La maladie du désordre
C’est demain que se tient à Montréal le premier colloque québécois sur le TAC. Le quoi ? Le TAC, comme dans « trouble d’accumulation compulsive ». Un mal méconnu qui touche 4 % de la population, deux fois plus que la bipolarité.
« Je me rappelle très bien quand ça a commencé », confie Jocelyne *, une accumulatrice endurcie de 64 ans.
« C’était quand, adolescente, j’ai demandé à mes parents de mettre une serrure sur ma porte de chambre. Mon père m’a répondu : “Il y a deux portes qui se barrent dans la maison, la salle de bains et la porte extérieure. That’s it, that’s all." À partir de ce moment-là, j’ai créé un énorme désordre dans ma chambre. »
Quelques décennies plus tard, le problème de Jocelyne crève les yeux. Il submerge tout : chacune des pièces de son appartement, ses murs, ses meubles, sa vie. C’est un capharnaüm où s’entassent des livres de recettes, des boîtes, des « cossins », des papiers, de la nourriture. Un fouillis. Du moins à nos yeux. Jocelyne, elle, y voit des objets de valeur, qui serviront un jour. Elle souffre du TAC.
320 000
Nombre de Québécois touchés par le TAC, soit 4 % de la population de la province.
Cette maladie est apparentée au trouble obsessionnel-compulsif, mais est considérée depuis 2013 comme un trouble distinct dans le DSM-5. Les gens qui en souffrent accumulent toutes sortes d’objets non nécessaires et ont de la difficulté à s’en défaire, indépendamment de leur valeur réelle. « Ils ressentent de la détresse à l’idée de les donner ou de les jeter », précise le Dr Pierre Rondeau, omnipraticien au CLSC de La Petite-Patrie, membre du comité organisateur du colloque.
Résultat : les objets, le plus souvent des journaux, des livres, des appareils électroniques, des factures et des meubles, finissent par remplir leurs espaces de vie et compromettent leur utilisation, comme chez Jocelyne, qui partage son trois-pièces avec son chat.
« Protéger [son] territoire »
« Le désordre m’a servi, assure-t-elle. Il a fait fuir pas mal tout le monde. C’est une stratégie efficace pour protéger mon territoire.
— Vos parents souffraient-ils de ce trouble ?
— Oui, ma mère avait la maladie des Post-it. Et mon frère accumule des quantités phénoménales de papier. »
Les accumulateurs compulsifs sont majoritairement célibataires. Et dans 50 % des cas, ils ont un parent qui a aussi un TAC.
« Vous vivez bien dans votre désordre ?
— Ça ne me dérange absolument pas », répond Jocelyne, qui a fait plusieurs thérapies au cours des 30 à 40 dernières années pour soigner des dépressions.
Son problème d’accumulation a été reconnu quand un intervenant du CLSC de son quartier est venu chez elle. « Il a dit : “Oh ! Accumulation avec un grand A !” », relate-t-elle.
Jocelyne habite seule et n’a pas d’enfant. Elle avait 23 ans quand elle a quitté la maison familiale après des études en bibliothéconomie à l’Université d’Ottawa. Elle a travaillé comme bibliothécaire jusqu’à l’âge de 44 ans. On lui reprochait d’être trop peu productive. Depuis 1994, elle ne travaille plus et vit de l’aide sociale, avec la menace de se faire expulser de son appartement en raison du désordre qui y règne. Pour « acheter la paix et gagner du temps », elle loue un entrepôt à Dorval pour 100 $ par mois, dans lequel elle entrepose des choses dont elle refuse de se départir.
« Les accumulateurs hésitent à faire part de leur problème, de peur d’être dénoncés à la Ville ou à la DPJ et qu’on vide leur maison, explique Natalia Koszegi, psychologue au Centre d’études sur les troubles obsessionnels-compulsifs et les tics de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal. Ils sont très méfiants. »
risques pour la santé
Aujourd’hui, même si elle dit être « bien dans son bordel », Jocelyne aimerait se réapproprier ses espaces. Ce sont ses mots. « Je veux me réapproprier mes espaces pour les rendre plus fonctionnels, m’asseoir sans avoir à tasser des objets, dit-elle. Même chose dans la cuisine. Ma chambre n’est pas orthodoxe, mais elle est fonctionnelle. »
Les risques pour l’accumulateur compulsif sont nombreux : incendie, malnutrition, problèmes de santé respiratoire, chutes, isolement, moisissures, vermine.
Et même si la thérapie est efficace dans plus de 60 % des cas, le TAC ne disparaît jamais complètement. C’est un trouble avec lequel la personne apprend à vivre.
« Quand je suis fragile, je ne range pas vite, avoue Jocelyne. Et quand je fais des changements trop vite, je ressens de la détresse. Je risque alors de faire des achats compulsifs dans un Dollarama. Ou de succomber à la cleptomanie.
— Qu’est-ce qui vous motive à mettre de l’ordre ?
— J’ai dit que j’allais faire ça et je vais le faire, affirme-t-elle. Pour moi, la parole donnée est importante. Mais c’est le processus de toute une vie. »
* Nous préservons l’anonymat de Jocelyne, car elle craint l’éviction de son logement.