ne pourrait se douter qu’il est atteint d’une maladie qui provoque des spasmes moteurs et des tics de toutes sortes : le syndrome Gilles de La Tourette. À l’école, le croyant hyperactif, on le bourrait de Ritalin. Il a changé six fois d’école et a pensé au suicide à l’adolescence. C’est sa guitare qui l’a sauvé.

Lorsqu’il joue, comme par magie, tous ses symptômes disparaissent.

« Je n’ai jamais eu de spasme pendant que je joue de la guitare, et je n’en aurai jamais, dit-il. C’est sûrement parce que je suis concentré. La musique active une partie de mon cerveau et vient chercher une partie de moi qui est vitale. J’en ai besoin. »

Maintenant âgé de 28 ans, le guitariste, qui a obtenu une maîtrise en interprétation avec le réputé Alvaro Pierri, a remporté cinq concours internationaux et donné des concerts dans une dizaine de pays. Après avoir remporté le premier prix au Concours international de guitare de Petrer, en Espagne, en 2013, il s’est vu offrir une tournée de 20 concerts dans 6 pays européens.

Ses deux parents, musiciens, l’ont toujours soutenu. Après avoir essayé le piano, la flûte et le violon, il a adopté la guitare à 12 ans.

« C’est la sonorité qui m’a séduit. La guitare est un instrument très intime. Et la guitare classique est bien plus difficile qu’on le croit. J’aime le défi que ça représente », dit ce surdoué qui, dans ses temps libres, s’amuse à apprendre des langues étrangères. Il parle assez bien l’anglais, l’espagnol, l’allemand et l’italien, et il se débrouille en portugais et en russe.

UN PARCOURS DIFFICILE

Son cauchemar a commencé par des tics dans les yeux, au primaire. Parce qu’il était turbulent en classe, on lui faisait prendre du Ritalin. Selon lui, le médicament a contribué à aggraver son cas.

« Les enfants atteints du syndrome Gilles de la Tourette ont souvent plus d’énergie que la moyenne. Pourtant, quand mes parents m’amenaient à un concert, je restais tranquille et j’écoutais la musique sans bouger pendant plus d’une heure. Je disais à ma mère : “Tu vois bien que je ne suis pas hyperactif !” »

Mais l’école exigeait qu’il prenne le médicament. En 1re secondaire, les intervenants, qui n’en pouvaient plus, ont exigé qu’on lui administre une troisième dose quotidienne.

« Quelques jours après, j’ai commencé à avoir des spasmes dans le bras, qui sont plus tard devenus des spasmes corporels. Dans la pire période, j’avais de 1200 à 1400 spasmes par jour. C’était impossible que j’écoute en classe. »

L’adolescence n’est jamais une période facile. Pour lui, ce fut encore pire à cause des moqueries de ses camarades. « Je me faisais écœurer à cause de mes tics et, en plus, j’avais les dents avancées. J’étais une cible facile », raconte-t-il.

La guitare a été son refuge. Et avec les années, les symptômes se sont estompés. Aujourd’hui, les spasmes se limitent à une dizaine par jour. D’ailleurs, pendant les 30 premières minutes de notre entretien avec lui, pas le moindre symptôme n’est apparu. C’est en abordant le sujet de la maladie qu’on l’a vu traversé pour la première fois d’un brusque tressaillement. Car, à l’inverse de la musique, certains facteurs aggravent les symptômes : les bains de foule (sauf les concerts), la fatigue et le fait d’en parler.

« La musique m’a aidé à comprendre qu’il y a un moyen, psychologique et neurologique, d’avoir un corridor pour que les symptômes s’arrêtent complètement, dit-il. Comment cette porte s’ouvre-t-elle dans ma tête ? Je l’ignore. Mais quand je donne un concert d’une heure, je suis complètement épuisé à la fin. Même si je trouvais comment ouvrir la porte qui arrête les symptômes, ce ne serait sans doute pas possible de le faire en tout temps. »

« Il faut apprendre à vivre avec le syndrome et le concert est un moment privilégié. »

— Thierry Bégin-Lamontagne

Bien que la vie de Thierry Bégin-Lamontagne ait pris une tournure positive, la situation n’est pas encore rose. Criblé de dettes d’études, il a dû retourner vivre chez ses parents. En Espagne, en Allemagne, au Brésil ou en Argentine, un guitariste classique peut gagner plus facilement sa vie qu’ici. Mais au Québec, c’est un parcours du combattant.

« N’allons pas croire que je fais de l’argent avec ça, dit-il. Tout ce que je gagne dans les concours, je le dépense en billets d’avion. »

La guitare fait plutôt bande à part dans le monde classique au Québec. Il est difficile de percer dans le réseau des salles de concert, surtout à Montréal. Surtout quand, comme lui, on n’a pas encore enregistré d’album. Pour le moment, c’est sa mère, Joanne Bégin, qui gère sa carrière.

Mais Thierry Bégin-Lamontagne en a vu d’autres. Il est déterminé à vivre de son art et ne baisse pas les bras. Question de pouvoir continuer, il donnera un concert-bénéfice dans son patelin, à Cowansville, en février. Il lancera aussi bientôt une campagne de sociofinancement pour lui permettre d’enregistrer son premier disque.

À l’église Sainte-Rose-de-Lima de Cowansville, le 7 février, à 19 h 30.

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